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Nous croyons, après Pythagore,
Qu'avec les animaux de forme nous changeons;
Tantôt milans, tantôt pigeons,
Tantôt humains, puis volatilles

Ayan! dans les airs leurs familles. »

Comme l'on conte en deux façons L'accident du chasseur, voici l'autre manière :

Un certain fauconnier ayant pris, ce dit-on,
A la chasse un milan (ce qui n'arrive guère),
En voulut au roi faire un don,
Comme de chose singulière :

Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans;
C'est le non plus ultra de la fauconnerie.
Ce chasseur perce donc un gros de courtisans,
Plein de zèle, échauffé, s'il le fut de sa vie
Par ce parangon des présens

Il croyoit sa fortune faite :
Quand l'animal porte-sonnette,
Sauvage encore et tout grossier,
Avec ses ongles tout d'acier,

Prend le nez du chasseur, happe le pauvre sire.
Lui de crier; chacun de rire,

Monarque et courtisans. Qui n'eût ri? Quant à moi,
Je n'en eusse quitté ma part pour un empire.
Qu'un pape rie, en bonne foi

Je ne l'ose assurer; mais je tiendrois un roi
Bien malheureux s'il n'osoit rire :

C'est le plaisir des dieux. Malgré son noir souci,
Jupiter et le peuple immortel rit aussi.

Il en fit des éclats, à ce que dit l'histoire,
Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire.
Que le peuple immortel se montrât sage, ou non,
J'ai changé mon sujet avec juste raison;

Car, puisqu'il s'agit de morale,

Que nous eût du chasseur l'aventure fatale

Enseigné de nouveau? L'on a vu de tout temps
Plus de sots fauconniers que de rois indulgens.

FABLE XIII. Le Renard, les Mouches, et le Hérisson.

Aux traces de son sang un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil, et matois,

Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange
Autrefois attira ce parasite ailé

Que nous avons mouche appelé.

Il accusoit les dieux, et trouvoit fort étrange
Que le sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux mouches manger.

• Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets?
Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile?
Va, le ciel te confonde, animal importun!

Que ne vis-tu sur le commun! »

Un hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Du peuple plein d'avidité :

Je les vais de mes dards enfiler par centaines, Voisin renard, dit-il, et terminer tes peines. -Garde-t'en bien, dit l'autre; ami, ne le fais pas : Laisse-les, je te prie, achever leur repas.

Ces animaux sont soûls; une troupe nouvelle Viendroit fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle. »

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas :
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote appliquoit cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,

Surtout au pays où nous sommes.

Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns.

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Tout est mystère dans l'Amour,

Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance: Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour

Que d'épuiser cette science.

Je ne prétends donc point tout expliquer ici ·
Mon but est seulement de dire à ma manière,
Comment l'aveugle que voici

(C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière, Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien : J'en fais juge un amant, et ne décide rien.

La Folie et l'Amour jouoient un jour ensemble:
Celui-ci n'étoit pas encor privé des yeux.
Une dispute vint: l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux;
L'autre n'eut pas la patience;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu'il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.

Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris:
Les dieux en furent étourdis,

Et Jupiter, et Némésis,

Et les juges d'enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas;

Son fils, sans un bâton, ne pouvoit faire un pas :
Nulle peine n'étoit pour ce crime assez grande :
Le dommage devoit être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré

L'intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie

A servir de guide à l'Amour.

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la Tortue, et le Rat.

A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Je vous gardois un temple dans mes vers:
Il n'eût fini qu'avecque l'univers.

Déjà ma main en fondoit la durée
Sur ce bel art qu'ont les dieux inventé,
Et sur le nom de la divinité

Que dans ce temple on auroit adorée.
Sur le portail j'aurois ces mots écrits:
« Palais sacré de la déesse Iris : »
Non celle-là qu'a Junon à ses gages;
Car Junon même et le maître des dieux
Serviroient l'autre, et seroient glorieux
Du seul honneur de porter ses messages.
L'apothéose à la voûte eût paru:
Là, tout l'Olympe en pompe eût été vu
Plaçant Iris sous un dais de lumière.
Les murs auroient amplement contenu
Toute sa vie; agréable matière,
Mais peu féconde en ces événemens
Qui des États font les renversemens.
Au fond du temple eût été son image,
Avec ses traits, son souris, ses appas,
Son art de plaire et de n'y penser pas,
Ses agrémens à qui tout rend hommage.
J'aurois fait voir à ses pieds des mortels
Et des héros, des demi-dieux encore,
Même des dieux : ce que le monde adore
Vient quelquefois parfumer ses autels.
J'eusse en ses yeux fait briller de son âme
Tous les trésors, quoique imparfaitement :
Car ce cœur vif et tendre infiniment
Pour ses amis, et non point autrement;
Car cet esprit, qui, né du firmament,
A beauté d'homme avec grâce de femme,
Ne se peut pas, comme on veut, exprimer

O vous, Iris, qui savez tout charmer,
Qui savez plaire en un degré suprême,
Vous que l'on aime à l'égal de soi-même
(Ceci soit dit sans nul soupçon d'amour,
Car c'est un mot banni de votre cour,
Laissons-le donc), agréez que ma muse
Achève un jour cette ébauche confuse.
J'en ai placé l'idée et le projet,
Pour plus de grâce, au-devant d'un sujet
Où l'amitié donne de telles marques,
Et d'un tel prix, que leur simple récit
Peut quelque temps amuser votre esprit;
Non que ceci se passe entre monarque:
Ce que chez vous nous voyons estimer
N'est pas un roi qui ne sait point aimer;
C'est un mortel qui sait mettre sa vie
Pour son ami. J'en vois peu de si bons.
Quatre animaux, vivant de compagnie,
Vont aux humains en donner des leçons.

La gazelle, le rat, le corbeau, la tortue,
Vivoient ensemble unis: douce société.
Le choix d'une demeure aux humains inconnue
Assuroit leur félicité.

Mais quoi! l'homme découvre enfin toutes retraites.
Soyez au milieu des déserts,

Au fond des eaux, au haut des airs,
Vous n'éviterez point ses embûches secrètes.
La gazelle s'alloit ébattre innocemment,
Quand un chien, maudit instrument
Du plaisir barbare des hommes,

Vint sur l'herbe éventer les traces de ses pas.
Elle fuit. Et le rat, à l'heure du repas,

Dit aux amis restans : « D'où vient que nous ne sommes Aujourd'hui que trois conviés?

La gazelle déjà nous a-t-elle oubliés? »

A ces paroles, la tortue

S'écrie, et dit : « Ah! si j'étois

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