Page images
PDF
EPUB

Comme tout dévot chat en use les matins.

Ce réseau me retient ma vie est en tes mains,
Viens dissoudre ces nœuds. - Et quelle récompense
En aurai-je? reprit le rat.
-Je jure éternelle alliance

Avec toi, repartit le chat.

Dispose de ma griffe, et sois en assurance :
Envers et contre tous je te protégerai;
Et la belette mangerai

Avec l'époux de la chouette:

Ils t'en veulent tous deux. » Le rat dit : « Idiot!
Moi ton libérateur! je ne suis pas si sot. »
Puis il s'en va vers sa retraite :

La belette étoit près du trou.

Le rat grimpe plus haut; il y voit le hibou.
Dangers de toutes parts: le plus pressant l'emporte
Ronge-maille retourne au chat, et fait en sorte
Qu'il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant
Qu'il dégage enfin l'hypocrite.

L'homme paroît en cet instant;

Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
A quelque temps de là, notre chat vit de luin
Son rat qui se tenoit alerte et sur ses gardes :
« Ah! mon frère, dit-il, viens m'embrasser; ton soin
Me fait injure; tu regardes
Comme ennemi ton allié.
Penses-tu que j'aie oublié

Qu'après Dieu je te dois la vie?

- Et moi, reprit le rat, penses-tu que j'oublie
Ton naturel? Aucun traité

Peut-il forcer un chat à la reconnoissance?
S'assure-t-on sur l'alliance

Qu'a faite la nécessité? »

FABLE XXIII.

Le Torrent et la Rivière.

Avec grand bruit et grand fracas

Un torrent tomboit des montagnes :

Tout fuyoit devant lui; l'horreur suivoit ses pas;
Il faisoit trembler les campagnes.

Nul voyageur n'osoit passer
Une barrière si puissante :

Un seul vit des voleurs; et, se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n'étoit que menace et bruit sans profondeur :
Notre homme enfin n'eut que la

Ce succès lui donnant courage,

peur.

Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage
Une rivière dont le cours,

Image d'un sommeil doux, paisible et tranquille,
Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile :
Point de bords escarpés, un sable pur et net.
Il entre; et son cheval le met

A couvert des voleurs, mais non de l'onde noire :
Tous deux au Styx allèrent boire;
Tous deux, à nager malheureux,

Allèrent traverser, au séjour ténébreux,
Bien d'autres fleuves que les nôtres.

Les gens sans bruit sont dangereux;
Il n'en est pas ainsi des autres.

FABLE XXIV.-L'Éducation.

Laridon et César, frères dont l'origine
Venoit de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantoient, l'un les forêts, et l'autre la cuisine.
Ils avoient eu d'abord chacun un autre nom;
Mais la diverse nourriture

Fortifiant en l'un cette heureuse nature,
En l'autre l'altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon

Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint cerf aux abois, maint sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d'empêcher qu'une indigne maîtresse
Ne fît en ses enfans dégénérer son sang.
Laridon, négligé, témoignoit sa tendresse
A l'objet le premier passant.

Il peupla tout de son engeance:
Tourne-broches par lui rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyant les hasards,
Peuple antipode des Césars.

On ne suit pas toujours ses aïeux ni sɔn père :
Le peu de soin, le temps, tout fait qu'on dégénère.
Faute de cultiver la nature et ses dons,

Oh! combien de Césars deviendront Laridons!

[merged small][ocr errors][merged small]

Les vertus devroient être sœurs,

Ainsi que les vices sont frères.

Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file; il ne s'en manque guères :
J'entends de ceux qui, n'étant pas contraires,
Peuvent loger sous même toit.

A l'égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment placées
Se tenir par la main sans être dispersées.

L'un est vaillant, mais prompt; l'autre est prudent, mais froid.
Parmi les animaux, le chien se pique d'être

Soigneux et fidèle à son maître;
Mais il est sot, il est gourmand;

Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement,
Virent un âne mort qui flottoit sur les ondes.

Le vent de plus en plus l'éloignoit de nos chiens.

«

Ami, dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens :

Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes;

J'y crois voir quelque chose. Est-ce un bouf? un cheval? - Eh! qu'importe quel animal?

Dit l'un de ces mâtins; voilà toujours curée.

Le point est de l'avoir : car le trajet est grand;
Et de plus, il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette eau; notre gorge altérée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera

Provision pour la semaine. »

Voilà mes chiens à boire : ils perdirent l'haleine,
Et puis la vie; ils firent tant

Qu'on les vit crever à l'instant.

L'homme est ainsi bâti : quand un sujet l'enflamme,
L'impossibilité disparoît à son âme.

Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas,
S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire?
« Si j'arrondissois mes États!

Si je pouvois remplir mes coffres de ducats!
Si j'apprenois l'hébreu, les sciences, l'histoire!.
Tout cela, c'est la mer à boire;

Mais rien à l'homme ne suffit.

Pour fournir aux projets que forme un seul esprit,
Il faudroit quatre corps; encor, loin d'y suffire,
A mi-chemin je crois que tous demeureroient :
Quatre Mathusalem bout à bout ne pourroient
Mettre à fin ce qu'un seul désire.

FABLE XXVI. Démocrite et les Abdéritains

Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !
Qu'il me semble profane, injuste et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !

Le maître d'Épicure en fit l'apprentissage.
Son pays le crut fou. Petits esprits! mais quoi!

Aucun n'est prophète chez soi.

Ces gens étoient les fuus, Démocrite, le sage.
L'erreur alla si loin qu'Abdère députa
Vers Hippocrate, et l'invita,
Par lettres et par ambassade,

A venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disoient-ils en pleurant,
Perd l'esprit la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'estimerions plus s'il étoit ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
Peut-être même ils sont remplis

De Démocrites infinis.

Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfans d'un cerveau creux, invisibles fantômes;
Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,
Il connoît l'univers, et ne se connoit pas.
Un temps fut qu'il savoit accorder les débats :
Maintenant il parle à lui-même.

Venez, divin mortel; sa folie est extrême. »
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens;
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
Quelles rencontres dans la vie

Le sort cause! Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disoit n'avoir raison ni sens
Cherchoit, dans l'homme et dans la bête,
Quel siége a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
Les labyrinthes d'un cerveau

L'occupoient. Il avoit à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,
Attaché selon sa coutume.

Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser:
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
Ils tombèrent sur la morale.
Il n'est pas besoin que j'étale
Tout ce que l'un et l'autre dit.

« PreviousContinue »