Crois-tu qu'après un tel outrage Je me doive fier à toi? Tu m'allègues le Sort: prétends-tu, par ta foi, Il est écrit là-haut qu'au faîte de ce pin, De naine et de fureur. Je sais que la vengeance Est un morceau de roi; car vous vivez en dieux. Tu veux oublier cette offense; Je le crois cependant il me faut, pour le mieux, Sire roi, mon ami, va-t'en; tu perds ta peine : L'absence est aussi bien un remède à la haine FABLE XIII. La Lionne et l'Ourse. Mère lionne avoit perdu son faon : Son silence, et ses autres charmes, De la reine des bois n'arrêtoient les vacarmes : Nul animal n'étoit du sommeil visité. L'ourse enfin lui dit : « Ma commère, Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues, Si tant de mères se sont tues, Que ne vous taisez-vous aussi? Moi, me taire ! moi malheureuse! Ah! j'ai perdu mon fils! il me faudra traîner Une vieillesse douloureuse! Dites-moi, qui vous force à vous y condamner! Hélas! c'est le Destin qui me hait. » Ces paroles Ont été de tout temps de la bouche de tous. Misérables humains, ceci s'adresse à vous! FABLE XIV. Les deux Aventuriers et le Talisman. Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire. J'en vois peu dans la fable, encor moins dans l'histoire. Son camarade et lui trouvèrent un poteau « Seigneur aventurier, s'il te prend quelque envie « Tu n'as qu'à passer ce torrent; « Puis, prenant dans tes bras un éléphant de pierre «Que tu verras couché par terre, « Le porter, d'une haleine, au sommet de ce mont Le sage l'aura sait par tel art et de guise Qu'on le pourra porter peut-être quatre pas: Ne purent l'arrêter; et, selon l'écriteau, Le peuple aussitôt sort en armes. Tout autre aventurier, au bruit de ces alarmes, Veut vendre au moins sa vie, et mourir en héros. Le proclamer monarque au lieu de son roi mort. Encor que le fardeau fût, dit-il, Que d'être pape ou d'être roi? On reconnut bientôt son peu de bonne foi. Fortune aveugle suit aveugle hardiesse. FABLE XV. Les Lapins. DISCOURS A M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD. Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte En mille occasions comme les animaux : A mis dans chaque créature Quelque grain d'une masse où puisent les esprits : J'entends les esprits-corps, et pétris de matière. Je vais prouver ce que je dis. A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière Et que n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour, Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe, Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe, Je foudroie à discrétion Un lapin qui n'y pensoit guère. Je vois fuir aussitôt toute la nation Des lapins qui, sur la bruyère, L'œil éveillé, l'oreille au guet, S'égayoient, et de thym parfumoient leur banquet. Le bruit du coup fait que la bande S'en va chercher sa sûreté Dans la souterraine cité : Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande Ne reconnoît-on pas en cela les humains? A peine ils touchent le port Vrais lapins, on les revoit Sous les mains de la Fortune. Joignons à cet exemple une chose commune. Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit Qui n'est pas de leur détroit, Je laisse à penser quelle fête! Les chiens du lieu, n'ayant en tête A Un intérêt de bien, de grandeur, et de gloire, Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau, Cent exemples pourroient appuyer mon discours; Sont toujours les meilleurs. En cela j'ai pour guide Vous qui m avez donné ce qu'il a de solide, La plus juste et la mieux acquise; Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu |