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Il nous vienne des ennemis,

J'y consens; mais que l'Angleterre

Veuille que nos deux rois se lassent d'être amis,
J'ai peine à digérer la chose.

N'est-il point encor temps que Louis se repose?
Quel autre Hercule enfin ne se trouveroit las
De combattre cette hydre? et faut-il qu'elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras?
Si votre esprit plein de souplesse,
Par éloquence et par adresse,

Peut adoucir les cœurs et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons : c'est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse.
Cependant faites-moi la grâce

De prendre en don ce peu d'encens :
Prenez en gré mes vœux ardens,

Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.
Son sujet vous convient; je n'en dirai pas plus :
Sur les éloges que l'envie

Doit avouer qui vous sont dus,
Vous ne voulez pas qu'on appuie.

Dans Athène autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune; et, d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutoit pas. L'orateur recourut
A ces figures violentes

Qui savent exciter les âmes les plus lentes;
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put;
Le vent emporta tout; personne ne s'émut.
L'animal aux têtes frivoles,

Étant fait à ces traits, ne daignoit l'écouter;
Tous regardoient ailleurs : il en vit s'arrêter
A des combats d'enfans, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur? Il prit un autre tour.
« Cérès, commença-t-il faisoit voyage un jour

Avec l'anguille et l'hirondelle :

Un fleuve les arrête; et l'anguille en nageant,
Comme l'hirondelle en volant,

Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : « Et Cérès, que fit-elle?
Ce qu'elle fit! un prompt courroux

L'anima d'abord contre vous.

Quoi! de contes d'enfans son peuple s'embarrasse;
Et du péril qui le menace

Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet!
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait? >
A ce reproche l'assemblée,

Par l'apologue réveillée,

Se donne entière à l'orateur.

Un trait de fable en eut l'honneur.

Nous sommes tous d'Athène en ce point; et moi-même, Au moment que je fais cette moralité,

Si Peau d'âne m'étoit conté,

J'y prendrois un plaisir extrême.

Le monde est vieux, dit-on : je le crois; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.

FABLE V. — L'Homme et la Puce.

Par des vœux importuns nous fatiguons les dieux,
Souvent pour des sujets même indignes des hommes :
Il semble que le ciel sur tous tant que nous sommes
Soit obligé d'avoir incessamment les yeux,
Et que le plus petit de la race mortelle,
A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle,
Doive intriguer l'Olympe et tous ses citoyens,
Comme s'il s'agissoit des Grecs et des Troyens.

Un sot par une puce eut l'épaule mordue.
Dans les plis de ses draps elle alla se loger.
Hercule, se dit-il, tu devois bien purger
La terre de cette hydre au printemps renue!

Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue
Tu n'en perdes la race afin de me venger? »

Pour tuer une puce, il vouloit obliger
Ces dieux à lui prêter leur foudre et leur massue.

FABLE VI. Les Femmes et le Secret.

Rien ne pèse tant qu'un secret :
Le porter loin est difficile aux dames;
Et je sais même sur ce fait

Bon nombre d'hommes qui sont femmes.

Pour éprouver la sienne un mari s'écria,
La nuit, étant près d'elle : « O dieux! qu'est-ce cela?
Je n'en puis plus! on me déchire!

Quoi! j'accouche d'un œuf!-D'un œuf! - Oui, le voilà
Frais et nouveau pondu : gardez bien de le dire;
On m'appelleroit poule. Enfin n'en parlez pas. »
La femme, neuve sur ce cas,

Ainsi que sur mainte autre affaire,
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire;
Mais ce serment s'évanouit

Avec les ombres de la nuit.

L'épouse, indiscrète et peu fine,

Sort du lit quand le jour fut à peine levé;
Et de courir chez sa voisine :

. Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé;

N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre : Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre. Au nom de Dieu, gardez-vous bien

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D'aller publier ce mystère.

Vous moquez-vous? dit l'autre : ah! vous ne savez guère
Quelle je suis. Allez, ne craignez rien. »

La femme du pondeur s'en retourne chez elle.
L'autre grille déjà de conter la nouvelle :
Elle va la répandre en plus de dix endroits

Au lieu d'un œuf elle en dit trois.

Ce n'est pas encor tout; car une autre commère
En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait :
Précaution peu nécessaire,

Car ce n'étoit plus un secret.

Comme le nombre d'oeufs, grâce à la renommée,
De bouche en bouche alloit croissant,
Avant la fin de la journée

Ils se montoient à plus d'un cent.

FARLE VII.

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Le Chien qui porte à son cou le dîner
de son Maître.

Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles,
Ni les mains à celle de l'or;

Peu de gens gardent un trésor
Avec des soins assez fidèles.

Certain chien, qui portoit la pitance au logis,
S'étoit fait un collier du dîner de son maître.
Il étoit tempérant, plus qu'il n'eût voulu l'être
Quand il voyoit un mets exquis;

Mais enfin il l'étoit et, tous tant que nous sommes,
Nous nous laissons tenter à l'approche des biens.
Chose étrange! on apprend la tempérance aux chiens,
Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes !

Ce chien-ci donc étant de la sorte atourné,

Un mâtin passe, et veut lui prendre le dîné.
Il n'en eut pas toute la joie

Qu'il espéroit d'abord le chien mit bas la proie
Pour la défendre mieux, n'en étant plus chargé.
Grand combat. D'autres chiens arrivent;
Ils étoient de ceux-là qui vivent

Sur le public, et craignent peu les coups.
Notre chien, se voyant trop foible contre eux tous,
Et que la chair couroit un danger manifeste,
Voulut avoir sa part; et, lui sage, il leur dit

« Point de courroux, messieurs; mon lopin me suffit : Faites votre profit du reste. »

A ces mots, le premier, il vous happe un morceau,
Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille,

A qui mieux mieux : ils firent tous ripaille;
Chacun d'eux eut part au gâteau.

Je crois voir en ceci l'image d'une ville
Où l'on met les deniers à la merci des gens.
Échevins, prévôt des marchands,

Tout fait sa main : le plus habile

Donne aux autres l'exemple, et c'est un passe-temps
De leur voir 1 ettoyer un monceau de pistoles.
Si quelque se capuleux, par des raisons frivoles,
Veut défendre l'argent, et dit le moindre mot,
On lui fait voir qu'il est un sot.

Il n'a pas de peine à se rendre :
C'est bientôt le premier à prendre.

FABLE VIII. Le Rieur et les Poissons.

On cherche les rieurs; et moi je les évite.
Cet art veut, sur tout autre, un suprême mérite :
Dieu ne créa que pour les sots

Les méchans diseurs de bons mots.
J'en vais peut-être en une fable
Introduire un; peut-être aussi

Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi.

Un rieur étoit à la table

D'un financier, et n'avoit en son coin Que de petits poissons : tous les gros étoient loin. Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille; Et puis il feint, à la pareille, D'écouter leur réponse. On demeura surpris: Cela suspendit les esprits.

Le rieur alors, d'un ton sage,

Dit qu'il craignoit qu'un sien ami,

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