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aloi ni plus persuasive : quelque chose de mieux que la philosophie a passé par là. Nous le recommandons avec confiance aux parents et aux instituteurs comme aux hommes de goût, non quelquesunes de ces fables aux premiers, et le reste aux autres, mais toutes à tous; au moins les exceptions sont-elles rares; l'enfant et le littérateur trouveront, presque toujours, leur plaisir au même endroit. Voyez la belle fable du Laboureur (1), voyez l'Ane et la Cloche (2), dont nous citerons les derniers vers. Il s'agit de la barbarie de l'homme envers les animaux qui le servent :

Hélas! de tous ces maux que méprise la loi

Quand viendra chez nous le remède ?

Homme, prends en pitié ce valet quadrupède;
Il est sensible, il souffre, il est chair comme toi.
Dieu même à tes soins le confie:

De lui tu rendras compte au Père de la vie.
Cet âne, objet de tes mépris,
Mieux traité par la synagogue,
Il est mis dans le décalogue;
Dans le sabbat il est compris.

Des coutumes d'Égypte un long temps nous sépare.
Depuis le bœuf Apis on a fait du chemin.

Mais quoi? Toujours l'excès! Idolâtre ou barbare!

L'homme un jour sera-t-il humain?

Nous disons la même chose de la fable des Rive

rains (3):

Un ruisseau court dans la prairie,

Touchant Lucas à gauche, à droite Nicolas,

C'est la guerre éternelle. Incessamment l'on crie :

«

Voisin, j'en veux ma part.-Voisin, n'y touchez pas.
(2) Livre VIII, fable XII.

(1) Livre III, fable VII.

(3) Livre XII, fable X.

— Mais, voisin, mon herbe est flétrie; C'est mon tour. - Nenni, c'est le mien. » Et chacun de creuser des rigoles profondes, N'ayant souci que de son bien.

Oubliez-vous, méchants, l'Auteur des eaux fécondes?
La croix sur le clocher ne vous dit-elle rien?

Prise et reprise à force ouverte,
L'onde souvent changea de lois.
Le sang sur la pelouse verte
Coula, dit-on, même une fois.

Si la chronique est véritable,

Lucas, le gros Lucas, était le plus coupable;
Lucas, de cette idée imbu

Que ni lui ni son pré n'ont jamais assez bu.
Après la force, un jour, pour essayer la ruse,
Il offre à Nicolas un traité qui l'abuse.
Voici le protocole, arrêté verre en main :

« A chaque bord son jour; tu lèves ton écluse
Au coup de l'Angelus, et moi le lendemain. »
Mais quand la nuit est plus obscure,
Qu'en son pauvre manoir Nicolas retiré,
S'abandonne au sommeil, et rêve qu'en son pré
Il entend le ruisseau courir sur la verdure,
Lucas à pas de loup en vient changer le cours.
Avant l'aube il revient encore

Cacher ses crimes à l'aurore.

Il ne les put cacher à l'Arbitre des jours.
Un soir que ses gazons buvaient avec mystère
L'eau dérobée à Nicolas,

Un gros nuage avec fracas

Se déchire et fond sur la terre.
Le ruisseau qui devient torrent,
Graveleux, fangeux, dévorant,
Suit d'abord le premier passage
Ouvert à son aveugle rage,

S'y creuse un lit toujours plus grand.

Le voilà chez Lucas roulant pierres sur pierres.

Dieu vengeur, tu le veux! Plus d'herbe, plus de fruits;

Les arbres mêmes sont détruits;

Le pré n'est plus que fondrières.
On connut que du ciel c'était un jugement,
Et Nicolas, montrant son écluse abaissée,
Disait à la foule empressée :

« Voici la trahison; voilà le châtiment »

Nous ne voulons pourtant pas induire en erreur nos lecteurs; tout, dans ce livre, n'est pas également propre à l'enfance, à qui, dans le fait, M. Porchat n'a point spécialement destiné son livre. Quelquesuns même des morceaux qui, dans ce recueil, plairont le plus à l'enfance, ne lui sont point adressés, et n'auront tout leur sens que pour un âge plus avancé. Nous en citerons deux de cette espèce (1), pour que la cause soit bien instruite, et puis aussi pour notre plaisir :

LA FEMME DE XANTHUS.

La femme de Xanthus maudissait le destin,
Maudissait son époux, rêvasseur, pauvre sire,
Philosophe enfin, c'est tout dire.

Lasse de murmurer, la dame, un beau matin,
Fait son paquet, s'enfuit chez elle.
C'était divorcer sans façon.

Bref, le pauvre Xanthus se réveille garçon,
Et de pleurer son infidèle.

Nous sommes ainsi faits; après ce méchant tour
Il devait la trouver plus belle.

« Vous l'aurez, dit Ésope, avant la fin du jour.

Je m'en charge. - Vraiment! dit Xanthus en délire.

Aussi vrai que je suis à vous.

C'est donc vous obliger ?- Mais cela va sans dire.
Rends la volage à son époux;

Disons-mieux, rends-moi l'esclavage :

(1) Livre IX, fable XI, et Livre XI, fable X.

Le tien finit demain. — Que bénis soient les dieux! »
Reprend le Phrygien, qui part leste et joyeux.
Il porte un grand panier: chemin faisant, achète
Gibier et volaille et poisson,

Passe aux lieux où la belle a choisi sa retraite,
Fait si bien qu'on le voit. « Qu'est ceci, mon garçon ?
Lui dit la fugitive. Êtes-vous en frairie ?

Voilà de fins morceaux ! Qu'en veut faire Xanthus ?
Madame...-Eh bien! - Votre époux... se marie.—
Dès ce soir, mais motus :

Vraiment!

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C'est un secret. La presse est grande;

Entre nous, Xanthus appréhende

De votre part un repentir.

On m'attend: laissez-moi partir.

Surtout, au nom des dieux, pas un mot du mystère,

Ou je suis un homme pendu.

Pour moi, je vous aimais: de vous cacher l'affaire
Je me suis en vain défendu.

De ce pas, tout mélancolique,

Je vas commander la musique.

Xanthus aime à changer : nous danserons souvent. »

Il s'éloigne à ces mots, enfile une ruelle,

Prend un léger détour, et retrouve la belle
Chez Xanthus, heureux comme avant.

MICHEL-ANGE ET LE PÊCHEUR.

A M. de Lamartine.

Toi dont l'Europe entière écoute l'harmonie,
Chantre d'Elvire, beau génie,

Pourquoi sommeilles-tu souvent ?
Ce qu'on pardonne au vieil Homère
Ne pense pas qu'on le tolère

Encor dans notre âge savant.
Mais du conseil tų ris sans doute,
Et peut-être du conseiller.

Sur ses propres défauts saura-t-il mieux veiller ?
Lui? Ce n'est pas la peine. Écoute.

Au bord du Tibre un jour Michel-Ange rêvait,
Dans les champs égaré, seul avec sa pensée,
Et chemin faisant poursuivait

Quelque grande œuvre commencée.

Il voit un pêcheur près des eaux

Qui, sans compas, sans règle, architecte inhabile,
De bois grossiers, de vils roseaux,
Bâtissait sa maison fragile.

Il sourit; c'était de son art

L'essai sans forme et sans mesure.

Que d'erreurs blessaient son regard!

Le voilà qui s'enflamme; il conseille, il censure,
Il donne à mon pêcheur leçon d'architecture.

« Ceci n'est pas d'aplomb; cet angle n'est pas droit : Ce jour veut être moins étroit;

De tes piliers entre eux mesure la distance. » L'autre lui répondit : « Pourquoi tant de science? Ce soir mon toit s'achèvera:

Demain peut-être la rivière

Ou l'orage l'emportera.

La règle! le compas! C'est fort bien à Saint-Pierre. Allez à Michel-Ange offrir ces beaux conseils.

Il en usera s'il est sage;

Car les défauts de ses pareils

Sont immortels comme l'ouvrage. » Michel-Ange sourit : « Merci, mon doux prêcheur, Et puis, en le quittant, il l'embrasse; il se nomme. Peut-être Saint-Pierre de Rome

Serait moins beau sans le pêcheur.

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