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Voici pourtant un cas qui peut être excepté :
Je le maintiens prodige, et tel que d'une fable
Il a l'air et les traits, encor que véritable.

On abattit un pin pour son antiquité,

Vieux palais d'un hibou, triste et sombre retraite
De l'oiseau qu'Atropos prend pour son interprète.
Dans son tronc caverneux, et miné par le temps,
Logeoient, entre autres habitans,

Force souris sans pieds, toutes rondes de graisse.
L'oiseau les nourrissoit parmi des tas de blé,
Et de son bec avoit leur troupeau mutilé.
Cet oiseau raisonnoit: il faut qu'on le confesse.
En son temps, aux souris le compagnon chassa:
Les premières qu'il prit du logis échappées,
Pour y remédier, le drôle estropia

Tout ce qu'il prit ensuite; et leurs jambes coupées
Firent qu'il les mangeoit à sa commodité,

Aujourd'hui l'une, et demain l'autre.

Tout manger à la fois, l'impossibilité
S'y trouvoit, joint aussi le soin de sa santé.
Sa prévoyance alloit aussi loin que la nôtre :
Elle alloit jusqu'à leur porter

Vivres et grains pour subsister.
Puis, qu'un cartésien s'obstine

A traiter ce hibou de montre et de machine!
Quel ressort lui pouvoit donner

Le conseil de tronquer un peuple mis en mue!
Si ce n'est pas là raisonner,

La raison m'est chose inconnue.

Voyez que d'argumens il fit :

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Quand ce peuple est pris, il s'enfuit;

Donc il faut le croquer aussitôt qu'on le happe.
Tout! il est impossible. Et puis pour le besoin
N'en dois-je point garder? Donc il faut avoir sein
De le nourrir sans qu'il échappe.

Mais comment? Otons-lui les pieds.» Or, trouvez-moi Chose par les humains à sa fin mieux conduite!

Quel autre art de penser Aristote et sa suite
Enseignent-ils, par votre foi?

Ceci n'est point une fable; et la chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement arrivée. J'ai peut-être porté trop loin la prévoyance de ce hibou; car je ne prétends pas établir dans les bêtes un progrès de raisonnement tel que celui-ci mais ces exagérations sont permises à la poésie, surtout dans la manière d'écrire dont je

me sers.

ÉPILOGUE.

C'est ainsi que ma muse, aux bords d'une onde pure, Traduisoit en langue des dieux

Tout ce que disent sous les cieux

Tant d'êtres empruntant la voix de la nature.
Truchement de peuples divers,

Je les faisois servir d'acteurs en mon ouvrage :
Car tout parle dans l'univers;

Il n'est rien qui n'ait son langage.

Plus éloquens chez eux qu'ils ne sont dans mes vers,
Si ceux que j'introduis me trouvent peu fidèle,
Si mon œuvre n'est pas un assez bon modèle,
J'ai du moins ouvert le chemin :

D'autres pourront y mettre une dernière main.
Favoris des neuf sœurs, achevez l'entreprise :
Donnez mainte leçon que j'ai sans doute omise;
Sous ces inventions il faut l'envelopper.

Mais vous n'avez que trop de quoi vous occuper :
Pendant le doux emploi de ma muse innocente.
Louis dompte l'Europe; et, d'une main puissante
Il conduit à leur fin les plus nobles projets

Qu'ait jamais formés un monarque.
Favoris des neuf sœurs, ce sont là des sujets
Vainqueurs du Temps et de la Parque.

FABLE I. Les Compagnons d'Ulysse.

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE.

Prince, l'unique objet du soin des immortels,
Souffrez que mon encens parfume vos autels.
Je vous offre un peu tard ces présents de ma muse:
Les ans et les travaux me serviront d'excuse.
Mon esprit diminue; au lieu qu'à chaque instant
On aperçoit le vôtre aller en augmentant :
Il ne va pas, il court; il semble avoir des ailes.
Le héros dont il tient des qualités si belles
Dans le métier de Mars brûle d'en faire autant:
Il ne tient pas à lui que, forçant la victoire,
Il ne marche à pas de géant

Dans la carrière de la gloire.

Quelque dieu le retient : c'est notre souverain,
Lui qu'un mois a rendu maître et vainqueur du Rhin.
Cette rapidité fut alors nécessaire;

Peut-être elle seroit aujourd'hui téméraire.

Je m'en tais: aussi bien les Ris et les Amours
Ne sont pas soupçonnés d'aimer les longs discours.
De ces sortes de dieux votre cour se compose :
Ils ne vous quittent point. Ce n'est pas qu'après tout
D'autres divinités n'y tiennent le haut bout:
Le sens et la raison y règlent toute chose.
Consultez ces derniers sur un fait ou les Grecs,
Imprudens et peu circonspects,
S'abandonnèrent à des charmes

Qui métamorphosoient en bêtes les humains.

Les compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,
Erroient au gré du vent, de leur sort incertains.
Ils abordèrent un rivage

Où la fille du dieu du jour,

Circé, tenoit alors sa cour.
Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d'un funeste poison.
D'abord ils perdent la raison;

Quelques momens après, leur corps et leur visage
Prennent l'air et les traits d'animaux différens:
Les voilà devenus ours, lions, éléphans;
Les uns sous une masse énorme,

Les autres sous une autre forme :
Il s'en vit de petits; EXEMPLUM, UT TALPA.
Le seul Ulysse en échappa;

Il sut se défier de la liqueur traîtresse.
Comme il joignoit à la sagesse

La mine d'un héros et le doux entretien,
Il fit tant que l'enchanteresse

Prit un autre poison peu différent du sien.
Une déesse dit tout ce qu'elle a dans l'âme :
Celle-ci déclara sa flamme.

Ulysse étoit trop fin pour ne pas profiter
D'une pareille conjoncture :

Il obtint qu'on rendroit à ses Grecs leur figure.
. Mais la voudront-ils bien, dit la nymphe, accepter?
Allez le proposer de ce pas à la troupe. »

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Ulysse y court, et dit : « L'empoisonneuse coupe
A son remède encore; et je viens vous l'offrir:
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir ?
On vous rend déjà la parole. »

Le lion dit, pensant rugir:

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« Je n'ai pas la tête si folle;

Moi renoncer aux dons que je viens d'acquérir!
J'ai griffe et dents, et mets en pièces qui m'attaque.
Je suis roi deviendrai-je un citadin d'Ithaque !
Tu me rendras peut-être encor simple soldat:
Je ne veux point changer d'état. »

Ulysse du lion court à l'ours : « Eh! mon frère,
Comme te voilà fait ! je t'ai vu si joli !

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Comme me voilà fait! comme doit être un ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre?

Je m'en rapporte aux yeux d'une ourse mes amours
Te déplais-je? va-t'en; suis ta route, et me laisse.
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse,
Et te dis tout net et tout plat:

Je ne veux point changer d'état. »

Le prince grec au loup va proposer l'affaire ;
Il lui dit, au hasard d'un semblable refus :
« Camarade, je suis confus
Qu'une jeune et belle bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t'ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t'eût vu sauver sa bergerie :
Tu menois une honnête vie.

Quitte ces bois, et redevien,

Au lieu de loup, homme de bien.

-En est-il? dit le loup; pour moi, je n'en vois guère.
Tu t'en viens me traiter de bête carnassière;
Toi qui parles, qu'es-tu? N'auriez-vous pas, sans moi,
Mangé ces animaux que plaint tout le village?
Si j'étois homme, par ta foi,
Aimerois-je moins le carnage?

Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous:
Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des loups?
Tout bien considéré, je te soutiens en somme
Que, scélérat pour scélérat,

Il vaut mieux être un loup qu'un homme:
Je ne veux point changer d'état..
Ulysse fit à tous une même semonce :
Chacun d'eux fit même réponce,
Autant le grand que le petit.

La liberté, les bois, suivre leur appétit,
C'étoit leurs délices suprêmes :

Tous renonçoient au los des belles actions.
Ils croyoient s'affranchir, suivant leurs passions:
Ils étoient esclaves d'eux-mêmes.

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