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l'auteur du premier de ces ouvrages éveille en nous une grande attente, il l'a de beaucoup dépassée. Il ne nous a pas trompé, mais comblé.

On ne peut s'empêcher de se demander: Que dirait le dix-huitième siècle, non du style de M. Mignet, mais du style dont M. Mignet offre le type le plus accompli? C'est demander peut-être, en d'autres termes, ce que le dix-septième siècle dirait du dix-neuvième; car tout le dix-neuvième siècle, ou du moins ce qui lui est le plus propre, est là; cette langue accuse plus fortement qu'aucune autre le caractère qui distingue notre époque. D'autres styles, plus apparents, si l'on peut dire ainsi, plus en évidence, signaleront moins vivement dans la postérité ses traits les plus expressifs. Je n'en excepte pas cette gravité qui n'est point, comme on pourrait le supposer, tout académique. C'est, au contraire, pour être çà et là un peu trop académique que cet admirable langage est çà et là un peu moins grave. La gravité du style, en des sujets graves, est réellement un des fruits de notre époque, et par là peutêtre le style de M. Mignet étonnerait presque autant le public du dix-huitième siècle que celui de l'âge précédent. Mais pour nous en tenir à ce dernier, au public de Bossuet, de Racine et de Fénelon, quelle surprise ne lui causerait pas ce langage, tout rempli, tout chargé (je ne considère ici que le langage) du travail intellectuel de cent cinquante ans écoulés depuis Athalie et le Télémaque! Comme il est plein et nourri! comme les intentions y abondent! et que

d'éclairs jaillissent de chaque mot, dans un style pourtant auquel est bien étrangère la recherche puérile de l'effet! quelle plénitude et quelle précision! quelle force et quelle mesure! quelle éloquence parfaitement sensée ! quelle élégance sérieuse et virile! La Fontaine aurait eu plus d'une raison de dire en lisant ces remarquables écrits: « Ils sont d'airain, d'acier, de diamant. » Une certaine grâce, qui ne va point sans un peu de diffusion, y manque seule peut-être; mais dans la plupart des sujets que M. Mignet a traités, la grâce n'était point une beauté nécessaire, et il a dû préférer en général une richesse compacte à une abondance étalée.

Après avoir lu les Éloges de Fontenelle, dont l'esprit flexible nous explique également bien d'Argenson et Leibnitz, Cassini et Pierre-le-Grand, un contemporain de cet académicien n'aurait pas rencontré sans surprise l'universalité de savoir et d'intelligence que supposent les Notices de M. Mignet. Je sais qu'une espèce d'universalité n'est pas seulement la prétention des esprits de notre époque, mais jusqu'à un certain point la condition d'une culture supérieure. Mais peu d'auteurs, aujourd'hui même, pourraient, comme celui des Notices, jeter l'esprit des lecteurs dans le doute sur leur spécialité; car celuici, véritablement, paraît chaque fois de la même profession et du même ordre que l'homme dont il raconte la vie. S'il ne s'agissait que de plier la langue tour à tour aux exigences de chaque sujet, nous dirions avec M. Mignet lui-même : « Tout se peut, je ne

l'ignore point, pour qui sait bien s'y prendre, et la langue de Pascal et de Buffon n'est rebelle que << pour ceux qui n'ont pas l'habileté de s'en ser« vir (1). » Mais la difficulté, dont l'auteur dédaigne de parler, vaut pourtant bien qu'on en parle, et qu'on signale l'étendue d'esprit et la rare intelligence de celui pour qui elle n'a pas même été une difficulté.

Sieyes, Roederer, Livingston, Talleyrand, Broussais, Merlin de Douai, Daunou, Raynouard, Michaud, l'abbé de Frayssinous, sont successivement jugés dans le premier de ces deux volumes. Jugés, c'est bien le mot. Hors l'élégance polie et la réserve un peu officielle du langage, il n'y a rien ici d'académique; rien du moins de ce qu'autrefois ce mot désignait, ni de ce qu'il annonce aujourd'hui, je veux dire depuis que la satire courtoise et l'épigramme oblique sont devenues, dans ce genre de composition, l'agréable variante de la louange. Les Notices de M. Mignet sont des jugements où la bienséance de la position et les sentiments de confraternité ne réclament pour leur part que l'aménité de la forme et tout au plus, çà et là, quelque obligeante circonlocution. L'auteur lui-même l'a dit en un petit nombre de mots énergiques : « Tout en accordant ce que je dois au corps devant lequel je parle, aux sou<< venirs personnels qui me restent, je me croirai << devant l'histoire (2). » Aussi toutes celles de ces Notices qui concernent des hommes politiques sont(1) Tome I, page 358.

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(2) Tome I, page 108.

elles bien de l'histoire, et pour le moins égale à tout ce qu'a fait M. Mignet dans le genre sévère auquel il a dû le premier éclat de son nom. De quelquesuns de ces portraits se compose, nous osons le dire, une nouvelle histoire de la révolution française, prise dans chacun de ses aspects principaux; on dirait d'un polyèdre dont chaque face est étudiée à son tour. Cette histoire suppose chez le lecteur la connaissance matérielle des faits, qu'elle rappelle sans cesse et que jamais elle ne raconte; mais dans l'étude pénétrante de quelques individualités, dont chacune a brillé à la cime d'une idée ou au moment critique d'une grande situation, tout l'événement se reproduit en même temps qu'il s'explique, et la révolution, s'il est permis de parler ainsi, se trouve percée à jour.

Mais l'indépendance n'est qu'une des conditions d'un bon jugement. La vérité, et, lorsqu'il s'agit de juger les actions des hommes, la vérité morale, en fait le véritable prix. Nous voulons toute la vérité sur l'homme et sur les principes; nous prétendons que, vrai sur la valeur des faits, le juge ne le soit pas moins sur la valeur des lois qu'il applique. Il n'est pas assez vrai s'il est indifférent, puisque l'indifférence est, en matière pareille, la plus grave de toutes les erreurs. Ici nous aimons à rendre hommage à l'auteur de ces notices, où l'honnêteté des sentiments, la sûreté et l'élévation du sens moral, l'emportent, s'il est possible, sur l'éclat des pensées et la noblesse du langage. Bien qu'il n'y eût de notre

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part aucune offense à dire que l'auteur de ces deux volumes est, sous ce rapport, en progrès sur celui de l'Histoire de la Révolution, nous nous bornerons à remarquer que le caractère systématique du plus ancien de ces ouvrages avait entraîné l'auteur à faire trop souvent abstraction du point de vue le plus sérieux et par conséquent le plus élevé et le plus populaire sous lequel son sujet eût pu se présenter à lui, nous voulons dire celui de la morale. Ici l'écrivain, que ne gênent plus les exigences d'un système, laisse paraître l'homme, au grand avantage, ce nous semble, et de l'écrivain lui-même et du lecteur. C'est déjà quelque chose, dans le temps où nous sommes, d'avouer implicitement la vieille morale du catéchisme; l'adhésion de M. Mignet aux grands principes, qui sont, après tout, la sagesse et la sauvegarde des peuples, est explicite et respectueuse. Ceux à qui plus d'effusion ferait plaisir auraient tort pourtant de l'exiger l'effusion n'est qu'une des formes de l'éloquence; il ne faut ni se l'interdire ni se la commander; on est toujours assez éloquent lorsqu'on est entièrement vrai avec soimême, et il ne serait pas juste de confondre le sang-froid avec la froideur. Je ne nierai pas toutefois qu'un certain degré de réserve dans l'expression est peu propre à représenter fidèlement la vraie position de l'être moral en face de la loi morale et de son divin auteur. Quelque abus qu'on ait fait d'un certain langage, celui qu'une réaction inévitable a fait prévaloir sent un peu trop son philo

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