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Répétoit les leçons que lui donnoit son maître.
D'abord il s'y prit mal, puis un peu mieux, puis bien,
Puis enfin il n'y manqua rien.

A peine il fut instruit autant qu'il pouvoit l'être,
Qu'un troupeau s'approcha. Le nouveau loup y court,
Et répand la terreur dans les lieux d'alentour.
Tel, vêtu des armes d'Achille,

Patrocle mit l'alarme au camp et dans la ville:
Mères, brus et vieillards, au temple couroient tous.
L'ost du peuple bêlant crut voir cinquante loups:
Chien, berger, et troupeau, tout fuit vers le village,
Et laisse seulement une brebis pour gage.
Le larron s'en saisit. A quelques pas de là
Il entendit chanter un coq du voisinage.
Le disciple aussitôt droit au coq s'en alla,
Jetant bas sa robe de classe,

Oubliant les brebis, les leçons, le régent,
Et courant d'un pas diligent.

Que sert-il qu'on se contrefasse?
Prétendre ainsi changer est une illusion :
L'on reprend sa première trace
A la première occasion.

De votre esprit, que nul autre n'égale, Prince, ma muse tient tout entier ce projet : Vous m'avez donné le sujet,

Le dialogue et la morale.

FABLE X.-L'Écrevisse et sa Fille.

Les sages quelquefois, ainsi que l'écrevisse,
Marchent à reculons, tournent le dos au port.
C'est l'art des matelots : c'est aussi l'artifice
De ceux qui, pour couvrir quelque puissant effort,
Envisagent un point directement contraire,
Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire.

Mon sujet est petit, cet accessoire est grand :
Je pourrois l'appliquer à certain conquérant
Qui tout seul déconcerte une ligue à cent têtes.
Ce qu'il n'entreprend pas, et ce qu'il entreprend,
N'est d'abord qu'un secret, puis devient des conquêtes.
En vain l'on a les yeux sur ce qu'il veut cacher,
Ce sont arrêts du sort qu'on ne peut empêcher:
Le torrent à la fin devient insurmontable.
Cent dieux sont impuissans contre un seul Jupiter.
Louis et le Destin me semblent de concert
Entraîner l'univers. Venons à notre fable.

Mère écrevisse un jour à sa fille disoit :

« Comme tu vas, bon Dieu! ne peux-tu marcher droit?
Et comme vous allez vous-même! dit la fille :
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille ?
Veut-on que j'aille droit quand on y va tortu? »

Elle avoit raison : la vertu

De tout exemple domestique
Est universelle, et s'applique

En bien, en mal, en tout; fait des sages, des sots;
Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
A son but, j'y reviens; la méthode en est bonne,
Surtout au métier de Bellone :
Mais il faut le faire à propos.

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L'aigle, reine des airs, avec Margot la pie,
Différentes d'humeur, de langage, et d'esprit,
Et d'habit,

Traversoient un bout de prairie.

Le hasard les assemble en un coin détourné.
L'agace eut peur : mais l'aigle, ayant fort bien dîné,
La rassure, et lui dit : « Allons de compagnie :
Si le maître des dieux assez souvent s'ennuie,

Lui qui gouverne l'univers,

J'en puis bien faire autant, moi qu'on sait qui le sers.
Entretenez-moi donc, et sans cérémonie. »
Caquet-bon-bec alors de jaser au plus dru,
Sur ceci, sur cela, sur tout. L'homme d'Horace,
Disant le bien, le mal, à travers champs, n'eût su
Ce qu'en fait de babil y savoit notre agace.
Elle offre d'avertir de tout ce qui se passe,
Sautant, allant de place en place,

Bon espion, Dieu sait. Son offre ayant déplu,
L'aigle lui dit tout en colère :

<< Ne quittez point votre séjour,
Caquet-bon-bec, m'amie : adieu; je n'ai que faire
D'une babillarde à ma cour:

C'est un fort méchant caractère. »
Margot ne demandoit pas mieux.

Ce n'est pas ce qu'on croit que d'entrer chez les dieux :
Cet honneur a souvent de mortelles angoisses.
Rediseurs, espions, gens à l'air gracieux,
Au cœur tout différent, s'y rendent odieux :
Quoique ainsi que la pie il faille dans ces lieux
Porter habit de deux paroisses.

FABLE XII. - Le Roi, le Milan, et le Chasseur.

A S. A. S. MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI

Comme les dieux sont bons, ils veulent que les rois
Le soient aussi : c'est l'indulgence

Qui fait le plus beau de leurs droits,
Non les douceurs de la vengeance.
Prince, c'est votre avis. On sait que le courroux
S'éteint en votre cœur sitôt qu'on l'y voit naître.
Achille, qui du sien ne put se rendre maître,
Fut par là moins héros que vous.

Ce titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes

Qui, comme en l'âge d'or, font cent biens ici-bas.
Peu de grands sont nés tels en cet âge où nous sommes.
L'univers leur sait gré du mal qu'ils ne font pas.

Loin que vous suiviez ces exemples,

Mille actes généreux vous promettent des temples.
Apollon, citoyen de ces augustes lieux,
Prétend y célébrer votre nom sur sa lyre.
Je sais qu'on vous attend dans le palais des dieux
Un siècle de séjour doit ici vous suffire.
Hymen veut séjourner tout un siècle chez vous.
Puissent ses plaisirs les plus doux
Vous composer des destinées

Par ce temps à peine bornées !

Et la princesse et vous n'en méritez pas moins.
J'en prends ses charmes pour témoins;
Pour témoins j'en prends les merveilles
Par qui le ciel, pour vous prodigue en ses présens,
De qualités qui n'ont qu'en vous seul leurs pareilles
Voulut orner vos jeunes ans.

Bourbon de son esprit ses grâces assaisonne :
Le ciel joignit en sa personne
Ce qui sait se faire estimer
A ce qui sait se faire aimer :
Il ne m'appartient pas d'étaler votre joie
Je me tais donc, et vais rimer

Ce que fit un oiseau de proie.

Un milan, de son nid antique possesseur,
Étant pris vif par un chasseur,

D'en faire au prince un don cet homme se propose.
La rareté du fait donnoit prix à la chose.
L'oiseau, par le chasseur humblement présenté,
Si ce conte n'est apocryphe,

Va tout droit imprimer sa griffe

Sur le nez de sa majesté.

- Quoi! sur le nez du roi? —Du roi même en personue. — Il n'avoit donc alors ni sceptre ni couronne?

- Quand il en auroit eu, ç'auroit été tout un :

Le nez royal fut pris comme un nez du commun.
Dire des courtisans les clameurs et la peine
Seroit se consumer en efforts impuissans.
Le roi n'éclata point : les cris sont indécens
A la majesté souveraine.

L'oiseau garda son poste: on ne put seulement
Håter son départ d'un moment.

Son maître le rappelle, et crie, et se tourmente,
Lui présente le leurre, et le poing, mais en vain.
On crut que jusqu'au lendemain

Le maudit animal à la serre insolente
Nicheroit là malgré le bruit,

Et sur le nez sacré voudroit passer la nuit.
Tâcher de l'en tirer irritoit son caprice.

Il quitte enfin le roi, qui dit : « Laissez aller
Ce milan, et celui qui m'a cru régaler.
Ils se sont acquittés tous deux de leur office,
L'un en milan, et l'autre en citoyen des bois :
Pour moi, qui sais comment doivent agir les rois,
Je les affranchis du supplice. »

Et la cour d'admirer. Les courtisans ravis
Élèvent de tels faits, par eux si mal suivis :
Bien peu, même des rois, prendroient un tel modèle,
Et le veneur l'échappa belle;

Coupables seulement, tant lui que l'animal,
D'ignorer le danger d'approcher trop du maître
Ils n'avoient appris à connoître

Que les hôtes des bois : étoit-ce un si grand mal?

Pilpay fait près du Gange arriver l'aventure.
Là, nulle humaine créature

Ne touche aux animaux pour leur sang épancher :
Le roi même feroit scrupule d'y toucher.

་་

Savons-nous, disent-ils, si cet oiseau de proie
N'étoit point au siége de Troie?

Peut-être y tint-il lieu d'un prince ou d'un héros
Des plus huppés et des plus hauts :

Ce qu'il fut autrefois il pourra l'être encore.

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