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Je crois qu'il en sait plus; et j'oserois peut-être
Avec quelque raison contredire mon maître.
Voici pourtant un cas où tout l'honneur échut
A l'hôte des terriers. Un soir il aperçut
La lune au fond d'un puits : l'orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.

Deux seaux alternativement

Puisoient le liquide élément :

Notre renard, pressé par une faim canine,
S'accommode en celui qu'au haut de la machine
L'autre seau tenoit suspendu.

Voilà l'animal descendu,

Tiré d'erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine :

Car comment remonter, si quelque autre affamé,
De la même image charmé,

Et succédant à sa misère,

Par le même chemin ne le tiroit d'affaire?

Deux jours s'étoient passés sans qu'aucun vînt au puits.
Le temps, qui toujours marche, avoit pendant deux nuits
Échancré, selon l'ordinaire,

De l'astre au front d'argent la face circulaire.
Sire Renard étoit désespéré.

Compère loup, le gosier altéré,

Passe par là. L'autre dit : « Camarade,
Je vous veux régaler: voyez-vous cet objet?
C'est un fromage exquis. Le dieu Faune l'a fait.
La vache Io donna le lait.
Jupiter, s'il étoit malade,
Reprendroit l'appétit en tâtant d'un tel mets.
J'en ai mangé cette échancrure;

Le reste vous sera suffisante pâture.

Descendez dans un seau que j'ai là mis exprès.
Bien qu'au moins mal qu'il pût il ajustât l'histoire,
Le loup fut un sot de le croire:

Il descend; et son poids emportant l'autre part,
Reguinde en hant maître renard.

Ne nous en moquons point: nous nous laissons séduire Sur aussi peu de fondement;

Et chacun croit fort aisément

Ce qu'il craint et ce qu'il désire.

FABLE VII.

Le Paysan du Danube.

Il ne faut point juger des gens sur l'apparence.
Le conseil en est bon; mais il n'est pas nouveau.
Jadis l'erreur du souriceau

Me servit à prouver le discours que j'avance :
J'ai, pour le fonder à présent,
Le bon Socrate, Esope, et certain paysan
Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle
Nous fait un portrait fort fidèle.

On connoît les premiers: quant à l'autre, voici
Le personnage en raccourci.

Son menton nourrissoit une barbe touffue;
Toute sa personne velue

Représentoit un ours, mais un ours mal léché:
Sous un sourcil épais il avoit l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,
Portoit sayon de poil de chèvre,

Et ceinture de joncs marins.

Cet homme ainsi bâti fut député des vi les
Que lave le Danube. Il n'étoit point d'asiles
Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors et ne portât les mains.
Le député vint donc, et fit cette harangue :
«Romains, et vous sénat assis pour m'écouter,
Je supplie avant tout les dieux de m'assister:
Veuillent les immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris!
Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits
Que tout mal et toute injustice:

Faute d'y recourir, on viole leurs lois.
Témoin nous, que punit la romaine avarice;

Rome est, par nos forfaits, plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.

Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,
Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et pourquoi sommes-nous les vôtres? Qu'on me die
En quoi vous valez mieux que cent peuples divers.
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers?
Pourquoi venir troubler une innocente vie?

Nous cultivions en paix d'heureux champs; et ros mains
Étoient propres aux arts ainsi qu'au labourage.
Qu'avez-vous appris aux Germains?

Ils ont l'adresse et le courage:

S'ils avoient eu l'avidité,

Comme vous, et la violence,

Peut-être en votre place ils auroient la puissance,
Et sauroient en user sans inhumanité.
Celle que vos préteurs ont sur nous exercée
N'entre qu'à peine en la pensée.

La majesté de vos aute!s
Elle-même en est offensée;

Car sachez que les immortels

Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples,
Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,

D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome :
La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts superflus.
Retirez-les on ne veut plus
Cultiver pour eux les campagnes;

Nous quittons les cités, nons fuyons aux montagnes;
Nous laissons nos chères compagnes;

Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,

Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime.
Quant à nos enfans déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés :
Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.
Retirez-les ils ne nous apprendront
Que la mollesse et que le vice;

Les Germains comme eux deviendront
Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner? c'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois : encor leur ministère
A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère. »
A ces mots, il se couche; et chacun étonné
Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence,
Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritoit. On choisit
D'autres préteurs; et par écrit

Le sénat demanda ce qu'avoit dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas longtemps à Rome
Cette éloquence entretenir.

FABLE VIII.-Le Vieillard et les trois jeunes Hommes.

Un octogénaire plantoit.

<< Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge! Disoient trois jouvenceaux, enfans du voisinage: Assurément il radotoit.

α

Car, au nom des dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir? Autant qu'un patriarche il vous faudroit vieillir.

D

A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir et les vastes pensées;
Tout cela ne convient qu'à nous.

- Il ne convient pas à vous-mêmes, Repartit le vieillard. Tout établissement

Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage:
Eh bien! défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui :
J'en puis jouir demain, et quelques jours encore;
Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux. »>

Le vieillard eut raison : l'un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l'Amérique;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés;
Le troisième tomba d'un arbre
Que lui-même il voulut enter;

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

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FABLE IX. Les Souris et le Chat-Iluant.

Il ne faut jamais dire aux gens:

Ecoutez un bon mot, oyez une merveille. »
Savez-vous si les écoutans

En feront une estime à la vôtre pareille?

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