Comme un corbeau d'ailes pourvue, Tout de ce pas je m'en irois Apprendre au moins quelle contrée, Quel accident tient arrêtée
Notre compagne au pied léger : Car, à l'égard du cœur, il en faut mieux juger. Le corbeau part à tire-d'aile : Il aperçoit de loin l'imprudente gazelle
Prise au piége et se tourmentant.
Il retourne avertir les autres à l'instant; Car, de lui demander quand, pourquoi, ni comment Ce malheur est tombé sur elle,
Et perdre en vains discours cet utile moment, Comme eût fait un maître d'école,
Il avoit trop de jugement.
Le corbeau donc vole et revole. Sur son rapport les trois amis Tiennent conseil. Deux sont d'avis De se transporter sans remise
Aux lieux où la gazelle est prise. L'autre, dit le corbeau, gardera le logis: Avec son marcher lent, quand arriveroit-elle ? Après la mort de la gazelle.
Ces mots à peine dits, ils s'en vont secourir Leur chère et fidèle compagne, Pauvre chevrette de montagne. La tortue y voulut courir :
La voilà comme eux en campagne, Maudissant ses pieds courts avec juste raison, Et la nécessité de porter sa maison.
Rongemaille (le rat eut à bon droit ce nom)
Coupe les nœuds du lacs: on peut penser la joie.
Le chasseur vient, et dit : « Qui m'a ravi ma proie? »
Rongemaille, à ces mots, se retire en un trou,
Le corbeau sur un arbre, en un bois la gazelle Et le chasseur, à demi fou
De n'en avoir nulle nouvelle,
Aperçoit la tortue, et retient son courroux.
D'où vient, dit-il, que je m'effraye?
Je veux qu'à mon souper celle-ci me défraye. Il la mit dans son sac. Elle eût payé pour tous, Si le corbeau n'en eût averti la chevrette.
Celle-ci, quittant sa retraite,
Contrefait la boiteuse et vient se présenter. L'homme de suivre, et de jeter
Tout ce qui lui pesoit : si bien que Rongemaille Autour des nœuds du sac tant opère et travaille, Qu'il délivre encor l'autre sœur,
Sur qui s'étoit fondé le souper du chasseur.
Pilpay conte qu'ainsi la chose s'est passée. Pour peu que je voulusse invoquer Apollon, J'en ferois, pour vous plaire, un ouvrage aussi long Que l'Iliade ou l'Odyssée.
Rongemaille feroit le principal héros, Quoiqu'à vrai dire ici chacun soit nécessaire. Porte-maison l'infante y tient de tels propos, Que monsieur du corbeau va faire
Office d'espion, et puis de messager. La gazelle a d'ailleurs l'adresse d'engager Le chasseur à donner du temps à Rongemaille Ainsi chacun dans son endroit
S'entremet, agit, et travaille.
A qui donner le prix? Au cœur, si l'on m'en croit. Que n'ose et que ne peut l'amitié violente! Cet autre sentiment que l'on appelle amour Mérite moins d'honneur; cependant chaque jour Je le célèbre et je le chante.
Hélas! il n'en rend pas mon âme plus contente! Vous protégez sa sœur, il suffit; et mes vers Vont s'engager pour elle à des tons tout divers. Mon maître étoit l'Amour; j'en vais servir un autre, Et porter par tout l'univers
Sa gloire aussi bien que la vôtre
Un bûcheron venoit de rompre ou d'égarer Le bois dont il avoit emmanché sa cognée. Cette perte ne put sitôt se réparer
Que la forêt n'en fût quelque temps épargnée. L'homme enfin la prie humblement De lui laisser tout doucement Emporter une unique branche,
Afin de faire un autre manche :
Il iroit employer ailleurs son gagne-pain; Il laisseroit debout maint chêne et maint sapin Dont chacun respectoit la vieillesse et les charmes. L'innocente forêt lui fournit d'autres armes. Elle en eut du regret. Il emmanche son fer: Le misérable ne s'en sert Qu'à dépouiller sa bienfaitrice De ses principaux ornemens. Elle gémit à tous momens : Son propre don fait son supplice.
Voilà le train du monde et de ses sectateurs : On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs. Je suis las d'en parler. Mais que de doux ombrages Soient exposés à ces outrages,
Qui ne se plaindroit là-dessus?
Hélas! j'ai beau crier et me rendre incommode, L'ingratitude et les abus
N'en seront pas moins à la mode.
FABLE XVII. Le Renard, le Loup, et le Cheval.
Un renard, jeune encor, quoique des plus madrés, Vit le premier cheval qu'il eût vu de sa vie. Il dit à certain loup, franc novice: « Accourez, Un animal paît dans nos prés,
Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous? dit le loup en riant: Fais-moi son portrait, je te prie.
Si j'étois quelque peintre ou quelque étudiant, Repartit le renard, j'avancerois la joie
Que vous aurez en le voyant.
Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie Que la fortune nous envoie. >>
Ils vont; et le cheval, qu'à l'herbe on avoit mis, Assez peu curieux de semblables amis,
Fut presque sur le point d'enfiler la venelle.
Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs Apprendroient volontiers comment on vous appelle. » Le cheval, qui n'étoit dépourvu de cervelle,
Leur dit : « Lisez mon nom, vous le pouvez, messieurs; Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle. » Le renard s'excusa sur son peu de savoir.
"Mes parens, reprit-il, ne m'ont point fait instruire Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir : Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire.» Le loup, par ce discours flatté, S'approcha. Mais sa vanité
Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre Un coup; et haut le pied. Voilà mon loup par terre, Mal en point, sanglant, et gâté.
Frère, dit le renard, ceci nous justifie
Ce que m'ont dit des gens d'esprit : Cet animal vous a sur la mâchoire écrit Que de tout inconnu le sage se méfie. »
FABLE XVIII. Le Renard et les Poulets d'Inde.
Contre les assauts d'un renard
Un arbre à des dindons servoit de citadelle. Le perfide ayant fait tout le tour du rempart, Et vu chacun en sentinelle,
Quoi! ces gens se moqueront de moi! Eux seuls seront exempts de la commune loi !
Non, par tous les dieux ! non. » Il accomplit son dire. La lune, alors luisant, sembloit, contre le sire, Vouloir favoriser la dindonnière gent.
Lui, qui n'étoit novice au métier d'assiégeant, Eut recours à son sac de ruses scélérates, Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes, Puis contrefit le mort, puis le ressuscité Arlequin n'eût exécuté
Tant de différens personnages.
Il élevoit sa queue, il la faisoit briller, Et cent mille autres badinages,
Pendant quoi nul dindon n'eût osé sommeiller. L'ennemi les lassoit en leur tenant la vue Sur même objet toujours tendue.
Les pauvres gens étant à la longue éblouis, Toujours il en tomboit quelqu'un autant de pris, Autant de mis à part: près de moitié succombe Le compagnon les porte en son garde-manger.
Le trop d'attention qu'on a pour le danger Fait le plus souvent qu'on y tombe.
Il est un singe dans Paris
A qui l'on avoit donné femme : Singe en effet d'aucuns maris, Il la battoit. La pauvre dame
En a tant soupiré, qu'enfin elle n'est plus. Leur fils se plaint d'étrange sorte, Il éclate en cris superflus.
Le père en rit sa femme est morte; Il a déjà d'autres amours,
Que l'on croit qu'il battra toujours; Il hante la taverne, et souvent il s'enivre.
N'attendez rien de bon du peuple imitateur,
« PreviousContinue » |