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Ceci montre aux provinces
Que, tout compté, mieux vaut en bonne foi
S'abandonner à quelque puissant roi

Que s'appuyer de plusieurs petits princes

FABLE XIX.

L'avantage de la Science

Entre deux bourgeois d'une ville
S'émut jadis un différend:
L'un étoit pauvre, mais habile;
L'autre, riche, mais ignorant.
Celui-ci sur son concurrent
Vouloit emporter l'avantage;
Prétendoit que tout homme sage
Étoit tenu de l'honorer.

C'étoit tout homme sot: car pourquoi révérer
Des biens dépourvus de mérite?
La raison m'en semble petite.
• Mon ami, disoit-il souvent
Au savant,

Vous vous croyez considérable :

Mais, dites-moi, tenez-vous table?

Que sert à vos pareils de lire incessamment?
Ils sont toujours logés à la troisième chambre,
Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre,
Ayant pour tout laquais leur ombre seulement
La république a bien affaire

De gens qui ne dépensent rien!

Je ne sais d'homme nécessaire

Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
Nous en usons, Dieu sait! Notre plaisir occupe
L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe,
Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez
A messieurs les gens de finance
De méchans livres bien payés.
Ces mots remplis d'impertinence
Eurent le sort qu'ils méritoient.

L'homme lettré se tut, il avoit trop à dire.
La guerre le vengea bien mieux qu'une satire.
Mars détruisit le lieu que nos gens habitoient :
L'un et l'autre quitta sa ville.
L'ignorant resta sans asile;

Il reçut partout des mépris :

L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle. Cela décida leur querelle.

Laissez dire les sots: le savoir a son prix.

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FABLE XX.

Jupiler et les Tonnerres

Jupiter, voyant nos fautes,

Dit un jour, du haut des airs:

«

Remplissons de nouveaux hôtes

Les cantons de l'univers

Habités par cette race

Qui m'importune et me lasse.
Va-t'en, Mercure, aux enfers;
Amène-moi la Furie

La plus cruelle des trois.

Race que j'ai trop chérie,

Tu périras cette fois! >>
Jupiter ne tarda guère
A modérer son transport.
O vous, rois, qu'il voulut faire
Arbitres de notre sort,
Laissez, entre la colère
Et l'orage qui la suit,
L'intervalle d'une nuit.

Le dieu dont l'aile est légère
Et la langue a des douceurs,
Alla voir les noires sœurs.
A Tisiphone et Mégère
Il préféra, ce dit-on,

L'impitoyable Alecton. Ce choix la rendit si fière Qu'elle jura par Pluton Que toute l'engeance humaine Seroit bientôt du domaine Des déités de là-bas. Jupiter n'approuva pas Le serment de l'Euménide. Il la renvoie; et pourtant Il lance un foudre à l'instant Sur certain peuple perfide. Le tonnerre, ayant pour guide Le père même de ceux Qu'il menaçoit de ses feux, Se contenta de leur crainte; Il n'embrasa que l'enceinte D'un désert inhabité; Tout père frappe à côté. Qu'arriva-t-il? Notre engeance Prit pied sur cette indulgence. Tout l'Olympe s'en plaignit; Et l'assembleur de nuages Jura le Styx, et promit De former d'autres orages: Ils seroient sûrs. On sourit; On lui dit qu'il étoit père, Et qu'il laissât, pour le mieux, A quelqu'un des autres dieux D'autres tonnerres à faire. Vulcain entreprit l'affaire. Ce dieu remplit ses fourneaux De deux sortes de carreaux : L'un jamais ne se fourvoie; Et c'est celui que toujours L'Olympe en corps nous envoie. L'autre s'écarte en son cours; Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte, Bien souvent même il se perd;

Et ce dernier en sa route

Nous vient du seul Jupiter.

FABLE XXI. Le Faucon et le Chapon.
Une traîtresse voix bien souvent vous appelle;
Ne vous pressez donc nullement:

Ce n'étoit pas un sot, non, non, et croyez-m'en,
Que le chien de Jean de Nivelle'.

Un citoyen du Mans, chapon de son métier,
Étoit sommé de comparoître

Par-devant les lares du maître,

Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.
Tous les gens lui crioient, pour déguiser la chose :
« Petit, petit, petit! » mais, loin de s'y fier,
Le Normand et demi laissoit les gens crier.

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Serviteur, disoit-il; votre appât est grossier :
On ne m'y tient pas; et pour cause. »
Cependant un faucon sur sa perche voyoit
Notre Manseau qui s'enfuyoit.

Les chapons ont en nous fort peu de confiance,
Soit instinct, soit expérience.

Celui-ci, qui ne fut qu'avec peine attrapé,
Devoit, le lendemain, être d'un grand soupé,
Fort à l'aise en un plat : honneur dont la volaille
Se seroit passée aisément.

L'oiseau chasseur lui dit : « Ton peu

d'entendement Me rend tout étonné. Vous n'êtes que racaille, Gens grossiers, sans esprit, à qui l'on n'apprend rien. Pour moi, je sais chasser, et revenir au maître.

1. « Qui s'en va quand on l'appelle. » La Fontaine prend le proverbe dans le sens qu'on lui donne ordinairement; mais en voici l'origine Dans la guerre entre Louis XI et le duc de Bourgogne, le duc de Montmorency somma son fils Jean de Nivelle, qui était alors en Flandre, de venir se battre pour le roi Louis; et ce chien de Jean de Nivelle ne vint pas.

Le vois-tu pas à la fenêtre?

Il t'attend: es-tu sourd?-Je n'entends que trop bien,
Repartit le chapon : mais que me veut-il dire?
Et ce beau cuisinier armé d'un grand couteau?
Reviendrois-tu pour cet appeau?

Laisse-moi fuir; cesse de rire

De l'indccilité qui me fait envoler
Lorsque d'un ton si doux on s'en vient m'appeler.
Si tu voyois mettre à la broche

Tous les jours autant de faucons
Que j'y vois mettre de chapons,
Tu ne me ferois pas un semblable reproche. »

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Quatre animaux divers, le chat grippe-fromage,
Triste oiseau le hibou, ronge-maille le rat,
Dame belette au long corsage,
Toutes gens d'esprit scélérat,

Hantoient le tronc pourri d'un pin vieux et sauvage.
Tant y furent qu'un soir à l'entour de ce pin
L'homme tendit ses rets. Le chat, de grand matin,
Sort pour aller chercher sa proie.

Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voie
Le filet il y tombe, en danger de mourir;

Et mon chat de crier; et le rat d'accourir :
L'un plein de désespoir, et l'autre plein de joie;
Il voyoit dans les lacs son mortel ennemi.

Le pauvre chat dit « Cher ami,
Les marques de ta bienveillance
Sont communes en mon endroit;
Viens m'aider à sortir du piége où l'ignorance
M'a fait tomber. C'est à bon droit

Que seul entre les tiens, par amour singulière,
Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux.
Je n'en ai point regret, et j'en rends grâce aux dieux.
J'allois leur faire ma prière,

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