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septième siècle à vu flotter sur ses ondes. Toute l'histoire littéraire de ce grand siècle, une partie de celle du seizième et du dix-huitième se trouvera traitée incidemment dans les pages de M. SainteBeuve. Pour les y faire entrer, l'industrie et l'esprit ne lui manqueront pas, mais il lui faudra de l'esprit et de l'industrie. Comment mettre dans un même cadre Polyeucte et les Provinciales, Jansénius et Molière, Montaigne et Vauvenargues, Saint-Cyran et Rotrou, sans le faire çà et là éclater ou crier? Comment satisfaire, sous de telles conditions, aux règles de la suite, de la proportion et de l'ordre? Comment du moins ménager les transitions et dissimuler les sutures? Peut-être n'est-il pas malaisé, du moins à un homme d'esprit, de soutenir cette thèse : « Cor«neille est de Port-Royal par Polyeucte (1), » et quelques autres thèses semblables; peut-être est-il vrai de dire que « pour peu qu'on séjourne dans un sujet, «on y est bientôt comme dans une ville pleine d'amis, et l'on ne peut presque plus faire un pas dans << la grande rue sans être à l'instant accosté et sol«licité d'entrer à droite et à gauche. » Et nous ajoutons volontiers avec l'auteur: « Si l'on n'y doit pas « céder toujours, il sied de s'y prêter quelque

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fois (2). » La question ici est toute d'à-propos et de mesure. L'auteur n'a-t-il point été trop complaisant? N'a-t-il point trop aisément cédé aux amis de ses amis et même aux ennemis de ses amis? C'est possible et nous ne voudrions pas être engagé dans (1) Page 134. (2) Page 420.

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cette discussion. En tout cas le mal est fait, si mal a; jouissons-en; car on ne peut se dissimuler que quelques-uns des morceaux les plus précieux de cet ouvrage ne soient ceux qu'une critique formaliste n'hésiterait pas à retrancher. A côté de son sujet, comme dans son sujet, M. Sainte-Beuve a trouvé des trésors.

Le sujet de Port-Royal pouvait tenter un esprit beaucoup moins sérieux que celui de M. SainteBeuve; un poëte en pouvait faire sa proie. Les grandes figures, les grands noms, les scènes touchantes, le mouvement dramatique, la lutte et la persécution, l'héroïsme et le génie, le retour inopiné du primitif et de l'antique au milieu de l'âge le plus élégant et le plus décidément moderne, je ne sais quel écho solennel du désert parmi les bruits du grand règne et de la grande cité, que faut-il de plus pour attirer vers Port-Royal des esprits frivoles, à travers l'austérité des doctrines et la tristesse des mœurs? Mais qu'est-ce que Port-Royal moins sa théologie, moins sa pensée, moins son but? Comment, ayant retranché tout cela, sauver pourtant la poésie? Port-Royal, non plus qu'aucun événement sérieux, ne peut se scinder. Ce serait une pauvre histoire de ce grand fait que celle qui n'irait pas tout droit au coeur de l'événement, à son centre, et ce centre est théologique. C'est dire en même temps qu'il est philosophique. La théologie n'est qu'une philosophie dont la base est donnée;

ce qui n'empêche pas qu'il n'y ait dans la théologie beaucoup de spontanéité, beaucoup de sympathie avec la nature humaine, et même beaucoup de correspondance avec toutes les préoccupations dont une époque peut être agitée. M. Lerminier a dit quelque part, que la philosophie est le mouvement de l'esprit humain, et que les religions en sont les haltes. Nous n'appliquerons point ce mot à la théologie de la vraie religion; elle n'est pas une halte dans le mouvement; elle en est la règle et le modérateur; elle accueille ce mouvement, et, sans l'arrêter, elle le dirige. Elle n'interrompt point le cours de la pensée; elle est elle-même une pensée; et bien que son point de départ soit une vérité révélée, et que par conséquent elle ne dispose pas de son commencement, si elle est vraie, elle comprend tout, parce qu'elle est plus vaste que toutes les philosophies, et qu'elle renferme dans son sein tout ce que chacune a de vrai. Sans être éclectique d'intention, elle est, de fait, l'éclectisme par excellence, comme nécessairement la vérité doit l'être.

Ceci suppose que le christianisme est la vérité, et tout le monde ne nous l'accordera pas; à la bonne heure; qu'il reste seulement convenu que, s'il y a une religion vraie, sa théologie n'est pas une halte dans le mouvement de l'esprit humain. Qu'on nous accorde une chose encore : c'est que, dans l'appréciation et dans l'histoire des événements religieux, il faut au moins accepter l'élément religieux comme un fait, comme un phénomène de l'esprit humain, comme une

partie de la nature humaine, aussi profonde pour le moins que toutes ses autres propriétés et toutes ses autres tendances; plus profonde même que tout le reste; car qu'est-ce que la religion sinon la recherche ou la connaissance d'un premier principe, non abstrait, comme celui dont se contente la philosophie, mais vivant, personnel, relatif à la fois à toutes les facultés de notre être, et dont la nécessité doit être plus universellement et plus vivement sentie que celle du principe abstrait? Celui-ci, en effet, intéresse les seuls philosophes; l'autre intéresse tout le monde, y compris les philosophes; et il faut bien qu'ils conviennent que sa découverte, et celle des moyens de se mettre en rapport avec lui, constitue, si elle est possible, une philosophie plus complète que la leur. On ne saurait donc leur pardonner, quand ils racontent un événement religieux, d'y chercher à toute force un dessous de cartes plus profond que le sentiment religieux lui-même, et de ne voir dans ce besoin religieux que la forme de quelque autre besoin, ou l'accident d'un phénomène plus important et plus réel. Parce que ces hommes, lentement évidés par l'habitude de la spéculation, ne sentent pas le besoin de Dieu, ils auraient tort de s'imaginer que d'autres ne le sentent pas; il faut, au contraire, qu'ils reconnaissent que ce besoin est le plus constant, le plus universel, le plus inextinguible de la nature humaine, et que, dans toutes les histoires où la religion paraît, si ce n'est pas le seul, c'est le premier qu'il faut supposer.

Quant à ceux qui, dans un grand fait religieux, ne cherchent et ne supposent même que de la poésie, c'est bien autre chose encore. Après les avoir invités à prendre pour eux, à fortiori, ce que nous avons dit aux philosophes, disons-leur encore, en nous plaçant au point de vue de leur préoccupation ou de leur art, que chaque objet qui a de la vérité a de la poésie, mais qu'il est absurde de vouloir séparer la poésie de son objet; que ces bouts de rameaux, détachés de l'arbre et plantés en terre, ne recroîtront pas, ne fleuriront pas, et que cette poésie, n'étant pas celle de l'objet, qu'on n'a pas voulu connaître, dont on a prétendu faire abstraction, n'est la poésie de rien, n'est pas de la poésie : le fantastique même est plus vrai que cette poésie de convention. Ajoutons encore que les événements ou les individualités qui ont, s'il est permis de parler ainsi, exhalé le plus de poésie, vus et observés de très près, semblent n'en renfermer point; leur poésie est comme un parfum ou comme un écho qui ne devient sensible qu'à une certaine distance, ou de temps, ou d'espace, ou de pensée. Ainsi, le mouvement industriel de notre époque aura sa poésie dans l'avenir, il l'a déjà dans la pensée du contemporain qui le regarde des hauteurs de l'avenir; mais tout près du mouvement, au milieu de ses détails et de son fracas étourdissant, il n'y a, pour l'immense majorité des spectateurs, point de poésie. Ce ne sont pas les personnages qui ont eu le sentiment d'être poétiques, ou qui ont aspiré à l'être,

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