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Tout à l'heure annonçoit malheur à quelque oiscau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
Bon souper, bon gîte, et le reste? »
Ce discours ébranla le cœur

De notre imprudent voyageur:

Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : « Ne pleurez point;
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite:
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère;

Je le désennuierai. Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai : J'étois là; telle chose m'avint:

Vous y croirez être vous-même. »
A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie ;
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès cela lui donne envie;
Il y vole, il est pris : ce blé couvroit d'un lacs
Les menteurs et traîtres appâts.

Le lacs étoit usé; si bien que, de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin :
Quelque plume y périt; et le pis du destin
Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l'avoit attrapé,
Sembloit un forçat échappé.

Le vautour s'en alloit le lier1, quand des nues

1. Lier, terme de fauconnerie, se dit lorsque le faucon enlève

Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiroient par cette aventure;

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et du coup tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile, et tirant le pied,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna :
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.

Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amans, heureux amans, voulez-vous voyager?
Que ce soit aux rives prochaines.

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau;

Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois aimé je n'aurois pas alors,
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère

Pour qui, sous le fils de Cythère,

Je servis, engagé par mes premiers sermens.
Hélas! Quand reviendront de semblables momens !
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmans
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète !
Ah! si mon cœur osoit encor se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
Ai-je passé le temps d'aimer ?

en l'air sa proie dans ses serres, ou lorsque l'ayant assommée, il la lie de ses serres et la tient à terre.

FABLE III. Le Singe et le Léopard.

Le singe avec le léopard

Gagnoient de l'argent à la foire.

Ils affichoient chacun à part.

L'un d'eux disoit : « Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu. Le roi n'a voulu voir;
Et si je meurs, il veut avoir

Un manchon de ma peau : tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,

Et vergetée, et mouchetée!»

La bigarrure plaît: partant chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait; bientôt chacun sortit
Le singe de sa part disoit : « Venez, de grâce;
Venez, messieurs je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,

Mon voisin léopard l'a sur soi seulement :
Moi, je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand,

Singe du pape en son vivant,

Tout fraîchement en cette ville

Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler;
Car il parle, on l'entend : il sait danser, baller,
Faire des tours de toute sorte,

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Passer en des cerceaux; et le tout pour six blancs :
Non, messieurs, pour un sou; si vous n'êtes contens,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le singe avoit raison. Ce n'est pas sur l'habit
Que la diversité me plaît; c'est dans l'esprit :
L'une fournit toujours des choses agréables;
L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardans.
Oh! que de grands seigneurs, au léopard semblables,
N'ont que l'habit pour tous talens!

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Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue:
A quoi songeoit, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille - là !
Eh parbleu ! je l'aurois pendue
A l'un des chênes que voilà;
C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de Celui que prêche ton curé;
Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple,
Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit ?

Dieu s'est mépris: plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo. »

Cette réflexion embarrassant notre homme :

« On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit;
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe: le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage.
« Oh! oh! dit-il, je saigne ! Et que seroit-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause. »

En louant Dieu de toute chose

Garo retourne à la maison.

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FABLE V. — L'Écolier, le Pédant, et le Maître d'un jardin.

Certain enfant qui sentoit son collége,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilége

1

Qu'ont les pédans de gâter la raison,
Chez un voisin déroboit, ce dit-on,

Et fleurs et fruits. Ce voisin, en automne,
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avoit la fleur, les autres le rebut.

Chaque saison apportoit son tribut;

Car au printemps il jouissoit encore

Des plus beaux dons que nous présente Flore
Un jour dans son jardin il vit notre écolier,
Qui, grimpant sans égard, sur un arbre fruitier,
Gâtoit jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance:
Même il ébranchoit l'arbre; et fit tant à la fin
Que le possesseur du jardin

Envoya faire plainte au maître de la classe
Celui-ci vint suivi d'un cortège d'enfans:
Voilà le verger plein de gens

Pires que le premier. Le pédant, de sa grâce,
Accrut le mal en amenant

Cette jeunesse mal instruite :

Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite
Se souvînt à jamais comme d'une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,

Avec force traits de science.

Son discours dura tant que la maudite engeance
Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.
Je hais les pièces d'éloquence

Hors de leur place, et qui n'ont point de fin;
Et ne sais bête au monde pire

Que l'écolier, si ce n'est le pédant.

Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,
Ne me plairoit aucunement.

FABLE VI. Le Statuaire et la Statue de Jupiter.

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Un bloc de marbre étoit si beau

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