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douce vie de famille. Burns également fut nouveau, parce qu'il ne chercha pas à l'être. Il tira toute sa poésie de sa vie même et du reflet que jetaient dans son âme les impressions de chaque jour et de chaque événement. Le souvenir de ce grand poëte vient naturellement à propos de ce volume. Comme Burns, M. Olivier est né dans les champs; enfant, il a dormi sur les gerbes; il a, d'un pied débile, suivi la charrue paternelle dans les sillons qui le cachaient à moitié; il a, dans les pâturages de son hameau, les soirs d'automne, fait rôtir la châtaigne ou la pomme de terre au feu des broussailles; dans les veillées d'hiver, il a jeté dans la flamme du foyer domestique une brassée du sarment qui pétille, et dont les jets vifs et clairs semblent répondre et concourir à la gaieté de la famille rassemblée; toutes les circonstances charmantes de la vie champêtre, les mystères de la haie, le langage du vent, le babil du ruisseau, les manéges des petits oiseaux, les singularités des opinions et des mœurs paysannes, la vraie couleur des destinées rustiques, le vrai nom des travaux agricoles, toutes choses que nos poëtes descriptifs ont cent fois décrites sans les connaître, tout cela, embelli encore du charme du regret et peut-être de l'intelligence que donne plus tard de la vie même des champs une vie consacrée à d'autres soins, il l'a de première main, frais, sincère, et non frelaté. Vrai peintre en poésie, il abonde en traits intimes et naïfs, d'une vérité saisissante; et l'on reconnaît bien, en le lisant, que la vraie source

du talent descriptif n'est autre qu'une communion mystérieuse de l'âme avec la nature, la conscience intime de la vie universelle, je ne sais quelle sympathie qui fait retentir en nous tous ses phénomènes. Des mots étonnants de nouveauté et de naturel sont les heureux fruits de ce talent, et viennent nous soulager de l'espèce d'oppression que nous fait éprouver l'impossibilité de nommer ce que nous sentons; car ce que le poëte a nommé, nous le sentions, et sa puissance à lui, c'est de pouvoir le nommer. Ces descriptions, ces drames, ces petites épopées de M. Olivier sont la primeur charmante d'un fruit qui n'avait pas encore été servi sur les tables somptueuses de notre poésie moderne. Le champ que cultive M. Olivier est bien à lui; et ce n'est pas peu de chose, aujourd'hui, que de pouvoir dire Dans le genre auquel je me suis voué, quelque jugement qu'on porte de son intérêt, je suis le premier, je suis le seul.

Née à l'autre extrémité du beau pays que célèbrent les Deux Voix, au pied des plus belles montagnes, mais loin de tout commerce littéraire, Madame Olivier a porté de bonne heure ses yeux vers d'autres cimes que celles qui, tous les matins, attiraient son jeune regard. Le monde intérieur, le monde de la pensée et du mystère, a de bonne heure préoccupé la jeune fille naïve. Avec l'ingénuité d'une bergère, elle a cherché à s'orienter dans le labyrinthe de la destinée humaine. Avec une pareille candeur, elle a dit ce qu'elle éprouvait d'ex

tase et d'effroi en face de ces grandes questions; et du bord du précipice où elle regardait elle-même en frissonnant, elle a tendu la main à telle intelligence puissante suspendue à la pente de l'abîme, et qu'ont dû surprendre cette prévenance de la charité, cette hardiesse de la modestie, et ce ministère de la poésie. Telle est la voix nouvelle qui vient se mêler aujourd'hui à des accents depuis plus longtemps connus, et justement chéris de la patrie des deux auteurs.

De ces deux poëtes, l'un est plus artiste, plus expert dans la forme, plus habile, plus auteur, par conséquent plus l'homme du public. Il s'attend et consent à être jugé; il veut être entendu; sa voix demande au monde un écho; ce n'est pas là le besoin de la vanité, mais l'instinct du talent, qui ne veut pas avoir en vain créé de belles formes. L'autre, chez qui la pensée d'art est moins dominante, et dont l'âme peut-être contient plus qu'elle ne peut exprimer, l'autre, douée d'un généreux égoïsme, se repaît de ses accords comme l'abeille se nourrit de son miel. Cette voix chante pour elle-même, pour se révéler à elle-même; elle se passerait plutôt de l'admiration que de la sympathie; la sympathie lui fût-elle refusée (ce qui n'arrivera pas), elle porte dans son sein un auditeur invisible, dont l'émotion lui suffit, et le silence de l'univers ne lui ferait que mieux entendre la voix mystérieuse et puissante qui répond à toute prière, et à la poésie aussi quand la poésie est une prière :

Et, soit que la nature, enivrante merveille,
Seule écoute mes chants émus de sa beauté;
Soit que le monde aussi semble prêter l'oreille,

C'est pour toi que je chante, et sur toi que je veille,

O céleste habitant dans mon cœur arrêté (1)!

Les deux époux ont voué à leur belle patrie un intime amour; mais chez l'un cet amour paraît plus tendre, chez l'autre plus enthousiaste et en quelque sorte plus austère. Chez l'un, délicat, recherché, voluptueux allais-je dire, il se prend à chacune des beautés de cette belle patrie, il en suce chaque fleur, il s'alimente par les yeux, il s'affectionne par tous les sens; l'autre âme, moins sensible aux impressions extérieures, moins touchée des sensations que des idées, et des détails que de l'ensemble, n'a que de grands traits pour peindre, pour louer et pour chanter; et tandis que l'un aime humblement son pays tel qu'il lui fut donné, l'autre semble aimer une patrie transformée à sa propre image, une patrie abstraite pour ainsi dire, la patrie dans son plus pur idéal.

En religion, mêmes rapports et mêmes différences. La religion est chez les deux poëtes le milieu commun de tous les sentiments, le creuset où toutes les affections sont appelées avant de se produire au grand jour; et cette religion est bien au fond la même pour tous les deux; chez tous les deux, humble, néophyte, en recherche de la lumière et de la paix, d'un accent parfois anxieux et gémissant. Mais chez l'un, plus familière et plus naïve, elle s'ap(1) Livre I. Les Deux Voix.

proche plus volontiers des détails de la vie, se rattache aux existences vulgaires et aux scènes domestiques comme leur divine philosophie et leur naturelle poésie; elle s'insinue comme l'air à travers les moindres intervalles que lui accorde le tissu compact et dur de la vie matérielle; en un mot, elle apparaît populaire et pratique. Chez l'autre poëte, elle ne renie point ces caractères; elle est toujours sérieuse et se rattache à la conscience morale par de solides liens et qui veulent être vus; mais elle est cependant plus contemplative, se forme volontiers en méditations, se détaille moins, et descend plus rarement des sommets de la vie intérieure.

Chez les deux poëtes, même amour et même espoir du progrès; même élan vers ce bien social, qu'il est si difficile de nommer en un seul mot, et que la génération présente appelle exclusivement liberté; mais chez l'un des poëtes, il y a plus d'ardeur, plus d'indignation contre les obstacles, et pour tout dire, moins de tolérance. L'autre, que le passé intéresse en même temps que l'avenir le touche, moins empressé de se détacher de l'histoire et des grands souvenirs, qui, pour cet amant des Alpes, sont comme les Alpes de l'histoire, enfin doué de çe sens historique qui de nos jours est un des meilleurs garants de la modération des opinions politiques, s'abandonne moins à ses vœux, et dans la crainte vague d'en voir une partie se convertir en regrets, conserve avec sollicitude quelques-uns des liens qui attachent le présent au passé, se réjouit du progrès

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