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FABLE XXVII. Le Juge arbitre, l'Hospitalier, et le Solitaire.

Trois saints, également jaloux de leur salut,
Portés d'un même esprit, tendoient à même but.
Ils s'y prirent tous trois par des routes diverses:
Tous chemins vont à Rome; ainsi nos concurrens
Crurent pouvoir choisir des sentiers différens.
L'un, touché des soucis, des longueurs, des traverses,
Qu'en apanage on voit aux procès attachés,
S'offrit de les juger sans récompense aucune,
Peu soigneux d'établir ici-bas sa fortune.
Depuis qu'il est des lois, l'homme, pour ses péchés,
Se condamne à plaider la moitié de sa vie :
La moitié, les trois quarts, et bien souvent le tout.
Le conciliateur crut qu'il viendroit à bout
De guérir cette folle et détestable envie.
Le second de nos saints choisit les hôpitaux.
Je le loue; et le soin de soulager les maux
Est une charité que je préfère aux autres.
Les malades d'alors, étant tels que les nôtres,
Donnoient de l'exercice au pauvre hospitalier;
Chagrins, impatiens, et se plaignant sans cesse :
Il a pour tels et tels un soin particulier,

Ce sont ses amis; il nous laisse.»

Ces plaintes n'étoient rien au prix de l'embarras
Où se trouva réduit l'appointeur de débats :
Aucun n'étoit content; la sentence arbitrale
A nul des deux ne convenoit :

Jamais le juge ne tenoit

A leur gré la balance égale.

De semblables discours rebutoient l'appointeur.
Il court aux hôpitaux, va voir leur directeur.

Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure,
Affligés, et contraints de quitter ces emplois,

Vont confier leur peine au silence des bois.

Là, sous d'âpres rochers, près d'une source pure,
Lieu respecté des vents, ignorés du soleil,

Ils trouvent l'autre saint, lui demandent conseil.
« Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.
Qui, mieux que vous, sait vos besoins?
Apprendre à se connoître est le premier des soins
Qu'impose à tout mortel la majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité?
L'on ne le peut qu'aux lieux pleins de tranquillité
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême.
Troublez l'eau: vous y voyez-vous?

Agitez celle-ci.

Comment nous verrions-nous?

La vase est un épais nuage

Qu'aux effets du cristal nous venons d'opposer.

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Mes frères, dit le saint, laissez-la reposer,

Vous verrez alors votre image.

Pour vous mieux contempler, demeurez au désert, »

Ainsi parla le solitaire.

Il fut cru; l'on suivit ce conseil salutaire.

Ce n'est pas qu'un emploi ne doive être souffert.
Puisqu'on plaide et qu'on meurt, et qu'on devient malade,
Il faut des médecins, il faut des avocats;

Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas :
Les honneurs et le gain, tout me le persuade.
Cependant on s'oublie en ces communs besoins.
O vous, dont le public emporte tous les soins,
Magistrats, princes et ministres,

Vous que doivent troubler mille accidens sinistres,
Que le malheur abat, que le bonheur corrompt,
Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.
Si quelque bon moment à ces pensers vous donne,
Quelque flatteur vous interrompt.

Cette leçon sera la fin de ces ouvrages:
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir !
Je la présente aux rois, je la propose aux sages:
Par où saurois-je mieux finir?

FIN DES FABLES.

PHILEMON ET BAUCIS.

SUJET TIRÉ DES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE.

A MONSEIGNEUR LE DUC DE VENDOME'.

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux.
Ces deux divinités n'accordent à nos vœux

Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille:
Des soucis dévorans c'est l'éternel asile;

Véritables vautours, que le fils de Japet
Représente, enchaîné sur son triste sommet.
L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste.
Le sage y vit en paix, et méprise le reste :
Content de ses douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois;

Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne
Que la Fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.
Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour;

Rien ne trouble sa fin: c'est le soir d'un beau jour.

Philémon et Baucis nous en offrent l'exemple:
Tous deux virent changer leur cabane en un temple.
Hyménée et l'Amour, par des désirs constans,
Avoient uni leurs cœurs dès leur plus doux printemps:
Ni le temps ni l'hymen n'éteignirent leur flamme.
Clothon prenoit plaisir à filer cette trame

Ils surent cultiver, sans se voir assistés,

Leur enclos et leur champ par deux fois vingt étés.
Eux seuls ils composoient toute leur république :
Heureux de ne devoir à pas un domestique
Le plaisir ou le gré des soins qu'ils se rendoient!
Tout vieillit sur leur front les rides s'étendoient;
L'amitié modéra leurs feux sans les détruire,

1. Le duc de Vendôme, arrière-petit-fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, et général célèbre.

2. Prométhée enchaîné sur le Caucase.

Et par des traits d'amour sut encor se produire.
Ils habitoient un bourg plein de gens dont le cœur
Joignoit aux duretés un sentiment moqueur.
Jupiter résolut d'abolir cette engeance.

Il part avec son fils, le dieu de l'éloquence1;
Tous deux en pèlerins vont visiter ces lieux.
Mille logis y sont, un seul ne s'ouvre aux dieux.
Prêts enfin à quitter un séjour si profane,
Ils virent à l'écart une étroite cabane,
Demeure hospitalière, humble et chaste maison.
Mercure frappe: on ouvre. Aussitôt Philémon
Vient au-devant des dieux, et leur tient ce langage:
« Vous me semblez tous deux fatigués du voyage:
Reposez-vous. Usez du peu que nous avons;
L'aide des dieux a fait que nous le conservons :
Usez-en. Saluez ces pénates d'argile :
Jamais le ciel ne fut aux humains si facile,
Que quand Jupiter même étoit de simple bois;
Depuis qu'on l'a fait d'or, il est sourd à nos voix.
Baucis, ne tardez point: faites tiédir cette onde :
Encor que le pouvoir au désir ne réponde,
Nos hôtes agréeront les soins qui leur sont dus. »
Quelques restes de feu sous la cendre épandus
D'un souffle haletant par Baucis s'allumèrent :
Des branches de bois sec aussitôt s'enflammèrent :
L'onde tiède, on lava les pieds des voyageurs.
Philémon les pria d'excuser ces longueurs :
Et pour tromper l'ennui d'une attente importune,
Il entretint les dieux, non point sur la fortune,
Sur ses jeux, sur la pompe et la grandeur des rois;
Mais sur ce que les champs, les vergers et les bois
Ont de plus innocent, de plus doux, de plus rare.

Cependant par Baucis le festin se prépare.
La table où l'on servit le champêtre repas
Fut d'ais non façonnés à l'aide du compas:

1. Mercure.

Encore assure-t-on, si l'histoire en est crue,
Qu'en un de ses supports le temps l'avoit rompue.
Baucis en égala les appuis chancelans

Du débris d'un vieux vase, autre injure des ans.
Un tapis tout usé couvrit deux escabelles :
Il ne servoit pourtant qu'aux fêtes solennelles.
Le linge orné de fleurs fut couvert, pour tout mets,
D'un peu de lait, de fruits, et des dons de Cérès.
Les divins voyageurs, altérés de leur course,
Mêloient au vin grossier le cristal d'une source.
Plus le vase versoit, moins il s'alloit vidant.
Philémon reconnut ce miracle évident;

Baucis n'en fit pas moins tous deux s'agenouillèrent;
A ce signe d'abord leurs yeux se dessillèrent.
Jupiter leur parut avec ces noirs sourcils

Qui font trembler les cieux sur leurs pôles assis.
« Grand dieu, dit Philémon, excusez notre faute :
Quels humains auroient cru recevoir un tel hôte?
Ces mets, nous l'avouons, sont peu délicieux :
Mais, quand nous serions rois, que donner à des dieux?
C'est le cœur qui fait tout: que la terre et que l'onde
Apprêtent un repas pour les maîtres du monde;
Ils lui préféreront les seuls présens du cœur. »
Baucis sort à ces mots pour réparer l'erreur.
Dans le verger couroit une perdrix privée,
Et par de tendres soins dès l'enfance élevée;
Elle en veut faire un mets, et la poursuit en vain :
La volatille échappe à sa tremblante main;

Entre les pieds des dieux elle cherche un asile.

Ce recours à l'oiseau

ne fut pas inutile :

Jupiter intercède. Et déjà les vallons

Voyoient l'ombre en croissant tomber du haut des monts.

Les dieux sortent enfin, et font sortir leurs hôtes.
« De ce bourg, dit Jupin, je veux punir les fautes :
Suivez-nous. Toi, Mercure, appelle les vapeurs.

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gens durs! vous n'ouvrez vos logis ni vos cœurs!» Il dit et les autans troublent déjà la plaine.

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