Page images
PDF
EPUB

avec tremblement, et ménage, avec une circonspection qui n'a rien que de généreux, les hommes et les choses.

On doit comprendre peut-être en quoi different sous le rapport de l'art les deux talents que nous avons essayé de caractériser. L'un est à l'ordinaire moins parfait; mais l'émotion l'élève quelquefois, sous le rapport de la forme, aussi haut que son émule; l'autre, qui peut sembler moins élevé, attache par la vérité, on pourrait dire par la candeur de l'expression. L'un tient par ses principaux caractères à la poésie moderne; l'autre, du sein de cette école, retourne par instinct vers les inspirations antiques. Il serait singulier qu'un écrivain très dévot aux doctrines du romantisme fût en même temps revêtu d'un caractère antique, s'il ne se trouvait pas, après mûr examen, que le vrai romantisme est plus près de l'antiquité que le faux classicisme. Certains éléments romantiques abondent dans Homère et dans Sophocle, et il est bien remarquable que le poëte qui a le mieux imité les anciens, parce qu'il les a le mieux sentis, André Chénier, a été le Colomb, sinon l'Améric Vespuce, du nouveau monde poétique. Mais la couleur antique, qui n'est, à le bien prendre, chez M. Olivier qu'une candeur de l'esprit et de l'âme, une intelligence instinctive et pleine d'amour de la vie humaine et de la nature, et qui ne se rencontre avec l'antiquité que pour n'avoir pas cherché cette rencontre, emprunte chez lui du sentiment chrétien un doux et merveilleux re

flet, plein d'harmonie avec l'antique, quoique fort distinct et bien au-dessus de l'antique. Si l'on pouvait se représenter Homère ou Hésiode chrétien, on comprendrait qu'il eût pu inspirer l'auteur du poëme des Campagnes, charmant ouvrage et l'un des principaux ornements du recueil des Deux Voix. Ce poëme, en cinq parties, raconte la maladie et les funérailles d'une jeune paysanne (non pas, s'il vous plaît, d'une jeune bergère), morte des suites d'une transpiration arrêtée; ce n'est pas autre chose; mais que de grâce et de mélodie, que de gravité et de simplicité antiques dans cette rustique épopée ! que le poëte y est bien lui-même! que l'école et le public sont loin, et qu'on y sent bien l'influence de cette solitude intellectuelle où il faut que le poëte se renferme pour être grand et vrai! C'est là que M. Olivier est maître, et que ce qu'il y a de tout à fait à part dans sa vocation se révèle manifestement.

Quant à la langue, tout le monde sait que nous vivons à une époque de crise et de danger; chaque jour et presque chaque écrivain de renom nous rendent témoins de quelques traits de cet esprit révolutionnaire qui, s'il ne rencontrait pas de barrières, introduirait dans la langue l'anarchie et le chaos. Nous l'avons déjà dit, la langue est une convention qui, pareille en cela à la société dont elle est l'instrument et la base, lie tout le monde à la fois, consentant ou non-consentant. La langue est sacrée comme la société. Elle n'est pas immuable, elle ne peut pas l'être; mais elle ne souffre aucun change

ment arbitraire et capricieux, aucune violence gratuite, aucune modification purement individuelle. Dans les changements qu'elle accepte, elle subit sa propre loi, et n'obéit qu'à ses besoins. C'est ce que d'habiles écrivains de notre âge ont trop méconnu. M. et Madame Olivier, qui ont avec eux de meilleurs traits de ressemblance, ont l'esprit trop modeste et trop vrai pour les suivre dans cette erreur. Aussi n'est-ce que rarement que l'on trouve chez eux les mots détournés de leur vrai sens, et les formes de la langue altérées; mais pourtant cela leur arrive quelquefois. J'en citerai un exemple, pour me faire comprendre. L'un des poëtes parle quelque part d'un oubli solennel. L'expression est fort dans le goût de l'époque; mais comment l'oubli peut-il être solennel? La versification présente aussi un peu trop, pour notre goût du moins, de ces brisures qui détruisent le vers et déconcertent l'oreille. Il y a eu un moment, peu éloigné de nous, où les desservants de l'harmonie semblaient avoir honte de l'harmonie, et où le plaisir de lire des vers n'était presque plus que celui de les reconstruire, fracturés qu'ils étaient par les caprices du poëte. C'est un traitement héroïque auquel la monotonie de notre versification avait peut-être besoin d'être soumise; mais le malade est guéri, et rien n'empêche maintenant de rendre la poésie à ses allures naturelles, et de laisser les vers redevenir des vers.

On a dit tant de belles choses, un peu obscures il est vrai, en faveur de l'obscurité, que je ne serai

peut-être pas bienvenu à remarquer que, dans quelques-unes de ces poésies, distinguées par leur élévation, le sens ne se dégage pas toujours avec facilité du vers qui le renferme, ni la chaîne des idées de la suite des vers. Je conviens qu'une poésie qui s'attaque aux faits les plus intimes du monde invisible est plus exposée à cet inconvénient; mais je ne le crois pas inévitable dans le genre. Les poëtes les plus profonds des diverses nations ne sont pas obscurs à proportion de leur profondeur; ne puis-je pas ajouter qu'au contraire ils sont d'autant plus clairs, parce qu'avertis d'avance de la difficulté de leur sujet, ils ont fait d'autant plus d'efforts pour la maîtriser? Tout au moins savent-ils bien faire voir que leurs obscurités, s'ils en ont, appartiennent au sujet et non point à eux; ils montrent clairement l'obscurité du sujet; c'est tout ce qu'on peut prétendre. Une méditation longue et passionnée est le secret de la clarté en de telles matières. Ce n'est que par son moyen que l'idée générale, d'abord voilée, s'épure, se précise; par cela seul elle trouve ses vraies distributions, les vrais rapports de ses parties; un ordre naturel, un enchaînement facile en résulte nécessairement; l'esprit du lecteur, toujours attiré dans une même direction, suit et quelquefois précède la pensée du poëte; aucune incertitude, aucune anxiété de l'esprit; on sent toujours qu'on marche et qu'on avance. Que l'esprit distingué à qui nous soumettons ces observations essaye d'une recette aussi simple. Quelques heures d'une

méditation suivie et formelle, loin de nuire à l'inspiration, l'échauffent et la fortifient; et pas plus dans la poésie que dans le feu, la clarté ne nuit à la chaleur. Voici, pour preuve, un morceau médité; voyez si pour être profond de sentiment, il en est moins clair, si pour être clair, il en est moins profond:

A toi mon Dieu, mon éternel appui,

Ce chant du soir ira, secret et tendre :
Heureux est-il lorsque, comme aujourd'hui,
Toi seul l'inspire, et toi seul peux l'entendre.
Oh! dans ton sein laisse-moi me cacher,
Le monde impur n'osera m'y chercher.

Il est si doux de sentir dans son cœur
S'évanouir les terrestres pensées :
Comme un brouillard, dont le soleil vainqueur
Absorbe enfin les bandes dispersées.
Toute légère, et plus heureuse encor,
L'âme s'en va vers son divin trésor.

L'un après l'autre, ainsi que des réseaux
Restés au pied d'un ramier qui s'envole,
Pesants soucis, regrets, chagrins nouveaux,
Tombent de l'âme, au vent de ta parole;
N'as-tu donc pas tout fait, tout accompli ?
De qui te croit le destin est rempli.
Aussi mon Dieu, mon Sauveur bien-aimé,
Avec cette heure, ah! prends à toi ma vie!
Dans les débris ton bon grain a germé :
Que l'eau du ciel ne lui soit point ravie.
Mon âme a soif, et cherche ton Esprit :

C'est le désert que ton regard fleurit (1).

Pourquoi le poëte est-il si heureux à écrire ses sentiments? c'est qu'ils ont si bien mûri dans son (1) Livre III. Cantique,

« PreviousContinue »