Page images
PDF
EPUB

Prince, j'aurois voulu vous choisir un sujet
Où je pusse mêler le plaisant à l'utile:
C'étoit sans doute un beau projet,
Si ce choix eût été facile.

Les compagnons d'Ulysse enfin se sont offerts:
Ils ont force pareils en ce bas univers,
Gens à qui j'impose pour peine
Votre censure et votre haine.

[merged small][ocr errors]

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE.

Un chat, contemporain d'un fort jeune moineau,
Fut logé près de lui dès l'âge du berceau :
La cage et le panier avoient mêmes pénates.
Le chat étoit souvent agacé par l'oiseau :
L'un s'escrimoit du bec; l'autre jouoit des pattes.
Ce dernier toutefois épargnoit son ami,
Ne le corrigeant qu'à demi :
Il se fût fait un grand scrupule
D'armer de pointes sa férule.
Le passereau, moins circonspec,
Lui donnoit force coups de bec.
En sage et discrète personne,
Maître chat excusoit ces jeux :
Entre amis il ne faut jamais qu'on s'abandonne
Aux traits d'un courroux sérieux.

Comme ils se connoissoient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenoit;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournoit :
Quand un moineau du voisinage

S'en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle,
Et Raton de prendre parti.

« Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle,
D'insulter ainsi notre ami!

Le moineau du voisin viendra manger le nôtre !
Non, de par tous les chats!» Entrant lors au combat,
Il croque l'étranger. « Vraiment, dit maître chat,
Les moineaux ont un goût exquis et délicat! >
Cette réflexion fit aussi croquer l'autre.

Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?
Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.
J'en crois voir quelques traits; mais leur ombre m'abuse.
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :

Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma muse;
Elle et ses sœurs n'ont pas l'esprit que vous avez.

FABLE III. Le Thésauriseur et le Singe Un homme accumuloit. On sait que cette erreur Va souvent jusqu'à la fureur.

Celui-ci ne songeoit que ducats et pistoles.

Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu'ils sont frivoles.
Pour sûreté de son trésor,

Notre avare habitoit un lieu dont Amphitrite
Défendoit aux voleurs de toutes parts l'abord.
Là, d'une volupté selon moi fort petite,

Et selon lui fort grande, il entassoit toujours :
Il passoit les nuits et les jours

A compter, calculer, supputer sans relâche,
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche,
Car il trouvoit toujours du mécompte à son fait.
Un gros singe, plus sage, à mon sens, que son maître,
Jetoit quelques doublons toujours par la fenêtre,
Et rendoit le compte imparfait :

La chambre, bien cadenassée,

Permettoit de laisser l'argent sur le comptoir.
Un beau jour dom Bertrand se mit dans la pensée
D'en faire un sacrifice au liquide manoir.

Quant à moi, lorsque je compare

Les plaisirs de ce singe à ceux de cet avare,

Je ne sais bonnement auquel donner le prix :
Dom Bertrand gagneroit près de certains esprits;
Les raisons en seroient trop longues à déduire.
Un jour donc l'animal, qui ne songeoit qu'à nuire,
Détachoit du monceau, tantôt quelque doublon,
Un jacobus, un ducaton,

Et puis quelque noble à la rose;
Éprouvoit son adresse et sa force à jeter
Ces morceaux de métal, qui se font souhaiter
Par les humains sur toute chose.
S'il n'avoit entendu son compteur à la fin
Mettre la clef dans la serrure,

Les ducats auroient tous pris le même chemin,
Et couru la même aventure;

Il les auroit fait tous voler jusqu'au dernier
Dans le gouffre enrichi par maint et maint naufrage

Dieu veuille préserver maint et maint financier
Qui n'en fait pas meilleur usage!

FABLE IV. - Les deux Chèvres.

Dès que les chèvres ont brouté,
Certain esprit de liberté

Leur fait chercher fortune: elles vont en voyage
Vers les endroits du pâturage

Les moins fréquentés des humains.

Là, s'il est quelque lieu sans route et sans chemins,
Un rocher, quelque mont pendant en précipices,
C'est où ces dames vont promener leurs caprices.
Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.
Deux chèvres donc s'émancipant,
Toutes deux ayant patte blanche,

Quittèrent les bas prés, chacune de sa part:
L'une vers l'autre alloit pour quelque bon hasard.
Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche.
Deux belettes à peine auroient passé de front

Sur ce pont:

D'ailleurs, l'onde rapide et le ruisseau profond
Devoient faire trembler de peur ces amazones.
Malgré tant de dangers, l'une de ces personnes
Pose un pied sur la planche, et l'autre en fait autant.
Je m'imagine voir, avec Louis le Grand
Philippe Quatre qui s'avance
Dans l'île de la Conférence :
Ainsi s'avançoient pas à pas,
Nez à nez, nos aventurières,

Qui, toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L'une à l'autre céder. Elles avoient la gloire
De compter dans leur race, à ce que dit l'histoire,
L'une, certaine chèvre, au mérite sans pair,
Dont Polyphème fit présent à Galatée;
Et l'autre, la chèvre Amalthée,

Par qui fut nourri Jupiter.

Faute de reculer, leur chute fut commune :
Toutes deux tombèrent dans l'eau.

Cet accident n'est pas nouveau
Dans le chemin de la fortune.

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE,

QUI AVOIT DEMANDÉ a m. de LA FONTAINE UNE FABLE FUT NOMMÉE le Chat et la Souris

QUI

Pour plaire au jeune prince à qui la Renommée
Destine un temple en mes écrits,

Comment composerai-je une fable nommée
Le chat et la souris?

Dois-je représenter dans ces vers une belle,

Qui, douce en apparence, et toutefois cruelle,
Va se jouant des cœurs que ses charmes ont pris
Comme le chat de la souris?

Prendrai-je pour sujet les jeux de la Fortune?
Rien ne lui convient mieux et c'est chose commune
Que de lui voir traiter ceux qu'on croit ses amis
Comme le chat fait la souris.

Introduirai-je un roi qu'entre ses favoris
Elle respecte seul, roi qui fixe sa roue,

Qui n'est point empêché d'un monde d'ennemis,
Et qui des plus puissans, quand il lui plaît, se joue
Comme le chat de la souris?

Mais insensiblement, dans le tour que j'ai pris,
Mon dessein se rencontre; et si je ne m'abuse,
Je pourrois tout gâter par de plus longs récits:
Le jeune prince alors se joueroit de ma muse
Comme le chat de la souris.

FABLE V. Le vieux Chat et la jeune Souris.

[ocr errors]

Une jeune souris, de peu d'expérience,
Crut fléchir un vieux chat, implorant sa clémence,
Et payant de raisons le Raminagrobis.

. Laissez-moi vivre une souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis?
Affamerois-je, à votre avis,

L'hôte, l'hôtesse, et tout leur monde?
D'un grain de blé je me nourris :
Une noix me rend toute ronde.

A présent je suis maigre; attendez quelque temps:
Réservez ce repas à messieurs vos enfans. »
Ainsi parloit au chat la souris attrapée.

L'autre lui dit : « Tu t'es trompée;

« PreviousContinue »