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Que, content de sa destinée,
Il n'en remerciât les dieux.
Mais quoi, si l'amour n'assaisonne
Les plaisirs que l'hymen nous donne,
Je ne vois pas qu'on en soit mieux.
Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,
Et n'ayant caressé son mari de sa vie,
Il en faisoit sa plainte une nuit. Un voleur
Interrompit la doléance.

La pauvre femme eut si grand'peur
Qu'elle chercha quelque assurance
Entre les bras de son époux.

« Ami voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux
Me seroit inconnu! Prends donc en récompense
Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance;
Prends le logis aussi. » Les voleurs ne sont pas
Gens honteux, ni fort délicats:

Celui-ci fit sa main.

J'infère de ce conte

Que la plus forte passion

C'est la peur; elle fait vaincre l'aversion,
Et l'amour quelquefois : quelquefois il la dompte;
J'en ai pour preuve cet amant
Qui brûla sa maison pour embrasser sa dame,
L'emportant à travers la flamme.
J'aime assez cet emportement;
Le conte m'en a plu toujours infiniment :
Il est bien d'une âme espagnole,
Et plus grande encore que folle.

FABLE XVI. Le Trésor et les deux Hommes. Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource,

Et logeant le diable en sa bourse,

C'est-à-dire n'y logeant rien,
S'imagina qu'il feroit bien

De se pendre, et finir lui-même sa misère,

Puisque aussi bien sans ìui la faim le viendroit faire :
Genre de mort qui ne duit pas

A gens peu curieux de goûter le trépas.
Dans cette intention, une vieille masure
Fut la scène où devoit se passer l'aventure :
Il y porte une corde, et veut avec un clou
Au haut d'un certain mur attacher le licou.
La muraille, vieille et peu forte,

S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor.
Notre désespéré le ramasse, et l'emporte;
Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,
Sans compter: ronde ou non, la somme plut au sire.
Tandis que le galant à grands pas se retire,
L'homme au trésor arrive, et trouve son argent

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Absent.

Quoi! dit-il, sans mourir je perdrai cette somme! Je ne me pendrai pas! Et vraiment si ferai,

Ou de corde je manquerai. »

Le lacs étoit tout prêt; il n'y manquoit qu'un homme : Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.

Ce qui le consola, peut-être,

Fut qu'un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau Aussi bien que l'argent le licou trouva maître.

L'avare rarement finit ses jours sans pleurs;
Il a le moins de part au trésor qu'il enserre,
Thésaurisant pour les voleurs,

Pour ses parens, ou pour la terre. que dire du troc que la Fortune fit? Ce sont là de ses traits; elle s'en divertit:

Mais

Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente
Cette déesse inconstante

Se mit alors en l'esprit

De voir un homme se pendre;

Et celui qui se pendit

S'y devoit le moins attendre.

FABLE XVII. Le Singe et le Chat.

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, avoient un commun maître.
D'animaux malfaisans c'étoit un très-bon plat :
Ils n'y craignoient tous deux aucun, quel qu'il pût être.
Trouvoit-on quelque chose au logis de gâté,
L'on ne s'en prenoit point aux gens du voisinage :
Bertrand déroboit tout; Raton, de son côté,
Étoit moins attentif aux souris qu'au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maitres fripons
Regardoient rôtir des marrons.

Les escroquer

étoit une très-bonne affaire :
Nos galans y voyoient double profit à faire ;
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton : « Frère, il faut aujourd'hui
Que tu fasses un coup de maître ;

Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avoit fait naître
Propre à tirer marrons du feu,

Certes, marrons verroient beau jeu.

Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte,
D'une manière délicate,

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Écarte un peu la cendre, et retire les doigts;
Puis les reporte à plusieurs fois,

Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque;
Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient: adieu mes gens. Raton
N'étoit pas content, ce dit-on.

Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,

Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.

FABLE XVIII. - Le Milan et le Rossignol

Après que le milan, manifeste voleur,

Eut répandu l'alarme en tout le voisinage,
Et fait crier sur lui les enfans du village,

Un rossignol tomba dans ses mains par malheur
Le héraut du printemps lui demande la vie.
<< Aussi bien, que manger en qui n'a que le son?
Écoutez plutôt ma chanson :

Je vous raconterai Térée et son envie.

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Qui, Térée? est-ce un mets propre pour les milans? Non pas; c'étoit un roi dont les feux violens

Me firent ressentir leur ardeur criminelle.

Je m'en vais vous en dire une chanson si belle
Qu'elle vous ravira: mon chant plaît à chacun. »
Le milan alors lui réplique :

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Vraiment, nous voici bien! lorsque je suis à jeun,
Tu me viens parler de musique !

- J'en parle bien aux rois. - Quand un roi te prendra, Tu peux lui conter ces merveilles :

Pour un milan, il s'en rira. »

Ventre affamé n'a point d'oreilles

FABLE XIX. -Le Berger et son Troupeau.

Quoi! toujours il me manquera
Quelqu'un de ce peuple imbécile !

Toujours le loup m'en gobera!

J'aurai beau les compter! ils étoient plus de mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin!
Robin mouton, qui par la ville
Me suivoit pour un peu de pain,

Et qui m'auroit suivi jusques au bout du monde !
Hélas! de ma musette il entendoit le son;
Il me sentoit venir de cent pas à la ronde.
Ah! le pauvre Robin mouton! »
Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,
Et rendu de Robin la mémoire célèbre,

'Il harangua tout le troupeau,

Les chefs, la multitude, et jusqu'au moindre agneau,
Les conjurant de tenir ferme :
Cela seul suffiroit pour écarter les loups.
Foi de peuple d'honneur ils lui promirent tous
De ne bouger non plus qu'un terme.
« Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton
Qui nous a pris Robin mouton. »
Chacun en répond sur sa tête.
Guillot les crut, et leur fit fête.
Cependant, devant qu'il fût nuit,
Il arriva nouvel encombre:

Un loup parut; tout le troupeau s'enfuit.
Ce n'étoit pas un loup, ce n'en étoit que l'ombre.

Haranguez de méchants soldats;

Ils promettront de faire rage :

Mais, au moindre danger, adieu tout leur courage;
Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.

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DISCOURS A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Iris, je vous louerois; il n'est que trop aisé:
Mais vous avez cent fois notre encens refusé;
En cela peu semblable au reste des mortelles,
Qui veulent tous les jours des louanges nouvelles.
Pas une ne s'endort à ce bruit si flatteur.

Je ne les blâme point; je souffre cette humeur :
Elle est commune aux dieux, aux monarques, aux belles
Ce breuvage vanté par le peuple rimeur,

Le nectar, que l'on sert au maitre du tonnerre,
Et dont nous enivrons tous les dieux de la tere,
C'est la louange, Iris. Vous ne la goûtez point:

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