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Il sera dieu même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains! faites des vœux:
Voilà le maître de la terre. »

L'artisan exprima si bien
Le caractère de l'idole

Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien
A Jupiter que la parole:

Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image,
Qu'on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

A la foiblesse du sculpteur
Le poëte autrefois n'en dut guère,
Des dieux dont il fut l'inventeur
Craignant la haine et la colère :

Il étoit enfant en ceci;

Les enfans n'ont l'âme occupée
Que du continuel souci

Qu'on ne fâche point leur poupée

Le cœur suit aisément l'esprit :
De cette source est descendue
L'erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.

Ils embrassoient violemment
Les intérêts de leur chimère :
Pygmalion devint amant
De la Vénus dont il fut père

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Chacun tourne en réalités,

Autant qu'il peut, ses propres songes:
L'homme est de glace aux vérités,
Il est de feu pour les mensonges.

FABLE VII. - La Souris métamorphosée en Fille.

Une souris tomba du bec d'un chat-huant :

Je ne l'eusse pas ramassée;

Mais un bramin le fit: je le crois aisément;
Chaque pays a sa pensée.

La souris étoit fort froissée.
De cette sorte de prochain

Nous nous soucions peu; mais le peuple bramin
Le traite en frère. Ils ont en tête

Que notre âme, au sortir d'un roi,

Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête
Qu'il plaît au Sort: c'est là l'un des points de leur loi.
Pythagore chez eux a puisé ce mystère.

Sur un tel fondement, le bramin crut bien faire
De prier un sorcier qu'il logeât la souris

Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis.
Le sorcier en fit une fille

De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille
Que le fils de Priam pour elle auroit tenté
Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté.
Le bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux :

« Vous n'avez qu'à choisir; car chacun est jaloux
De l'honneur d'être votre époux.

-En ce cas je donne, dit-elle, Ma voix au plus puissant de tous. -Soleil, s'écria lors le bramin à genoux, C'est toi qui seras notre gendre.

Non, dit-il, ce nuage épais

Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits, Je vous conseille de le prendre.

-Hé bien! dit le bramin au nuage volant,
Es-tu né pour ma fille? - Hélas! non, car le vent
Me chasse à son plaisir de contrée en contrée :
Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée
Le bramin fâché s'écria :

« O vent, donc, puisque vent y a,
Viens dans les bras de notre belle! »

Il accouroit; un mont en chemin l'arrêta.
L'éteuf passant à celui-là,

Il le renvoie, et dit : « J'aurois une querelle
Avec le rat; et l'offenser

Ce seroit être fou, lui qui peut me percer.
Au mot de rat, la demoiselle
Ouvrit l'oreille : il fut l'époux.
Un rat! un rat: c'est de ces coups
Qu'Amour fait; témoin telle et telle.
Mais ceci soit dit entre nous.

On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable
Prouve assez bien ce point: mais, à la voir de près
Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits:
Car quel époux n'est point au Soleil préférable
En s'y prenant ainsi? Dirai-je qu'un géant
Est moins fort qu'une puce? elle le mord pourtant.
Le rat devoit aussi renvoyer, pour bien faire,
La belle au chat, le chat au chien,
Le chien au loup. Par le moyen
De cet argument circulaire,

Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté;
Le Soleil eût joui de la jeune beauté.
Revenons, s'il se peut, à la métempsycose:
Le sorcier du bramin fit sans doute une chose
Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté.
Je prends droit là-dessus contre le bramin même;
Car il faut, selon son système,

Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun
Aille puiser son âme en un trésor commun :
Toutes sont donc de même trempe;

Mais, agissant diversement
Selon l'organe seulement,

L'une s'élève, et l'autre rampe.

D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse

De s'unir au Soleil? Un rat eut sa tendresse.

Tout débattu, tout bien pesé,

Les âmes des souris, et les âmes des belles
Sont très-différentes entre elles;
Il en faut revenir toujours à son destin,
C'est-à-dire à la loi par le ciel établie :

Parlez au diable, employez la magie,
Vous ne détournerez nul être de sa fin.

FABLE VIII. Le Fou qui vend la Sagesse.

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Jamais auprès des fous ne te mets à portée :
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil

A celui-là, de fuir une tête éventée.

On en voit souvent dans les cours:

Le prince y prend plaisir; car ils donnent toujours Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules.

Un fol alloit criant par tous les carrefours
Qu'il vendoit la sagesse, et les mortels crédules
De courir à l'achat : chacun fut diligent.
On essuyoit force grimaces;

Puis on avoit pour son argent,

Avec un bon soufflet, un fil long de deux brasses. La plupart s'en fâchoient; mais que leur servoit-il? C'étoient les plus moqués : le mieux étoit de rire, Ou de s'en aller sans rien dire

Avec son soufflet et son fil.

De chercher du sens à la chose,

On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant.

La raison est-elle garant

De ce que fait un fou? le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes un jour alla trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage,

Lui dit : « Ce sont ici hiéroglyphes tout purs.
Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront, pour l'ordinaire,
La longueur de ce fil; sinon je les tiens sûrs

De quelque semblable caresse.

Vous n'êtes point trompé; ce fou vend la sagesse

D

FABLE IX L'Huître et les Plaideurs.

Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot y venoit d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent,
A l'égard de la dent, il fallut contester.
L'un se baissoit déjà pour ramasser la proie;
L'autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.

Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur; l'autre le verra faire.
- Si par là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
- Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Hé bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie. »
Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit, d'un ton de président :

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Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille

Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille. »

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