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parce qu'elle ne voulut relever que de l'Évangile éternel, et ne consentit, sur aucune question, à remonter moins haut; pour faire comme elle, ne vous arrêtez point à elle; mais retournez d'un élan, et sans transition, à la source large et pure de toute vérité. Alors votre œuvre prendra un caractère et déploiera des effets qu'elle n'a pas encore obtenus; alors vous serez mieux proportionnés, mieux adaptés aux besoins particuliers de votre temps par cela même que vous le serez d'avance à ceux de tous les temps; car pour être à la hauteur du siècle et des siècles, il faut vous mettre à la hauteur de JésusChrist; votre action sera plus flexible et plus compréhensive, moins scandalisante pour les préjugés de l'époque, plus intelligente et plus intelligible, plus humaine en un mot; alors bien des barrières, que vous ne voyez pas même, tomberont à vos pieds, et peut-être votre œuvre gagnera peu à peu quelque chose de cet à-propos, quelque chose de cette popularité, qui fut si largement accordée à la Réformation du seizième siècle. Voilà ce que nous avons besoin de dire aux hommes du réveil religieux; et nous ajoutons avec confiance: Le livre dont M Merle d'Aubigné fait présent à la chrétienté vous mettra sur la voie; il élargira vos vues, il dilatera vos cœurs, et il ouvre le nôtre à de nouvelles espérances.

XIV.

SAYOUS.

ÉTUDE LITTÉRAIRE SUR CALVIN.

1839.

A quelque communion religieuse qu'il appartienne, l'ami de la vérité doit de la reconnaissance à l'écrivain sincère qui, sans préoccupation de parti, s'applique à nous faire bien connaître les hommes et les événements de la Réformation. On doit, non-seulement rendre justice à son intention, mais convenir qu'il ne vient pas trop tard. Bien qu'on ait, sur l'époque des réformateurs, et sur les réformateurs eux-mêmes, des travaux admirables, et qui, je crois, nous ont approchés du but, on est encore réduit, pour atteindre, sur ce sujet, au plus haut degré de vérité et de certitude possible, à compléter, à tempérer, à modifier les uns par les autres ces différents écrits, et à corriger, si je puis dire ainsi, les réticences des uns par l'exagération des autres. Il faut, dans l'appréciation des hommes et des faits, beaucoup de largeur d'esprit pour tout voir, beaucoup de philosophie pour tenir compte de tout, et beaucoup de foi pour tout dire. Avec tout cela même, la par

faite vérité, en histoire, est un sommet inaccessible.

Mais surtout il faut être homme, homme complet, pour écrire l'histoire des choses humaines. Il ne faut pas avoir tout un côté de l'âme insensible et paralysé. S'il ne faut pas méconnaître les conditions inférieures de notre existence, il ne faut pas non plus méconnaître le divin dans la vie humaine et dans l'histoire; il faut croire à l'esprit. Ce furent, à certains égards, de beaux jours pour l'humanité que ceux où l'histoire expliquait tout par quelque affection enthousiaste ou par quelque inspiration céleste, où les guerres de commerce passaient pour des guerres de religion, et où les générations se répétaient bonnement l'une à l'autre le jeune Occident se précipitant sur l'antique Orient pour rendre Hélène à son époux. C'était un beau temps que celui où l'on croyait que quelque chose avait pu se faire pour la gloire ou pour une idée; il suffisait qu'on le crût pour que cela fût possible encore; du moins est-il certain que, dans ce genre, ce qu'on estime impossible est impossible par là même. En sommes-nous là ? On le dirait presque, quand on voit de quelle manière la Réformation du seizième siècle est, en général, expliquée par le dix-neuvième.

Ce n'est pas assez que quelques-uns n'aient voulu y voir qu'une réclamation en faveur de la liberté de l'esprit humain, réclamation rattachée accidentellement à des questions religieuses, auxquelles, à leur tour, se rattachaient toutes les autres. Ceux

mêmes qui veulent bien voir dans la Réformation un événement religieux, c'est-à-dire un événement où le devoir paraît plutôt que le droit, et où le besoin de soumission tient plus de place que le besoin de liberté, ceux-là mêmes ne s'avouent pas toute la vérité au sujet de ce grand événement; en sorte qu'il faut apprendre aux réformés eux-mêmes à apprécier la Réformation. Elle fut religieuse dans le sens le plus élevé et le plus complet du mot; religieuse, non-seulement par son opposition dogmatique à la religion du temps, mais par son opposition à l'incrédulité, tous les jours plus fière et plus hardie. Au point où en était venu le catholicisme, l'Europe entière allait s'abîmant dans l'impiété; et le sacerdoce romain, bien loin de la retenir, la précipitait. En persévérant dans ses traditions, l'Église, au lieu de rien conserver, élargissait la voie à la destruction; le progrès des lumières et des études la battait en brêche; et ses vrais réformateurs, à défaut de Luther et de Calvin, eussent été Rabelais, Montaigne et Charron. La religion devait périr entre les mains des seconds, si elle ne fût ressuscitée entre les mains des premiers. Le vrai péril alors n'était pas la perte de la liberté, mais l'extinction de la religion. Il est vrai que la restauration et la destruction, la foi et le doute eurent forcément un terrain commun, eurent un même mot d'ordre et combattirent avec les mêmes armes; la Réformation, comme telle, avait un côté négatif par lequel elle fut contigue et put paraître continue avec le scepticisme du seizième

siècle. Il y eut un moment de pêle-mêle, et l'on sait assez qu'à la cour de François Ier le libertinage, pendant quelque temps, arbora les couleurs de la Réforme. La liberté, aimée par les uns comme but et par les autres comme moyen, mais enfin aimée par les uns et par les autres, les associa pour aussi longtemps que l'illusion fut possible; mais il y a tant de différence entre ceux qui font de la liherté leur but et ceux qui n'y cherchent qu'un moyen, ou, si l'on veut, entre ceux qui la veulent pour eux et ceux qui la veulent pour Dieu, que l'illusion ne put être de longue durée, et que ceux qui voulaient la liberté dans un sens se déclarèrent bientôt, et d'une manière efficace, contre ceux qui la voulaient dans un autre. C'est ainsi que François Ier, qui n'avait vu dans la Réforme qu'une anti-moinerie, lorsqu'il fut forcé d'y voir autre chose, signa une ordonnance royale, où l'on voit ce Père des lettres défendre à tout imprimeur d'imprimer aucune chose sur peine de la hart (1). Il proscrivit comme religion ce qu'il avait protégé comme liberté; en d'autres termes, il sacrifia à la moindre des libertés la plus haute et la plus excellente.

On a dit, quelque part, que la grandeur de Calvin est d'avoir su se retenir sur une pente terrible. C'est dire qu'avant tout il voulait la liberté, mais la liberté sauf la religion. Calvin a pu, comme tout puis

(1) Page 67. Les renvois se rapportent au tome Ier des Études littéraires sur les écrivains français de la Réformation, dans lequel M. Sayous a inséré cette étude sur Calvin, imprimée d'abord séparément. (Éditeurs.)

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