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opinion de M. Sayous; mais nous avons lieu dès ce moment d'en révoquer en doute au moins une partie. Que la suppression de l'article ait été, pendant un temps assez long, d'usage et de goût chez les écrivains, nous le croyons; qu'il en faille chercher la cause dans ce goût pour l'allégorie, qui a été, durant un siècle ou deux, l'esprit même de la littérature, nous ne prétendons pas le nier; mais ce que nous ne croyons pas, c'est que la langue française ait, dès son origine, répugné à l'emploi de l'article. D'abord, il ne nous paraît pas naturel qu'elle en ait emprunté l'idée aux langues germaniques et le signe à la langue latine, pour n'en pas faire usage; un mot ou un moyen grammatical que rien n'obligeait d'employer, une fois introduit, ne pouvait être sinécuriste; il eût été plus simple de ne pas l'introduire; et qu'est-ce que l'introduire, sinon l'employer? Un mot, un signe, un tour n'est pas préalablement déposé dans une grammaire ou dans un dictionnaire, comme en un magasin, jusqu'à ce qu'il plaise à quelqu'un de l'en faire sortir; il n'existe dans la langue que du moment qu'on s'en sert. L'histoire de l'article, dans la langue française, nous paraît confirmer cette théorie. Nous serions bien trompé par nos souvenirs si les écrivains des premiers siècles n'avaient pas fait de l'article un usage abondant (1). Plus tard, il est vrai, cet usage se res

(1) « Il faut d'abord établir, en fait, que l'article a toujours été employé « dans la langue, de la même façon qu'il l'est encore aujourd'hui : il n'est << point de texte qui ne l'emploie ; et, dès les plus anciens temps, sans « exception, il n'est point de texte où on ne le voie appliqué exactement

treint; les écrivains affectent de retrancher l'article. M. Sayous ne veut pas qu'on rapporte ce procédé à l'influence du latin : il a raison peut-être; mais je ne sais si l'argument dont il s'appuie est bien concluant << Alors il faudrait expliquer, dit-il,

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pourquoi cette influence n'aurait pas plutôt privé « la langue romane de cet élément du discours. Non, nous ne sommes pas tenus de donner cette explication, pas plus que d'expliquer pourquoi l'influence latine n'a pas empêché la langue française de subir, de plus d'une manière, l'influence des langues germaniques. Le latin a très bien pu, au neuvième siècle, laisser passer l'article dans le système grammatical de la langue française; le latin était envahi, vaincu, passif; s'il avait pu empêcher ce changement, il les aurait tous empêchés; il n'a pas opposé à l'invasion une résistance vive, active, mais une force d'inertie, le droit de premier occupant, l'indolence du vainqueur, et sa propre supériorité; il y avait telle altération qu'il ne pouvait subir, telle autre qu'il n'eût pas pu ne pas subir; du nombre de ces dernières était l'introduction de l'article, qui, quoi qu'il soit advenu depuis, était un des signes caractéristiques du nouvel idiome, une des conditions du français. Mais plus tard, beaucoup plus tard, quand le latin reparaît sous la forme et avec la dignité d'une langue savante, il en est tout

<< aux mêmes usages pour lesquels il nous sert encore.» Recherches sur les formes grammaticales de la langue française au treizième siècle, par GUSTAVE FALLOT; page 57.

autrement; il peut bien moins qu'il ne pouvait au neuvième siècle par le seul fait de sa présence antérieure et de son adhérence au sol; mais cette fois, il ne résiste pas, il agit, il envahit à son tour, il est conquérant. Ce qu'il regagnera de terrain sera bien peu de chose au prix de ce qu'il a perdu; ses conquêtes seront peu étendues, quelques-unes peu durables, un plus grand nombre injustes, mais ce seront des conquêtes, ce sera une réaction, et l'on sentira dans ce vaincu qui essaye de chasser le vainqueur ce qu'on n'avait pas senti dans le possesseur affaibli du sol, l'énergie, l'effort, la vie. M. Sayous ne veut pas que ce soit le latin qui, dans les derniers siècles du moyen âge, ait fait main basse sur l'article, et l'ait exterminé pour un temps à la bonne heure; mais il fait entendre que cela est impossible, et c'est à cela que je ne consens pas. L'explication qu'il propose est d'ailleurs ingénieuse et plausible.

Il faut pourtant remarquer qu'à la même époque où l'on se plaisait à supprimer l'article, on aimait aussi à supprimer le pronom personnel devant les verbes. Ces deux faits si analogues n'auraient-ils pas le même principe aussi bien que la même date? et s'il est impossible, comme l'observe M. Sayous, de trouver au second fait comme au premier une raison philosophique, ne sera-t-on pas tenté de révoquer en doute la haute origine qu'assigne l'auteur au phénomène de la suppression de l'article? et ne serat-on pas tenté de les expliquer l'un et l'autre par l'influence latine, ou par cette espèce de recrudes

cence du latin dans le français, dont la même époque présente, ce nous semble, bien d'autres symptômes? Car enfin, il faut trouver une cause à cette suppression fréquente du pronom personnel; et quelle que soit cette cause, ne pourra-t-elle pas, une fois qu'on l'aura trouvée, rendre raison d'un des faits aussi bien que de l'autre? Après tout, le latin peut être fort innocent des deux faits; mais il faut convenir que s'il a pu produire le second, il a pu produire aussi le premier; tandis que la raison assignée par l'auteur au premier des deux faits est absolument inapplicable au second.

Il faut lire dans l'ouvrage même les observations judicieuses de M. Sayous sur l'inversion et sur l'ellipse. Nous ne pouvons pas tout transcrire, et sous air de critiquer, nous faire le plagiaire et le contrefacteur de son livre. C'est bien assez d'avoir fait de ce livre une critique à peu près aussi étendue que le livre lui-même. Nous désirons que cette longue attention donnée à une simple brochure soit aux yeux de nos lecteurs le symbole et la mesure de notre estime pour l'ouvrage, si tant est que notre estime puisse créer un préjugé en sa faveur. Un livre écrit avec autant de conscience, dans un temps où la conscience n'est guère à la mode, vaut bien assurément la peine qu'on s'y arrête; et si nous éprouvons un regret au terme de notre travail, c'est de n'avoir pas assez d'autorité pour que notre suffrage devienne à M. Sayous une raison de persévérer dans d'aussi utiles travaux.

ÉTUDES LITTÉRAIRES SUR LES ÉCRIVAINS FRANÇAIS

DE LA RÉFORMATION.

2 volumes in-8o.- 1841.

Nous nous sommes déjà occupé d'une partie de ce même ouvrage publiée d'abord comme ouvrage à part; c'était une Étude sur Calvin, accompagnée de considérations générales auxquelles M. Sayous, dans sa nouvelle publication, donne une base plus large en groupant autour de Calvin les plus célèbres écrivains que la Réformation a donnés à la France du seizième siècle. Ce sont Farel, Viret, Théodore de Bèze, Hotman, les Estienne, La Noue, DuplessisMornay et d'Aubigné.

Ces Études sont littéraires; l'auteur a immédiatement en vue d'examiner l'influence que ces écrivains ont exercée sur la langue et sur le grand art de la parole; mais réduire ainsi le sujet, ce n'est pas précisément l'amoindrir; c'est en diminuer l'étendue et non pas le sérieux. Ce que ces hommes et leurs émules ont été comme écrivains, et ce qu'ils ont opéré en littérature, prend une place non moins importante que légitime dans l'histoire et dans la critique de la grande œuvre religieuse du seizième siècle. Il ne s'agit pas précisément de leur faire une place, ou d'élargir celle qu'ils ont déjà, dans la république des lettres. Il s'agit de mesurer une des faces d'un événement mémorable. Une histoire pu

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