Déjà dans son esprit la galande le croque. Il atteste les dieux; la perfide s'en moque : Il résiste; elle tire. En ce combat nouveau, Un milan, qui dans l'air planoit, faisoit la ronde, Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde. Il fond dessus, l'enlève, et, par même moyen, La grenouille et le lien.
Tout en fut, tant et si bien Que de cette double proie L'oiseau se donne au cœur joie, Ayant, de cette façon,
A souper chair et poisson.
La ruse la mieux.ourdie Peut nuire à son inventeur; Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.
Tribut envoyé par les animaux à Alexandre.
Une fable avoit cours parmi l'antiquité; Et la raison ne m'en est pas connue. Que le lecteur en tire une moralité; Voici la fable toute nue:
La Renommée ayant dit en cent lieux Qu'un fils de Jupiter, un certain Alexandre, Ne voulant rien laisser de libre sous les cieux, Commandoit que, sans plus attendre, Tout peuple à ses pieds s'allât rendre, Quadrupèdes, humains, éléphans, vermisseaux, Les républiques des oiseaux;
La déesse aux cent bouches, dis-je, Ayant mis partout la terreur
En publiant l'édit du nouvel empereur, Les animaux, et toute espèce lige
De son seul appétit, crurent que cette fois
Il falloit subir d'autres lois.
On s'assemble au désert: tous quittent leur tanière. Après divers avis, on résout, on conclut D'envoyer hommage et tribut.
Pour l'hommage et pour la manière,
Le singe en fut chargé : l'on lui mit par écrit Ce que l'on vouloit qui fût dit. Le seul tribut les tint en peine: que donner? il falloit de l'argent. On en prit d'un prince obligeant, Qui, possédant dans son domaine Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut. Comme il fut question de porter ce tribut, Le mulet et l'âne s'offrirent,
Assistés du cheval ainsi que du chameau.
Tous quatre en chemin ils se mirent Avec le singe, ambassadeur nouveau. La caravane enfin rencontre en un passage Monseigneur le lion cela ne leur plut point. « Nous nous rencontrons tout à point, Dit-il; et nous voici compagnons de voyage. J'allois offrir mon fait à part;
Mais bien qu'il soit léger, tout fardeau m'embarrasse. Obligez-moi de me faire la grâce
Que d'en porter chacun un quart : Ce ne vous sera pas une charge trop grande; Et j'en serai plus libre et bien plus en état En cas que les voleurs attaquent notre bande, Et que l'on en vienne au combat. » Éconduire un lion rarement se pratique. Le voilà donc admis, soulagé, bien reçu, Et, malgré le héros de Jupiter issu, Faisant chère et vivant sur la bourse publique. Ils arrivèrent dans un pré
Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré, Où maint mouton cherchoit sa vie ;
Séjour du frais, véritable patrie
Des zéphirs. Le lion n'y fut pas qu'à ces gens Il se plaignit d'être malade.
• Continuez votre ambassade,
Dit-il; je sens un feu qui me brûle au dedans, Et veux chercher ici quelque herbe salutaire. Pour vous, ne perdez point de temps: Rendez-moi mon argent; j'en puis avoir affaire. » On déballe; et d'abord le lion s'écria,
D'un ton qui témoignoit sa joie :
Que de filles, ô dieux, mes pièces de monnoie Ont produites! Voyez la plupart sont déjà
Aussi grandes que leurs mères.
Le croît m'en appartient. » Il prit tout là-dessus; Ou bien, s'il ne prit tout, il n'en demeura guères. Le singe et les sommiers confus,
Sans oser répliquer, en chemin se remirent. Au fils de Jupiter on dit qu'ils se plaignirent, Et n'en eurent point de raison.
Qu'eût-il fait ? C'eût été lion contre lion; Et le proverbe dit : Corsaires à corsaires, L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires.
FABLE XIII. Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf
De tous temps les chevaux ue sont nés pour
Lorsque le genre humain de glands se contentoit, Ane, cheval, et mule, aux forêts habitoit,
Et l'on ne voyoit point, comme au siècle où nous sommes, Tant de selles et tant de bâts,
Tant de harnois pour les combats, Tant de chaises, tant de carrosses; Comme aussi ne voyoit-on pas Tant de festins et tant de noces. Or, un cheval eut alors différend Avec un cerf plein de vitesse;
Et, ne pouvant l'attraper en courant, Il eut recours à l'homme, implora son adresse.
L'homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos, Ne lui donna point de repos
Que le cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie.
Et cela fait, le cheval remercie
L'homme son bienfaiteur, disant : « Je suis à vous; Adieu; je m'en retourne en mon séjour sauvage.
Non pas cela, dit l'homme; il fait meilleur chez nous : Je vois trop quel est votre usage. Demeurez donc; vous serez bien traité, Et jusqu'au ventre en la litière. »
Hélas! que sert la bonne chère Quand on n'a pas la liberté !
Le cheval s'aperçut qu'i' avoit fait folie; Mais il n'étoit plus temps; déjà son écurie Étoit prête et tor.ie bâtie.
Il y mourut en traînant son lien : Sage s'il eût remis une légère offense.
Quel que soit le plaisir que cause la vengeance, C'est l'acheter trop cher que l'acheter d'un bien Sans qui les autres ne sont rien.
FABLE XIV. Le Renard et le Buste.
Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre; Leur apparence impose au vulgaire idolâtre. L'âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit : Le renard, au contraire, à fond les examine, Les tourne de tout sens; et, quand il s'aperçoit Que leur fait n'est que bonne mine, Il leur applique un mot qu'un buste de héros Lui fit dire fort à propos.
C'étoit un buste creux, et plus grand que nature. Le renard, en louant l'effort de la sculpture : << Belle tête, dit-il; mais de cervelle point. »
Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point!
La bique, allant remplir sa traînante mamelle, Et paître l'herbe nouvelle, Ferma sa porte au loquet, Non sans dire à son biquet: << Gardez-vous, sur votre vie, D'ouvrir que l'on ne vous die, Pour enseigne et mot du guet : << Foin du loup et de sa race! » Comme elle disoit ces mots, Le loup, de fortune, passe; Il les recueille à propos, Et les garde en sa mémoire. La bique, comme on peut croire, N'avoit pas vu le glouton.
Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton, Et, d'une voix papelarde,
Il demande qu'on ouvre, en disant : « Foin du loup! Et croyant entrer tout d'un coup.
Le biquet soupçonneux par la fente regarde :
« Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point, S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point Chez les loups, comme on sait, rarement en usage. Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage, Comme il étoit venu s'en retourna chez soi.
Où seroit le biquet s'il eût ajouté foi
Au mot du guet que, de fortune, Notre loup avoit entendu?
Deux sûretés valent mieux qu'une;
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
« PreviousContinue » |