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la chose d'un autre côté, est-ce avec des notions vagues qu'on pourra communiquer aux autres des sentiments forts? Vos sentiments valent mieux que vos notions; je le crois, j'en suis sûr; cette disproportion se voit souvent; et, à tout prendre, il est préférable de beaucoup que l'équilibre soit rompu dans ce sens que dans l'autre; mais n'oubliez pas que vous ne pouvez pas inspirer immédiatement vos sentiments; vous êtes obligé d'abord de présenter les idées ou les faits qui les ont fait naître dans votre cœur et se répandre dans votre vie; or, ces faits, ces idées, vous ne sauriez les articuler avec trop de soin; si vous n'avez pas eu besoin, pour votre compte, de vous les formuler avec rigueur, parce qu'ils se sont vivement accentués dans votre cœur sans le secours du langage, et que cette parole intérieure a prévenu l'intervention de la parole extérieure, croyez-vous que, dans d'autres circonstances, et pour d'autres âmes, la précision, qui, après tout, n'est qu'un autre nom de la vérité, ne sera pas indispensable pour déterminer une conversion sem→ blable à la vôtre? Hélas! la plus claire, la plus complète énonciation de la vérité religieuse manque trop souvent son effet sur les cours; voulez-vous rendre cet effet encore plus difficile, plus douteux, en émoussant, par le vague des expressions, la pointe de ces vérités qu'on ne peut trop aiguiser? N'est-ce donc pas assez que le cœur soit défendu contre elles par tant d'enveloppes, sans les envelopper elles-mêmes et amortir leur salutaire tranchant?

Faites-en l'expérience essayez sur d'autres les vagues formules qui peut-être vous ont préalablement suffi, parce qu'une voix intérieure les articulait, sans mots, à votre cœur ému et repentant; essayez votre parole humaine sur ces âmes que la Parole divine n'a point encore travaillées; vous verrez que vous ne serez ni compris ni même accueilli : c'est que vos formules ne renferment point pour d'autres ce qu'elles renferment pour vous; c'est qu'elles ne leur disent point ce qu'elles vous ont dit; c'est qu'elles ne pourraient avoir pour eux la signification qu'elles ont eue pour vous, à moins qu'elles ne les trouvent dans des circonstances pareilles à celles où vous étiez : d'où vous devez conclure que, tout en acceptant, chacun pour nous, la vérité dans la forme et sous l'aspect que Dieu a jugés suffisants ou nécessaires, il ne faut pas les appliquer à d'autres, à qui cette forme et cet aspect peuvent être inintelligibles; qu'il faut leur présenter cette vérité sous la forme non individuelle, non subjective, mais objective, générale, absolue, qui est et doit être à la base de toutes les représentations diverses que nous pouvons nous en faire; en d'autres termes, sous sa forme simplement humaine, qui est à la fois et par cela même sa forme divine, puisque Dieu seul pouvait, sous toutes les individualités, personnelles, nationales, séculaires, atteindre et embrasser le pur élément humain. Voulez-vous done convertir comme vous avez été converti? servez-vous de la langue de Dieu. Voulez-vous être réellement converti vous

même, et avoir en vous toutes les conséquences d'une conversion véritable? parlez-vous à vous-même la langue de Dieu; non pas les mots, non pas les phrases, mais la pensée de Dieu, sa pensée exacte, toute sa pensée.

Et qu'on ne vienne pas alléguer, contre la nécessité d'une dogmatique positive et précise je ne sais quelle largeur de vues, qu'on croit plus sûrement trouver dans le vague des doctrines rationalistes, ou l'intérêt, certainement respectable, de l'application du christianisme aux affaires sociales, ou l'importance de ne pas enlever à l'Évangile le caractère philosophique qui le recommanderait aux penseurs, caractère, j'en conviens, que l'Évangile doit avoir si l'Évangile est vrai. Ce sont ces considérations mêmes qui parlent pour notre thèse. La largeur? elle n'est que dans le christianisme positif, nettement dessiné, vivement accentué; celui-là seul assure à toutes les facultés de notre nature, à tous les besoins de notre âme, le plus vaste essor et le plus grand espace possible; il n'est pas une de ces facultés, pas un de ces besoins que le rationalisme, au contraire, ne refoule et ne mette à l'étroit, pour mettre au large, quoi? uniquement ce qui doit être comprimé, les passions de la chair, la soif immodérée de savoir, la répugnance à croire et à prier, et, en toutes choses, la haine du joug de Dieu. La société, dites-vous encore? Mais vous n'y pensez pas! La société ne sera organisée que du jour où elle sera évangélique, et il n'est pas un des principes du chris

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tianisme qui ne soit propre et destiné à rétablir l'ordre sur un point correspondant de l'existence sociale. Tous nos systèmes politiques pèchent par être plus étroits que l'humanité; l'Évangile seul est vaste comme elle. La philosophie, nous dit-on enfin. Invoquer la philosophie contre l'orthodoxie! la philosophie en faveur du rationalisme! Il n'y a pas, à mon sens, de contre-vérité plus frappante. C'est en restant dans l'enceinte du christianisme positif qu'on peut organiser, ou plutôt qu'on voit s'organiser d'elle-même, avec triomphe, une philosophie religieuse, claire, cohérente et complète; c'est de là qu'on voit la vie s'éclairer, s'ordonner, les problèmes se résoudre, les dualités se fondre de toutes parts en glorieuses unités, dont chacune est un miroir et une empreinte vive de la suprême unité; au point de vue du christianisme rationaliste (je ne dis point du rationalisme chrétien, car il existe, il est légitime, et je viens de le caractériser), à ce point de vue oblique et borné, il n'y a point de solution possible, point de coordination régulière des faits, point de système sans lacune, c'est-à-dire point de philosophie.

Mais j'aurais tort, je le sens, de toucher en fuyant à ces vastes questions, si je n'avais pour excuse la légitime espérance que les avoir indiquées à un homme comme l'auteur d'Arthur, c'est avoir mis un esprit supérieur sur la voie, et peut-être dans l'obligation de les discuter à loisir et de les épuiser. Que si cet espoir est trompé, je chercherai une indem

nité dans l'accomplissement d'une autre espérance; car j'aime à penser que ce nouveau-venu dans le royaume de la lumière croira devoir suivre notre humble conseil, et marcher droit à la lumière, c'està-dire droit à la Parole divine, fallût-il même (ce que je ne crois point nécessaire) fouler aux pieds toute une bibliothèque de ses auteurs favoris. L'Évangile avant et après tout! l'Évangile à l'exclusion, s'il le faut, de tout autre livre! tel est, non pas tant notre conseil que celui de la Sagesse elle-même : « A la Loi et au Témoignage ! dit-elle. Que s'ils n'agissent point selon cette Parole, qu'ils le sachent bien, pour eux il n'y aura point d'aurore (1). » Un mot encore, et nous aurons fini. Est-ce la juste conscience de notre faiblesse qui nous fait mettre nos frayeurs à l'usage d'un homme qui peut-être

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n'est pas fait pour les accepter? C'est possible; mais

cela ne nous empêchera pas de les exprimer. Le repentir a su arracher Arthur du milieu du tourbillon de ce monde; heureuse apostasie, mais que le monde ne pardonne pas, et dont il ne prend pas aisément son parti. Il jouit moins de ce qu'il possède qu'il ne souffre de ce qu'on lui enlève; la fidélité des siens le touche peu, leur infidélité l'irrite; il s'acharne après ses transfuges, et pour peu qu'un bout de chaîne traîne après eux, il a bientôt le pied dessus, il reprend son esclave, « et la dernière condition de «< cet homme est pire que la première (2). » Heu(1) Ésaïe, VIII, 20.

(2) Deuxième Épitre de saint Pierre, II, 20.

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