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du genre, est la chanson, ou, comme la nomme l'auteur lui-même, l'épopée des Marionnettes. Sous une forme tout enfantine, dont le choix nous a paru d'une judicieuse hardiesse, cela est plein de grandeur et de mélancolie; cela est nouveau en France, nouveau en Allemagne, nouveau partout. On y sent d'ailleurs, avec une sorte d'effroi, que cet esprit était un de ceux que leur propre force eût égarés dans l'immensité, si le christianisme, avec son divin bon sens (ce n'est pas nous, c'est un grand poëte qui, l'autre jour, s'exprimait ainsi ), ne s'était trouvé sur son chemin, et ne lui avait barré le passage. Ce n'est que la main posée sur l'ancre immuable de la foi, par qui tout se fixe et s'éternise, qu'il est permis à Pascal de s'écrier: « Le silence « de ces espaces infinis m'effraye», et à notre poëte de jouer avec des pensées comme celles-ci :

Terre qui gémis

Dans l'espace

Où tout passe,

Terre qui gémis

Un moment, comme tes fils;

Soleil radieux,

Qui nous traînes

Dans tes chaînes,

Soleil radieux,

Trois p'tits tours de cieux en cieux !

Ainsi font, font, font,

Les follettes

Marionnettes,

Ainsi font, font, font,

Trois p'tits tours, et puis s'en vont.

Ce recueil renferme encore d'autres espèces de chants; mais, dans la grande variété du ton et des sujets, ce sont toujours des chants; jamais l'auteur ne dit, toujours il chante. Ces chansons si diverses, il les a poétiquement inventoriées dans les suaves couplets par lesquels le volume commence, vrai bouquet de violettes au corset de la fiancée. Dans chacun de ces couplets, d'une main légère, en contours à peine visibles, il dessine ces groupes ailés, évitant partout d'appuyer, pour laisser mieux entrevoir ce que son génie a ajouté d'individuel et de nouveau à des genres cultivés avant lui et connus de tout temps. S'agit-il de ses chansons d'amour ?

Amour!
Amour!

Est-ce ta voix qui pleure et prie,
Au clair de lune, au point du jour,
Dans la prairie,

Ou vers la tour?
Larmes soudaines,

Charmants soupçons,
Doux airs de reines...

Chansons, chansons
Lointaines.

C'est à lui-même qu'il faut laisser le soin, diraije de caractériser? évitons ce pesant vocable, et disons le soin de nous faire connaître, à son parfum une fleur, une chanson qu'il a cueillie à peine éclose dans les solitudes escarpées de son pays, entre les traditions séculaires, les rustiques superstitions, et la poésie naturelle de ces hautes vallées où, jusqu'à

la clarté de l'air, des sons et des eaux, tout est mys

tère et tout devient merveille :

Refrains,

Refrains

Du temps passé, refrains que j'aime,

De vos bouquets de romarins

J'ai pris moi-même

Deux ou trois brins.

Aux marjolaines
Entrelaçons

Lis et verveines...

Chansons, chansons

Lointaines (1).

M. Olivier n'a pas dédaigné de nous le répéter en prose, et fort bien. « Le quatrième livre, dit-il « dans sa préface, contient des morceaux d'un << genre à part et nouveau, mais basé sur d'anciennes « formes de poésie populaire qui se sont longtemps << conservées dans la Suisse française. Ces formes ont <«< un fond d'inspiration et des effets qui leur sont << propres elles offrent surtout l'avantage, éminem<< ment poétique à notre avis, de parler à l'âme << sans lui tout dire, de susciter des pensées et << des tableaux que l'imagination, essentiellement << rêveuse et libre de sa nature, peut achever ou « poursuivre son gré. »

C'est bien cela; on ne peut mieux parler du demijour charmant dont ces légères compositions sont enveloppées. On sera surpris, mais on ne se récriera pas; le charme se fera sentir avant que l'objection ait pu se formuler. Le plaisir sera précisément d'a

(1) Livre I. Les Chansons lointaines.`

voir quelque peine à comprendre, de deviner un peu et de ne pas deviner tout à fait, de rêver après avoir lu, et de broder de la poésie à son gré sur la poésie de l'auteur. Entre le Voile de neige et la Belle passant au soir, on pourra balancer; mais le cœur, je crois, décidera en faveur du dernier de ces poëmes. Il me semble qu'à moins d'avoir la fibre bien dure, fibra cornea, on ne le peut lire sans attendrissement. Ce sont, on le dirait du moins, les rêveries dernières et sanglotantes d'une pauvre jeune fille qui se meurt, et dont la mémoire, hantée à ces moments suprêmes par le refrain d'une vieille chanson, en entrecoupe ses visions et ses ressouvenirs. On croit entendre, pour rappeler ici les expressions d'un grand écrivain, parlant du cygne à l'agonie, «< ces accents si doux et si touchants, et qui, pareils « à un léger et douloureux murmure, d'une voix basse, plaintive et lugubre, formaient son chant fu« nèbre (1). » Oh! la tragédie est partout; l'homme est infini en misères ; dans les existences les plus resserrées, l'espace ne manque pas pour les plus grandes douleurs; la mort, que leur excès amène, en est la seule limite; et l'illustre poëte qui s'étonnait << de la quantité de larmes que contiennent les << yeux des rois (2) » eût dû s'étonner de ce que peuvent en contenir ceux d'une simple bergère.

Je n'ai point, il s'en faut, achevé l'énumération des tons et des genres que réunit ce petit volume. Oserai-je parler de la drôlerie spirituelle de certains (1) BUFFON. Le Cygne. (2) CHATEAUBRIAND. Atala.

morceaux, tel que celui, par exemple, qui porte pour titre La Chèvre, la Fille et le Passant? Ces morceaux ne sont pas ceux, j'en suis sûr, dont les connaisseurs en bons vers feront le moins de cas. Qu'ils me permettent pourtant de suivre mon goût, et de mettre encore au-dessus de ces poëmes ceux dont l'enfance fait le sujet. Coquins d'enfants me semble une chose comique et charmante. L'inspiration de la chanson Aux enfants, signée d'initiales dont la dernière seule appartient à l'auteur de ce recueil, est prise plus haut. On y trouve, on y sent tout ce que l'enfance a de grâce et de grandeur. Quelques rares morceaux, signés de la même main, révèlent un talent dont la base est une raison forte et un grave enthousiasme.

Ne donnerons-nous rien à la critique? Non pas de fastidieux détails, mais une ou deux observations générales. L'obscurité qu'on peut remarquer dans certains passages n'est pas toujours cette poétique obscurité que nous avons louée : c'est de l'obscurité pure et simple. L'expression quelquefois flotte dans le vague et ne dépose pas dans l'esprit une empreinte vive et nette. On pourra relever, même dans les plus hautes chansons, pour parler avec M. Olivier, plus d'une image forcée, plus d'une métaphore incohérente. Le tour, çà et là, manque de naturel. Mais, au total, ce style, cette versification marquent beaucoup d'expérience et d'habileté. Ce langage, dont la pureté laisse bien peu à désirer, est plein d'originalité et d'invention. Ce trait fin et naïf, et si

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