Femmes, filles, valets, gros messieurs, tout enfin Alloit, comme autrefois, demander son destin; Le galetas devint l'antre de la sibylle :
L'autre femelle avoit achalandé ce lieu.
Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire, • Moi devine! on se moque: eh! messieurs, sais-je lire? « Je n'ai jamais appris que ma croix de par Dieu. Point de raisons fallut deviner et prédire,
Mettre à part force bons ducats,
Et gagner malgré soi plus que deux avocats. Le meuble et l'équipage aidoient fort à la chose : Quatre siéges boiteux, un manche de balai, Tout sentoit son sabbat et sa métamorphose. Quand cette femme auroit dit vrai
Dans une chambre tapissée,
On s'en seroit moqué la vogue étoit passée Au galetas; il avoit le crédit. L'autre femme se morfondit.
L'enseigne fait la chalandise.
J'ai vu dans le palais une robe mal mise Gagner grós les gens l'avoient prise Pour maître tel, qui traînoit après soi Force écoutans. Demandez-moi pourquoi.
FABLE XVI. — Le Chat, la Belette, et le petit Lapin.
Du palais d'un jeune lapin
Dame belette, un beau matin,
S'empara c'est une rusée.
Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée. Elle porta chez lui ses pénates, un jour
Qu'il étoit allé faire à l'aurore sa cour Parmi le thym et la rosée.
Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours, Jeannot lapin retourne aux souterrains séjours. La belette avoit mis le nez à la fenêtre.
« O dieux hospitaliers! que vois-je ici paroître! Dit l'animal chassé du paternel logis.
Hola! madame la belette,
Que l'on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays. » La dame au nez pointu répondit que la terre Étoit au premier occupant. C'étoit un beau sujet de guerre
Qu'un logis où lui-même il n'entroit qu'en rampant! a Et quand ce seroit un royaume, Je voudrois bien savoir, dit-elle, quelle loi En a pour toujours fait l'octroi
A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi. » Jean lapin allégua la coutume et l'usage:
« Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils, L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis. Le premier occupant, est-ce une loi plus sage? -Or bien, sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. C'étoit un chat vivant comme un dévot ermite, Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, Arbitre expert sur tous les cas. Jean lapin pour juge l'agrée. Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : « Mes enfans, approchez, Approchez; je suis sourd, les ans en sont la cause. » L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose. Aussitôt qu'à portée il vit les contestans,
Grippeminaud le bon apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps, Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre. Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois Les petits souverains se rapportant aux rois.
Le serpent a deux parties Du genre humain ennemies, Tête et queue; et toutes deux Ont acquis un nom fameux Auprès des Parques cruelles : Si bien qu'autrefois entre elles Il survint de grands débats Pour le pas.
La tête avoit toujours marché devant la queue. La queue au ciel se plaignit Et lui dit :
Je fais mainte et mainte lieue Comme il plaît à celle-ci :
Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi? Je suis son humble servante.
On m'a faite, Dieu merci, Sa sœur, et non sa suivante. Toutes deux de même sang, Traitez-nous de même sorte : Aussi bien qu'elle je porte Un poison prompt et puissant. Enfin, voilà ma requête : C'est à vous de commander Qu'on me laisse précéder, A mon tour, ma sœur la tête. Je la conduirai si bien
Qu'on ne se plaindra de rien. »
Le ciel eut pour ses vœux une bonté cruelle. Souvent sa complaisance a de méchans effets. Il devroit être sourd aux aveugles souhaits. Il ne le fut pas lors; et la guide nouvelle, Qui ne voyoit, au grand jour, Pas plus clair que dans un four, Donnoit tantôt contre un marbre, Contre un passant, contre un arbre :
Droit aux ondes du Styx elle mena sa sœur.
Malheureux les États tombés dans son erreur!
FABLE XVIII. Un Animal dans la Lune.
Pendant qu'un philosophe assure
Que toujours par leurs sens les hommes sont dupés, Un autre philosophe jure
Qu'ils ne nous ont jamais trompés.
Tous les deux ont raison; et la philosophie Dit vrai quand elle dit que les sens tromperont Tant que sur leur rapport les hommes jugeront; Mais aussi, si l'on rectifie
L'image de l'objet sur son éloignement, Sur le milieu qui l'environne,
Sur l'organe et sur l'instrument, Les sens ne tromperont personne. La nature ordonna ces choses sagement : J'en dirai quelque jour les raisons amplement. J'aperçois le soleil : quelle en est la figure? Ici-bas ce grand corps n'a que trois pieds de tour; Mais si je le voyois là-haut dans son séjour, Que seroit-ce à mes yeux que l'œil de la nature? Sa distance me fait juger de sa grandeur; Sur l'angle et les côtés ma main la détermine. L'ignorant le croit plat; j'épaissis sa rondeur : Je le rends immobile, et la terre chemine. Bref, je démens mes yeux en toute sa machine : Ce sens ne me nuit point par son illusion. Mon âme, en toute occasion,
Développe le vrai caché sous l'apparence; Je ne suis point d'intelligence
Avecque mes regards peut-être un peu trop prompts Ni mon oreille, lente à m'apporter les sons. Quand l'eau courbe un bâton, ma raison le redresse : La raison décide en maitresse.
Mes yeux, moyennant ce secours,
Ne me trompent jamais en me mentant toujours. Si je crois leur rapport, erreur assez commune, Une tête de femme est au corps de la lune. Y peut-elle être? Non. D'où vient donc cet objet? Quelques lieux inégaux font de loin cet effet. La lune nulle part n'a sa surface unie : Montueuse en des lieux, en d'autres aplanie, L'ombre avec la lumière y peut tracer souvent Un homme, un bœuf, un éléphant. Naguère l'Angleterre y vit chose pareille. La lunette placée, un animal nouveau Parut dans cet astre si beau;
Et chacun de crier merveille.
Il étoit arrivé là-haut un changement
Qui présageoit sans doute un grand événement. Savoit-on si la guerre entre tant de puissances N'en étoit point l'effet? Le monarque accourut : Il favorise en roi ces hautes connoissances. Le monstre dans la lune à son tour lui parut. C'étoit une souris cachée entre les verres : Dans la lunette étoit la source de ces guerres.
On en rit. Peuple heureux! quand pourront les François Se donner, comme vous, entiers à ces emplois ! Mars nous fait recueillir d'amples moissons de gloire : C'est à nos ennemis de craindre les combats,
A nous de les chercher, certains que la Victoire, Amante de Louis, suivra partout ses pas.
Ses lauriers nous rendront célèbres dans l'histoire. Même les Filles de Mémoire
Ne nous ont point quittés; nous goûtons des plaisirs : La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs. Charles en sait jouir : il sauroit dans la guerre Signaler sa valeur, et mener l'Angleterre A ces jeux qu'en repos elle voit aujourd'hui. Cependant s'il pouvoit apaiser la querelle, Que d'encens! Est-il rien de plus digne de lui? La carrière d'Auguste a-t-elle été moins belle
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