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Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l'ennui :

Le conte fait passer le précepte avec lui.

En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire;
Et conter pour conter me semble peu d'affaire.
C'est par cette raison qu'égayant leur esprit
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l'ornement et le trop d'étendue;
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre étoit si succinct qu'aucuns l'en ont blâmé;
Ésope en moins de mots s'est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit, et se pique
D'une élégance laconique;

Il renferme toujours son conte en quatre vers:
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L'un amène un chasseur, l'autre un pâtre, en sa fable.
J'ai suivi leur projet quant à l'événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme, à peu près, Ésope le raconte :

Un pâtre, à ses brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le larron.

Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ
Des lacs à prendre loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,

« Si tu fais, disoit-il, ô monarque des dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,

Parmi vingt veaux je veux choisir

Le plus gras, et t'en faire offrande! >
A ces mots sort de l'antre un lion grand et fort;

Le pâtre se tapit, et dit, à demi mort :

Que l'homme ne sait guère, hélas! ce qu'il demande!
Pour trouver le larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
O monarque des dieux, je t'ai promis un veau;
Je te promets un bœuf si tu fais qu'il s'écarte!

C'est ainsi que l'a dit le principal auteur:
Passons à son imitateur.

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FABLE II. Le Lion et le Chasseur.

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U fanfaron, amateur de la chasse,
Venant de perdre un chien de bonne race
Qu'il soupçonnoit dans le corps d'un lion,
Vit un berger. Enseigne-moi, de grâce,
De mon voleur, lui dit-il, la maison;
Que de ce pas je me fasse raison. »
Le berger dit : « C'est vers cette montagne.
En lui payant de tribut un mouton
Par chaque mois, j'erre dans la campagne
Comme il me plaît; et je suis en repos. »
Dans le moment qu'ils tenoient ces propos
Le lion sort, et vient d'un pas agile.
Le fanfaron aussitôt d'esquiver;

O Jupiter, montre-moi quelque asile,
S'écria-t-il, qui me puisse sauver! »

La vraie épreuve de courage

N'est que dans le danger que l'on touche du doigt:
Tel le cherchoit, dit-il, qui, changeant de langage,
S'enfuit aussitôt qu'il le voit.

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Borée et le Soleil virent un voyageur

Qui s'étoit muni par bonheur

Contre le mauvais temps. On entroit dans l'automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut, le soleil luit; et l'écharpe d'Iris

Rend ceux qui sortent avertis

Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire :
Les Latins les nommoient douteux, pour cette affaire.
Notre homme s'étoit donc à la pluie attendu :

Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu

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A tous les accidens; mais il n'a pas prévu

Que je saurai souffler de sorte

Qu'il n'est bouton qui tienne : il faudra, si je veux,
Que le manteau s'en aille au diable.

L'ébattement pourroit nous en être agréable :

Vous plaît-il de l'avoir?

Eh bien! gageons nous deux,

Dit Phébus, sans tant de paroles,

A qui plus tôt aura dégarni les épaules

Du cavalier que nous voyons.

Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons. *
Il n'en fallut pas plus. Notre souffleur à gage
gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,

Se

Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage

Maint toit qui n'en peut mais, fait périr maint bateau :
Le tout au sujet d'un manteau.

Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage
Ne se pût engouffrer dedans.

Cela le préserva. Le vent perdit son temps;
Plus il se tourmentoit, plus l'autre tenoit ferme ·
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu'il fut au bout du terme

Qu'à la gageure on avoit mis,
Le Soleil dissipe la nue,

Récrée et puis pénètre enfin le cavalier,

Sous son balandras fait qu'il sue, Le contraint de s'en dépouiller : Encor n'usa-t-il pas de toute sa puissance.

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Jupiter eut jadis une ferme à donner.
Mercure en fit l'annonce, et gens se présentèrent,
Firent des offres, écoutèrent :

Ce ne fut pas sans bien tourner;

L'un alléguoit que l'héritage

Étoit frayant et rude, et l'autre un autre si.
Pendant qu'ils marchandoient ainsi,

Un d'eux, le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d'en rendre tant, pourvu que Jupiter
Le laissât disposer de l'air,

Lui donnât saison à sa guise,

Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise, Enfin du sec et du mouillé,

Aussitôt qu'il auroit bâillé.

Jupiter y consent. Contrat passé, notre homme
Tranche du roi des airs, pleut, vente, et fait en somme
Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins
Ne s'en sentoient non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée.

Monsieur le receveur fut très-mal partagé.
L'an suivant, voilà tout changé :

Il ajuste d'une autre sorte

La température des cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux;

Celui de ses voisins fructifie et rapporte.
Que fait-il? il recourt au monarque des dieux;

1. Occasionnait bien des frais.

Il confesse son imprudence.

Jupiter en usa comme un maître fort doux.

Concluons que la Providence

Sait ce qu'il nous faut mieux que nous.

FABLE V. Le Cochet, le Chat, et le Souriceau.

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Un souriceau tout jeune, et qui n'avoit rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère :

« J'avois franchi les monts qui bornent cet État,
Et trottois comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, benin, et gracieux,

Et l'autre turbulent, et plein d'inquiétude;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée. »
Or, c'étoit un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau

Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battoit, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui grâce aux dieux de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très-bon cœur.
Sans lui j'aurois fait connoissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

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