FABLE I. Le Meunier, son Fils et l'Ane. Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre, Qui par tous ses degrés avez déjà passé, Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé, A quoi me résoudrai-je? il est temps que j'y pense. Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la cour? «J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils, Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre. « Pauvre gens! idiots! couple ignorant et rustre! » Le premier qui les vit de rire s'éclata: Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là? « Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense. » α << Oh là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise, Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter. » L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte; Quand trois filles passant, l'une dit : « C'est grand'honte « Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, «1 Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, << Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage. - Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge : « Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. » Après maints quolibets coup sur coup renvoyés, L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe. Au bout de trente pas, une troisième troupe Trouve encore à gloser. L'un dit : « Ces gens sont fous! « Le baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups. << Eh quoi! charger ainsi cette pauvre bourrique! N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique? • Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau. Parbleu! dit le meunier, est bien fou du cerveau α α a Qui prétend contenter tout le monde et son père. Essayons toutefois si par quelque manière « Nous en viendrons à bout. » Ils descendent tous deux. L'âne se prélassant marche seul devant eux. Un quidam les rencontre, et dit : « Est-ce la mode Que baudet aille à l'aise, et meunier s'incommode? Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser? • Je conseille à ces gens de le faire enchâsser. << Ils usent leurs souliers, et conservent leur âne! « Nicolas, au rebours: car, quand il va voir Jeanne, « Il monte sur sa bête; et la chanson le dit. Beau trio de baudets! Le meunier repartit: Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue; Mais que dorénavant on me blâme, on me loue, « Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien, « J'en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien. ་་ > Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour ou le prince; FABLE II. Les Membres et l'Estomac. Je devois par la royauté Avoir commencé mon ouvrage : Messer Gaster1 en est l'image; S'il a quelque besoin, tout le corps s'en ressent. De travailler pour lui les membres se lassant, Chômons; c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre. • 1. L'estomac. Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur, Que celui qu'ils croyoient oisif et paresseux Ceci peut s'appliquer à la grandeur royale. Elle fait subsister l'artisan de ses peines, Ménénius le sut bien dire. La commune s'alloit séparer du sénat. Qu'ils étoient aux membres semblables, FABLE III. Le Loup devenu berger. Un loup qui commençoit d'avoir petite part Crut qu'il falloit s'aider de la peau du renard, Il s'habille en berger, endosse un hoqueton; Fait sa houlette d'un bâton, Pour pousser jusqu'au bout la ruse, Il auroit volontiers écrit sur son chapeau : Et ses pieds de devant posés sur sa houlette, Son chien dormoit aussi, comme aussi sa musette : Et, pour pouvoir mener vers son fort les brebis, Il ne put du pasteur contrefaire la voix. Ne put ni fuir ni se défendre. Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. Quiconque est loup agisse en loup : C'est le plus certain de beaucoup. FABLE IV. Les Grenouilles qui demandent un Roi. Les grenouilles se lassant De l'état démocratique, Par leurs clameurs firent tant Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique |