Pour les grandes Indes parti, N'eût depuis un an fait naufrage.
Il s'en informoit donc à ce menu fretin;
Mais tous lui répondoient qu'ils n'étoient pas d'un âge A savoir au vrai son destin;
Les gros en sauroient davantage.
N'en puis-je donc, messieurs, un gros interroger? » De dire si la compagnie
Prit goût à sa plaisanterie,
J'en doute; mais enfin il les sut engager
A lui servir d'un monstre assez vieux pour lui dire Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus Qui n'en étoient pas revenus,
Et que depuis cent ans sous l'abîme avoient vus Les anciens du vaste empire.
Un rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle, Des lares paternels un jour se trouva soûl. Il laisse là le champ, le grain, et la javelle, Va courir le pays, abandonne son trou. Sitôt qu'il fut hors de la case :
Que le monde, dit-il, est grand et spacieux! Voilà les Apennins, et voici le Caucase! » La moindre taupinée étoit mont à ses yeux. Au bout de quelques jours le voyageur arrive En un certain canton où Thétis sur la rive Avoit laissé mainte huître; et notre rat d'abord Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord. Certes, dit-il, mon père étoit un pauvre sire!
Il n'osoit voyager, craintif au dernier point. Pour moi, j'ai déjà vu le maritime empire: J'ai passé les déserts, mais nous n'y bûmes point. : D'un certain magister le rat tenoit ces choses, Et les disoit à travers champs; pas de ces rats qui, les livres rongeans
Se font savans jusques aux dents. Parmi tant d'huîtres toutes closes Une s'étoit ouverte; et, bâillant au soleil, Par un doux zéphyr réjouie,
Humoit l'air, respiroit, étoit épanouie,
Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nonpareil. D'aussi loin que le rat voit cette huître qui bâille : « Qu'aperçois-je, dit-il; c'est quelque victuaille! Et, si je ne me trompe à la couleur du mets, Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais. Là-dessus maître rat, plein de belle espérance, Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs; car l'huître tout d'un coup Se referme. Et voilà ce que fait l'ignorance.
Cette fable contient plus d'un enseignement: Nous y voyons premièrement
Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement; Et puis nous y pouvons apprendre Que tel est pris qui croyoit prendre.
FABLE X. L'Ours et l'Amateur des jardins.
Certain ours montagnard, ours à demi léché, Confiné par le Sort dans un bois solitaire, Nouveau Bellerophon, vivoit seul et caché. Il fût devenu fou la raison d'ordinaire N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés. Il est bon de parler, et meilleur de se taire; Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés. Nul animal n'avoit affaire
Dans les lieux que l'ours habitoit;
Si bien que, tout ours qu'il étoit,
Il vint à s'ennuyer de cette triste vie. Pendant qu'il se livroit à la mélancolie, Non loin de là certain vieillard
S'ennuyoit aussi de sa part.
Il aimoit les jardins, étoit prêtre de Flore; Il l'étoit de Pomore encore.
Ces deux emplois sont beaux; mais je voudrois parmi Quelque doux et discret ami.
Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre : De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets, notre homme, un beau matin, Va chercher compagnie, et se met en campagne. L'ours, porté d'un même dessein, Venoit de quitter sa montagne.
Tous deux, par un cas surprenant, Se rencontrent en un tournant.
L'homme eut peur : mais comment esquiver? et que faire? Se tirer en Gascon d'une semblable affaire
Est le mieux: il sut donc dissimuler sa peur. L'ours, très-mauvais complimenteur,
Lui dit : «Viens-t'en me voir. » L'autre reprit : « Seigneur, Vous voyez mon logis; si vous me vouliez faire Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas, J'ai des fruits, j'ai du lait : ce n'est peut-être pas
De nos seigneurs les ours le manger ordinaire; Mais j'offre ce que j'ai. » L'ours l'accepte; et d'aller. Les voilà bons amis avant que d'ariver:
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble;
Et bien qu'on soit, à ce qu'il semble,
Beaucoup mieux seul qu'avec des sots, Comme l'ours en un jour ne disoit pas deux mots, L'homme pouvoit sans bruit vaquer à son ouvrage. L'ours alloit à la chasse, apportoit du gibier; Faisoit son principal métier
D'être bon émoucheur; écartoit du visage De son ami dormant ce parasite ailé
Que nous avons mouche appelé.
Un jour que le vieillard dormoit d'un profond somme, Sur le bout de son nez une allant se placer Mit l'ours au désespoir; il eut beau la chasser. « Je t'attraperai bien, dit-il; et voici comme. »
Aussitôt fait que dit le fidèle émoucheur Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur, Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche; Et, non moins bon archer que mauvais raisonneur, Roide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami; Mieux vaudroit un sage ennemi.
FABLE XI.-Les deux Amis.
Deux vrais amis vivoient au Monomotapa; L'un ne possédoit rien qui n'appartînt à l'autre. Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupoit au sommeil, Et mettoit à profit l'absence du soleil, Un de nos deux amis sort du lit en alarme; Il court chez son intime, éveille les valets : Morphée avoit touché le seuil de ce palais. L'ami couché s'étonne; il prend sa bourse, il s'arme, Vient trouver l'autre, et dit : « Il vous arrive peu De courir quand on dcrt; vous me paroissiez homme A mieux user du temps destiné pour le somme : N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu? En voici. S'il vous est venu quelque querelle, J'ai mon épée; allons. Vous ennuyez-vous point De coucher toujours seul? une esclave assez belle Étoit à mes côtés; voulez-vous qu'on l'appelle?
Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point : Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes, en dormart, un peu triste apparu; J'ai craint qu'il ne fût vrai; je suis vite accouru. Ce maudit songe en est la cause. »
Qui d'eux aimoit le mieux? Que t'en semble, lecteur?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose. Qu'un ami véritable est une douce chose! Il cherche vos besoins au fond de votre cœur; Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même :
Un songe, un rien, tout lui fait peur Quand il s'agit de ce qu'il aime.
FABLE XII. Le Cocnon, la Chèvre, et le Mouton.
Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras, Montés sur même char, s'en alloient à la foire. Leur divertissement ne les y portoit pas; On s'en alloit les vendre, à ce que dit l'histoire : Le charton' n'avoit pas dessein
De les mener voir Tabarin.
Dom pourceau crioit en chemin
Comme s'il avoit eu cent bouchers à ses trousses C'étoit une clameur à rendre les gens sourds. Les autres animaux, créatures plus douces, Bonnes gens, s'étonnoient qu'il criât au secours; Ils ne voyoient nul mal à craindre.
Le charton dit au porc : « Qu'as-tu tant à te plaindre? Tu nous étourdis tous que ne te tiens-tu coi? Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi, Devroient t'apprendre à vivre, ou du moins à te taire : Regarde ce mouton; a-t-il dit un seul mot?
Repartit le cochon; s'il savoit son affaire, Il crieroit, comme moi, du haut de son gosier; Et cette autre personne honnête
Crieroit tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu'on les veut seulement décharger, La chèvre de son lait, le mouton de sa laine :
1. Le charton, vieux mot pour charretier.
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