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« que ce que nous voyons s'accomplir ici dans l'om«bre et sans applaudissements. Car se figure-t-on bien, non pas aux jours solennels, mais à chaque jour, à chaque heure monotone de cette vie contrite et recueillie, tout ce qui devait sortir, « émaner en amour, en prière, en élancements, et déborder, s'effectuer au dehors en aumône, en bienfaisance, en sacrifice de soi pour tous; ce qui devait incessamment rayonner et s'échanger entre << tous ces cœurs de mère, d'aïeule, de filles, de petites-filles, de sœurs, de fils, de neveux et de frères, entre tous ces êtres unis dans un seul sen<timent de fidélité repentante, d'immolation et << d'adoration! Voyons-les tous un peu dans notre idée, rangés devant nous, agenouillés, à la lampe du matin, sur ce parvis qu'ils usent, et sous ces « voûtes qu'ils font nuit et jour retentir; figurez« vous, — tâchez de vous figurer par des chants, par « des rayons, par tout ce qu'il y a de plus éthéré et « de plus pur, cette inénarrable et invisible com«munication de pensées, de sentiments, d'âme « enfin, d'âme perpétuelle sous l'œil du Seigneur; « et demandez-vous après s'il fut, depuis les jours

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⚫ anciens, depuis la tige de Jessé, depuis l'olivier « des Patriarches et dans toutes les postérités bé« nies, un plus beau spectacle sur la terre (1)! »

Il faut finir, et il me semble que je n'ai rien dit. Au moment de poser la plume, mille souvenirs de cette riche lecture me demandent une mention, un (1) Pages 142-143.

mot. Chaque fait, chaque personnage passé sous silence, semble me demander à son tour: Comment donc avez-vous pu ne rien dire de moi? Hélas! j'aurais voulu tout dire et reproduire le livre entier. Mais, au fond, qu'avais-je à faire, tant de mois après son apparition? Je n'avais ni à l'annoncer, ni à l'extraire, mais à lui payer, avec tous les amis des bons livres, des livres édifiants (et j'appelle ainsi tous les livres sérieux et sincères) un tribut de reconnaissance. Le critiquer, je n'y ai guère songé; nous verrons plus tard. Pour à présent, je n'ai pas le souvenir d'une œuvre d'art, mais d'une visite que, sous la conduite de M. Sainte-Beuve, j'ai faite aux chrétiens de Port-Royal. Une autre fois peutêtre j'aurai la liberté et le loisir de regarder cette visite comme un livre, et je verrai s'il n'y a rien à reprendre à la manière dont le livre est fait; si l'ordre suivi par l'auteur est le meilleur, s'il n'y a pas trop d'allées et de venues, si la même matière n'est pas trop souvent quittée et reprise, si les épisodes se rattachent tous d'assez près au sujet principal, si les rapprochements sont toujours aussi naturels qu'ingénieux. Mais, encore une fois, je ne suis pas encore au moment d'y songer. Une seconde lecture m'a laissé sous la même impression que la première; je reviens une seconde fois de Port-Royal; j'en reviens ému, recueilli, réfléchissant : j'ai vu des hommes fragiles et faillibles, mais des hommes saints; j'ai vu des merveilles du monde spirituel, et une ouverture vers le ciel. Je ne puis, pour le mo

ment, que vous dire Allez-y aussi; et si vous ne revenez avec les mêmes impressions que l'auteur de cette étude, vous comprendrez pourquoi, tout au moins, il ajourne la critique; et votre silence louera mieux le livre que ne l'ont fait ses paroles.

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Il ne faut pas chercher quels furent les inventeurs de certaines fables poétiques qui ont alimenté des siècles entiers et des séries entières de poëtes. Ces fables, d'une signification profonde et inépuisable, sont l'œuvre du genre humain, qui les livre, grandes et informes, aux lyres des poëtes. Mais on ne peut pas se représenter tous les esprits d'une époque se rencontrant dans une invention concrète, qui ne saurait être jamais qu'individuelle; il faut les voir cherchant pour un sentiment populaire, né à la fois chez tous de circonstances communes à tous, un symbole, une enveloppe, et la trouvant dans quelque fait ou dans quelque personnage éclatant, qui se rencontre fort à propos pour prêter une forme à l'idée, mais qui aurait fort bien pu vêtir la nudité, je veux dire l'abstraction, de telle autre idée, différente ou même opposée. C'est donc l'humanité qui conçoit, c'est l'histoire qui fournit un

corps, c'est le poëte qui s'empare de cet être mixte, le couche dans un riche berceau, l'enveloppe de langes dorés, et donne à cet enfant de la pensée universelle la nourriture et l'éducation. L'antiquité grecque, celle du moyen âge, avaient besoin d'un nom propre pour une pensée qui les obsédait; quand on est impatient de trouver, et que tout peut servir, on ne cherche pas longtemps; la tradition livre des noms, je dirais presque les premiers venus, c'est Prométhée, c'est Faust; la forme première est trouvée; le poëme s'ébauche sous le ciseau grossier du peuple; et alors seulement viennent les poëtes, Eschyle, Goethe, entre les mains de qui l'intention primitive se précise ou se modifie.

On a pu dire sans témérité que l'humanité est son propre et son premier prophète, si l'on a entendu par là que, dans les siècles naïfs, la pensée de tous, lentement formée par des expériences et des impressions subies en commun et en silence, éclate à la fin avec un accord imprévu, et rend un de ces oracles qui sont nécessairement vrais parce qu'ils sont purement subjectifs, n'étant que le cri d'un besoin, d'un désir, d'une crainte, hélas! jamais d'une joie. Et ici nous pouvons observer, sans être le moins du monde humanitaire, que cette voix est bien celle de l'humanité, sa voix collective, et que jamais la pensée ni la poésie individuelle ne s'élèveraient à ces manifestations si la foule ne les y portait. Certainement, au sens exact des termes, l'humanité ne pense pas plus qu'elle n'aime, ne hait et

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