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La pire est toujours la présente. Nous fatiguons le ciel à force de placets. Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête, Nous lui romprons encor la tête.

FABLE XII.

Le Soleil et les Grenouilles.

Aux noces d'un tyran tout le peuple en liesse
Noyoit son souci dans les pots.

Ésope seul trouvoit que les gens étoient sots
De témoigner tant d'allégresse.

Le Soleil, disoit-il, eut dessein autrefois
De songer à l'hyménée.

Aussitôt on ouït, d'une commune voix,
Se plaindre de leur destinée

Les citoyennes des étangs.

« Que ferons-nous s'il lui vient des enfans? Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine Se peut souffrir; une demi-douzaine Mettra la mer à sec et tous ses habitans. Adieu joncs et marais: notre race est détruite; Bientôt on la verra réduite

A l'eau du Styx. » Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon sens, ne raisonnoient pas mal.

FABLE XIII. Le Villageois et le Serpent.

Ésope conte qu'un manant,

Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant

A l'entour de son héritage,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile, rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.

Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure;

Et, sans considérer quel sera le loyer
D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite.

L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère.
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt;
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père.

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Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire!

Tu mourras. » A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;
Il fait trois serpents de deux coups,

Un tronçon, la queue, et la tête.
L'insecte, sautillant, cherche à se réunir;
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :
Mais envers qui? c'est là le point.
Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

FABLE XIV.

Le Lion malade et le Renard.

De par le roi des animaux,

Qui dans son antre étoit malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter;
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,
Foi de lion, très-bien écrite :
Bon passe-port contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L'édit du prince s'exécute
De chaque espèce on lui députe.
Les renards gardant la maison,

Un d'eux en dit cette raison :

« Les pas empreints sur la poussière

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière,
Pas un ne marque de retour:
Cela nous met en méfiance.
Que sa majesté nous dispense:
Grand merci de son passe-port.
Je le crois bon: mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort. »

FABLE XV. L'Oiseleur, l'Autour, et l'Alouette.

Les injustices des pervers

Servent souvent d'excuse aux nôtres.

Telle est la loi de l'univers :

Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres.

Un manant au miroir prenoit des oisillons.
Le fantôme brillant attire une alouette:
Aussitôt un autour, planant sur les sillons,
Descend des airs, fond et se jette

Sur celle qui chantoit, quoique près du tombeau.
Elle avoit évité la perfide machine,

Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau,
Elle sent son ongle maline.

Pendant qu'à la plumer l'autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé :
«Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage;
Je ne t'ai jamais fait de mal. »

L'oiseleur repartit : « Ce petit animal
T'en avoit-il fait davantage ? »

FABLE XVI. Le Cheval et l'Ane.

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir:
Si ton voisin vient à mourir,

C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnoit un cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu;
Autrement il mourroit devant qu'être à la ville.
« La prière, dit-il, n'en est pas incivile :
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.
Le cheval refusa, fit une pétarade;

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Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avoit tort.

Du baudet en cette aventure
On lui fit porter la voiture,
Et la peau par-dessus encor.

FABLE XVII. Le Chien qui lâche sa proie
pour l'ombre.

Chacun se trompe ici-bas:
On voit courir après l'ombre
Tant de fous qu'on n'en sait pas,
La plupart du temps, le nombre.

Au chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.

Ce chien voyant sa proie en l'eau représentée
La quitta pour l'image, et pensa se noyer:
La rivière devint tout d'un coup agitée;
A toute peine il regagna les bords,

Et n'eut ni l'ombre ni le corps.

FABLE XVIII. - Le Chartier embourbé.

Le phaéton d'une voiture à foin

Vit son char embourbé. Le pauvre homme étoit loin
De tout humain secours : c'étoit à la campagne,
Près d'un certain canton de la Basse-Bretagne
Appelé Quimper-Corentin.

On sait assez que le Destin

Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage.
Dieu nous préserve du voyage!

Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
Pestant, en sa fureur extrême,

Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.
Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde:

« Hercule, lui dit-il, aide moi; si ton dos
A porté la machine ronde,

Ton bras peut me tirer d'ici. »

Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi :

« Hercule veut qu'on se remue;
Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement qui te retient;

Ote d'autour de chaque roue

Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu'à l'essieu les enduit;

Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit;
Comble-moi cette ornière. As-tu fait ?— Oui, dit l'homme.

Or bien je vas t'aider, dit la voix; prends ton fouet. -Je l'ai pris.... Qu'est-ce ci? mon char marche à souhait! Hercule en soit loué ! » Lors la voix : « Tu vois comme Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

Aide toi, le ciel t'aidera. »

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