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sayé dans la fable: le mensonge lui allait mieux. Les fables de La Fontaine sont, avant tout, des fables. L'apologue était la forme de son génie, forme élastique et complaisante où son esprit, naturellement digressif et flâneur, rencontrait tour à tour l'ode, l'élégie, la comédie, le poëme philosophique. C'est donc de l'esprit dominant de sa morale que nous parlons, quand nous relevons le caractère moqueur de la plupart de ses fables. La fable peut faire autre chose que de moraliser, et La Fontaine l'a bien prouvé; mais quand elle moralise, elle incline assez naturellement vers la satire; la morale qui n'est pas religieuse serait par trop naïve aujourd'hui, si elle n'était pas satirique; et qu'ont été nos plus fameux moralistes sinon des satiriques?

La fable, dit-on, est un genre suranné; ce n'est plus le temps des fables. On en parle à peu près comme des rondeaux et des acrostiches. Il y a là dedans quelque chose de vrai peut-être. Il fallait un La Fontaine pour accréditer l'apologue en France; et sera-t-il permis de dire qu'il ne l'a accrédité qu'en le dénaturant, ou tout au moins en le transformant? Sans l'irrésistible fantaisie de ce génie heureux, aurions-nous des fabulistes? Le talent des plus habiles imitateurs de ce grand poëte se fût-il avisé de cette forme et n'eût-il pas cherché une autre issue? La fable a décidément quelque chose d'antique et de primitif; il a fallu, pour l'acclimater dans les âges modernes, la faire satirique, élégiaque, dramatique, oratoire, que sais-je ? tout ce

qu'elle n'est pas naturellement. Nous y tenons néanmoins par un autre lien que celui de l'habitude; quelque chose nous sourit encore dans le fond même du genre; et la donnée si simple de faire agir et parler comme des hommes les animaux et les plantes est encore à présent moins usée que les inventions de Micromégas et de Gulliver. Faites donc des fables, si votre talent vous y porte, et si le cœur vous en dit; mais souvenez-vous que c'est un genre auquel il faut à chaque fois conquérir sa place dans la littérature, et que, pour la lui obtenir, il suffit de deux petites choses sans plus: l'invention dans les idées et la perfection dans le détail.

Il y a quinze ans tout à l'heure qu'un joli petit volume intitulé Recueil de Fables, par J.-J. Valamont, fut publié à Paris, où l'exiguité du volume et la nouveauté du nom de l'auteur n'empêchèrent pas qu'il ne fût remarqué et loué. Il ne comprenait alors que quarante fables distribuées en trois livres. Il reparut, quelques années après, augmenté de six nouveaux livres, sous le titre de Glanures d'Ésope. L'accueil qu'il a obtenu a donné naissance à une nouvelle et fort belle édition enrichie de trois livres, comprenant quelques-unes des meilleures fables de l'auteur. Ce recueil nous paraît tout à fait digne de l'attention des hommes de goût. Ce que l'imitation héréditaire d'un modèle inimitable a imprimé de factice et de maniéré au genre de l'apologue chez nos meilleurs fabulistes, est à peine sensible dans le recueil de M. Porchat. C'est que

l'apologue lui est tellement naturel qu'on est tenté de croire que, s'il n'y avait pas eu de fables dans le monde, il en aurait fait. L'apologue éclot pour lui de toutes les scènes du monde animal, de tous les aspects et de tous les bruits de la nature. Aussi a-t-il sa naïveté, vraie, franche, point mièvre et point grimacière. Il dramatise et dialogue fort bien; ses personnages restent bien dans le ton de leur caractère, et quand ils parlent, ce sont bien eux qui parlent, jamais l'auteur: on en peut faire l'épreuve en essayant de lire à haute voix ces dialogues d'animaux; je doute qu'on rencontre une seule fausse note. Il y a beaucoup d'expérience et d'habileté dans la diction; on y trouve les résultats sans y apercevoir les traces du travail; sur les morsures de la première lime, une lime plus douce a passé, le polissoir sur cette autre lime; le fruit de ce travail, ou de cette facilité conquise par l'étude, est une précision élégante et vive, une grande adresse de diction, une grande variété de tours. M. Porchat, qui a beaucoup d'esprit dans la pensée, en a beaucoup dans le style; il a, de plus, du jet, du premier-mouvement, et il en aurait davantage encore, s'il voulait bien n'être pas plus sévère pour lui-même que son lecteur, et s'il osait sacrifier quelquefois la perfection technique à la grâce de l'abandon. Ses procédés de correction sont un peu corrosifs; ils enlèvent la tache, et l'étoffe avec. C'est un beau défaut, et qui ne fera pas secte; mais enfin c'est un défaut; et nous osons prier l'auteur d'avoir un peu

plus d'égard à ses premières inspirations. On peut reprocher, de temps en temps, à son style une concision un peu pénible, des chocs d'idées un peu durs, des mouvements un peu anguleux, je ne sais quoi d'elliptique, non dans la phrase, mais dans la pensée même, qui fait acheter le plaisir facile de la seconde lecture par le labeur de la première. Faire cette critique, c'est dire en même temps que le style de M. Porchat n'est jamais commun ni lâche; et, en effet, rien ne lui est plus étranger que ces deux défauts; il n'y a pas de style plus prompt ni plus net.

Il est peut-être aussi difficile et aussi rare d'inventer son style que d'inventer ses sujets, et le premier de ces mérites a suffi, sans le second, à la gloire de plus d'un auteur. Le second, certes, a pourtant bien son prix, et il vaut la peine d'en parler. La plupart des sujets de M. Porchat sont aussi ingénieux que naturels, et le plus grand nombre lui appartiennent. Mais ce qui lui appartient aussi, et ce qui malheureusement le distingue, c'est le caractère de sa morale, où l'élément religieux, c'est-à-dire le véritable élément moral, est entré plus abondamment que chez aucun autre fabuliste. Je ne répéterai point ce qui a été dit à ce sujet dans un journal, qui a fort bien apprécié ce recueil d'apologues. On rencontre pourtant peu de mots religieux dans ces fables, et la dernière seule, qui même n'est pas une fable, indique la source où l'auteur puise sa morale; mais le mélange de sévérité et de mansuétude qui se fait sentir dans

les enseignements du nouveau fabuliste est un caractère qu'on ne trouve guère chez la plupart de ses devanciers. Il y a bien, chez les autres, de la sévérité et de l'indulgence, mais différemment appliquées; la première s'adressant aux personnes, et la seconde aux principes : c'est l'inverse au point de vue de la religion.

M. Porchat n'abdique point le rôle de censeur, dévolu de tout temps aux fabulistes ; et sans être de ceux dont l'impatience arrache à la lyre ses cordes pour en armer un fouet vengeur, il éclaire sans pitié certains recoins ténébreux de notre nature, où notre regard, moins courageux, hésite à suivre le sien. Il n'est point alors ironique et railleur, il ne fait que raconter, mais quel récit que le Prix du labour (1)! et qui n'est tenté d'accuser d'un peu de cruauté l'imagination du poëte? Il y a, dans le recueil, peu d'inventions pareilles; mais, sous des formes plus douces, c'est partout le même jugement sur l'espèce humaine la justice de l'auteur est aussi inflexible que sa bienveillance est inaltérable. La première, par une sorte de fraternelle pudeur, se voile, et, pour l'ordinaire, ne se trahit qu'à des yeux exercés; la seconde est partout découverte et répandue, et nous aimons à dire que ce volume si agréable est une suite de pénétrantes leçons d'équité, de modération, d'indulgence et de charité. Nous ne connaissons aucun ouvrage du même genre qui présente à la jeunesse une morale de meilleur (1) Livre XI, fable VII.

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