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Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours?
Tu gagnerois autant de parler à des sourds.
Chat, et vieux, pardonner! cela n'arrive guères.
Selon ces lois, descends là-bas,

Meurs, et va-t'en, tout de ce pas,
Haranguer les sœurs filandières :
Mes enfans trouveront assez d'autres repas.
Il tint parole. Et pour ma fable

Voici le sens moral qui peut y convenir :

La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir :
La vieillesse est impitoyable.

FABLE VI. Le Cerf malade.

En pays plein de cerfs un cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade

Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins: multitude importune.
« Eh! messieurs, laissez-moi mourir :
Permettez qu'en forme commune

La parque m'expédie, et finissez vos pleurs.»
Point du tout; les consolateurs

De ce triste devoir tout au long s'acquittèrent,
Quand il plut à Dieu s'en allèrent :
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C'est-à-dire sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.

La pitance du cerf en déchut de beaucoup.
Il ne trouva plus rien à frire :

D'un mal il tomba dans un pire,
Et se vit réduit à la fin

A jeûner et mourir de faim.

Il en coûte à qui vous réclame,

Médecins du corps et de l'âme!

O temps! ô mœurs! j'ai beau crier,
Tout le monde se fait payer.

FABLE VII.- La Chauve-Souris, le Buisson,
et le Canard.

Le buisson, le canard, et la chauve-souris,
Voyant tous trois qu'en leur pays

Ils faisoient petite fortune,

Vont trafiquer au loin, et font bourse commune.
Ils avoient des comptoirs, des facteurs, des agens
Non moins soigneux qu'intelligens,
Des registres exacts de mise et de recette.
Tout alloit bien; quand leur emplette,
En passant par certains endroits
Remplis d'écueils et fort étroits,
Et de trajet très-difficile,

Alla tout emballée au fond des magasins
Qui du Tartare sont voisins.

Notre trio poussa maint regret inutile;
Ou plutôt il n'en poussa point:

Le plus petit marchand est savant sur ce point:
Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.
Celle que, par malheur, nos gens avoient soufferte
Ne put se réparer le cas fut découvert.

Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource,
Prêts à porter le bonnet vert.
Aucun ne leur ouvrit sa bourse.

Et le sort principal, et les gros intérêts,
Et les sergens, et les procès,
Et le créancier à la porte
Dès devant la pointe du jour,
N'occupoient le trio qu'à chercher maint détour
Pour contenter cette cohorte.

Le buisson accrochoit les passans à tous coups.
«Messieurs, leur disoit-il, de grâce, apprenez-nous
En quel lieu sont les marchandises

Que certains gouffres nous ont prises.

D

Le plongeon sous les eaux s'en alloit les chercher.
L'oiseau chauve-souris n'osoit plus approcher
Pendant le jour nulle demeure:
Suivi de sergens à toute heure,

En des trous il s'alloit cacher.

Je connois maint detteur, qui n'est ni souris-chauve, Ni buisson, ni canard, ni dans tel cas tombé,

Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve Par un escalier dérobé.

FABLE VIII. La Querelle des Chiens et des Chats, et celle des Chats et des Souris.

La Discorde a toujours régné dans l'univers;
Notre monde en fournit mille exemples divers :
Chez nous cette déesse a plus d'un tributaire.
Commençons par les élémens:

Vous serez étonnés de voir qu'à tous momens
Ils seront appointés contraire.
Outre ces quatre potentats,

Combien d'êtres de tous états
Se font une guerre éternelle !

Autrefois un logis plein de chiens et de chats,
Par cent arrêts rendus en forme solennelle,
Vit terminer tous leurs débats.

Le maître ayant réglé leurs emplois, leurs repas,
Et menacé du fouet quiconque auroit querelle,
Ces animaux vivoient entre eux comme cousins.
Cette union si douce, et presque fraternelle,
Édifioit tous les voisins.

Enfin elle cessa. Quelque plat de potage,
Quelque os, par préférence, à quelqu'un d'eux donné,
Fit que l'autre parti s'en vint tout forcené

Représenter un tel outrage.

J'ai vu des chroniqueurs attribuer le cas

Aux passe-droits qu'avoit une chienne en gésine.
Quoi qu'il en soit, cet altercas

Mit en combustion la salle et la cuisine :

Chacun se déclara pour son chat, pour son chien.
On fit un règlement dont les chats se plaignirent,
Et tout le quartier étourdirent.

Leur avocat disoit qu'il falloit bel et bien
Recourir aux arrêts. En vain ils les cherchèrent
Dans un coin où d'abord leurs agens les cachèrent
Les souris enfin les mangèrent.

Autre procès nouveau. Le peuple souriquois
En pâtit maint vieux chat, fin, subtil et narquois,
Et d'ailleurs en voulant à toute cette race,

Les guetta, les prit, fit main basse.

Le maître du logis ne s'en trouva

que mieux.

J'en reviens à mon dire. On ne voit sous les cieux
Nul animal, nul être, aucune créature

Qui n'ait son opposé : c'est la loi de nature.
D'en chercher la raison, ce sont soins superflus.
Dieu fit bien ce qu'il fit, et je n'en sais pas plus.
Ce que je sais, c'est qu'aux grosses paroles

On en vient, sur un rien, plus des trois quarts du temps.
Humains, il vous faudroit encore à soixante ans
Renvoyer chez les barbacoles.

FABLE IX. Le Loup et le Renard.

D'où vient que personne en la vie

N'est satisfait de son état?
Tel voudroit bien être soldat
A qui le soldat porte envie.

Certain renard voulut, dit-on,
Se faire loup. Eh! qui peut dir
Que pour le métier de mouton
Jamais aucun loup ne soupire?

Ce qui m'étonne est qu'à huit ans
Un prince en fable ait mis la chose,
Pendant que sous mes cheveux blancs
Je fabrique à force de temps
Des vers moins sensés que sa prose.

Les traits dans sa fable semés
Ne sont en l'ouvrage du poëte
Ni tous ni si bien exprimés:
Sa louange en est plus complète.

De la chanter sur la musette,
C'est mon talent; mais je m'attends
Que mon héros, dans peu de temps,
Me fera prendre la trompette.

Je ne suis pas un grand prophète,
Cependant je lis dans les cieux
Que bientôt ses faits glorieux
Demanderont plusieurs Homères :
Et ce temps-ci n'en produit guères.
Laissant à part tous ces mystères,
Essayons de conter la fable avec succès.

Le renard dit au loup : « Notre cher, pour tout mets
J'ai souvent un vieux coq, ou de maigres poulets :
C'est une viande qui me lasse.

Tu fais meilleure chère avec moins de hasard :
J'approche des maisons; tu te tiens à l'écart.
Apprends-moi ton métier, camarade, de grâce;
Rends-moi le premier de ma race

Qui fournisse son croc de quelque mouton gras:
Tu ne me mettras point au nombre des ingrats.

Je le veux, dit le loup : il m'est mort un mien frère;
Allons prendre sa peau, tu t'en revêtiras. »

Il vint; et le loup dit : « Voici comme il faut faire,
Si tu veux écarter les mâtins du troupeau. »
Le renard, ayant mis la peau,

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