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lant, n'ose remuer de peur de faire crouler sa demeure; l'autre, assuré de la solidité de la sienne, peut donner tout à son aise des pieds contre le plancher et de la tête contre les murs. Le protestant est strict dans sa foi parce qu'elle ne repose sur rien; le catholique, appuyé mais non réglé par l'autorité, peut, en matière de religion, tout imaginer, tout feindre; s'il a du talent, il peut en employer toute la puissance à mettre en relief l'insuffisance et la pauvreté de la religion qu'il professe et à faire souhaiter quelque chose de mieux; l'avantage d'une religion d'autorité, c'est de pouvoir, sans sortir de ses limites, dire tout ce qu'on pense et chanter tout ce qu'on a rêvé c'est pour cela même : que l'autorité fut inventée. J'en demande pardon à l'auteur; mais cela ne rappelle-t-il pas un peu ce passage des Provinciales: « La dispense de l'obligation fâcheuse d'ai«mer Dieu est le privilége de la loi évangélique par« dessus la judaïque ? »

A entendre M. Soumet, il en serait des hérésies versifiées à peu près comme de ces banknotes qu'un graveur anglais contrefit si parfaitement qu'il eût été pendu pour les avoir faites s'il n'avait eu la précaution d'y remplacer les armes d'Angleterre par une douzaine de pendus rangés côte à côte. La rime serait à l'hérésie ce que fut ce chapelet de pendus aux billets de banque de l'artiste anglais. Je suppose pourtant qu'aucun de ces billets ne fut pris pour argent comptant le poëte, malgré toute sa modestie, ne peut croire qu'il en sera de même de

son hérésie. Elle sera, quoi qu'il dise, de l'argent comptant pour plusieurs. L'épigraphe qu'il met à son livre n'y fait rien; il a beau s'écrier sur le titre : MENSONGE!! Dans toutes les pages qui suivent, que fait-il que dire Aimez ce mensonge; attendrissezvous à ce mensonge; regrettez que ce mensonge ne soit pas la vérité; faites, de loin, la révérence à la vérité, mais vivez avec le mensonge! Si ce n'est pas ce qu'a voulu l'auteur, c'est bien certes ce qu'il a fait.

M. Soumet nous renvoie, à nous autres protestants, le monopole du sérieux. Nous ne l'acceptons pas. Nous croyons que le catholicisme renferme une foule d'hommes sérieux, qui ne donneront pas leur sanction plus que nous au syllogisme badin du poëte. Ils ne prendront pas, malgré ses ailes, le chantre de la Divine Épopée pour un moucheron; et d'ailleurs ils savent, quand La Fontaine ne l'aurait pas dit, qu'un moucheron peut mettre un lion aux abois.

Je m'arrête; car, ne pouvant me persuader que M. Soumet ait cru à la bonté de son argument, je me demande si toute sa lettre ne serait point une exquise ironie. J'aurais été, dans ce cas, bien provincial. Mais le livre de M. Soumet aura pour lecteurs bien d'autres provinciaux, si ce nom désigne des gens qui n'imaginent pas qu'on écrive sans une intention sérieuse un poëme de deux mille vers, d'un style grave et souvent sublime, sur le plus grave et le plus sublime des sujets. Il fallait donc bien, pour ceux-là du moins, prendre au sé

rieux ce badinage solennel, et voir une question religieuse où d'autres n'ont vu que des questions d'art. Avec des simples on peut être simple sans inconvénient.

Mais non, non, il n'en est point ainsi, et je désavoue l'une et l'autre supposition. Non, il ne raille ni ne badine, celui qui nous fait part, avec une si noble candeur, des expériences de sa vie, celui qui a connu « les miraculeux apaisements de la miséri« corde divine, » celui qui a senti « la force rédemp«trice triompher en lui du désespoir, » et « Jésus« Christ descendre lui-même pour le racheter dans « l'enfer de son âme. » Nous bénissons ces touchantes paroles qui nous rendent l'homme et le chrétien où nous n'avions rencontré que le poëte, et nous lui offrons de bon cœur, de bien bas sans doute, la main d'association.

Notre estime pour M. Soumet sort de cette courte polémique aussi entière que notre admiration pour son talent. Une critique sérieuse est si rarement acceptée, alors même qu'on ne la redoute pas ! M. Soumet, en l'accueillant, en l'honorant, s'il nous est. permis de le dire, a bien montré quel il est, et nous a fait comprendre qu'en fait de procédés et de sentiments, il est franc de toute hérésie.

A. V.

IV.

FRÉDÉRIC CHAVANNES.

POÉSIES CHRÉTIENNES ET CANTIQUES.

Un volume in-8°. 1838.

La poésie, cet enchantement de toute vie humaine, a sa source dans notre âme, et de là se répand sur tous les objets du monde, qu'elle transfigure, dont elle renouvelle la substance. Tandis que la science leur soumet en quelque sorte notre esprit, la poésie nous les soumet, nous les rend conformes, nous les assimile; les choses deviennent ce que nous sommes; aussi peut-on dire que nos idées sont de toutes nos propriétés la plus inaltérable et la plus hors d'atteinte; c'est là, du moins, qu'il faut atteindre pour nous dépouiller; ce que la nature et la fortune nous donnent n'est guère à nous; mais rien n'est plus à nous que ce que nous leur donnons, ce que nous y ajoutons du moins, je veux dire nos idées. Le vrai bien de l'homme, le vrai mal de l'homme sont dans l'homme; sa destinée, c'est lui-même. Son âme est maîtresse de son sort: heureux s'il était le maître de son âme!

Mais la poésie participe de notre misère; elle est tout agitée de notre inquiétude; comme nous, elle

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va, elle vient, elle vole, elle ne se pose jamais. Elle demande à tous les objets, à tous les sentiments, quelque perspective infinie; elle ne s'arrête nulle part; ses élans expirent loin du terme; et elle ne semble exister que pour rappeler aux hommes l'idée vague de ce terme inconnu, l'idée d'un accomplissement, d'un bien dont elle ignore et dont elle tait le vrai nom.

Quelle poésie peut il y avoir encore pour l'homme à qui ce nom est connu, qui sait le terme véritable et le but de toute existence? Comment le christianisme peut-il être poétique, comment un chrétien peut-il être poëte, comment un chrétien peut-il goûter la poésie? Le mépris, et, ce qui est bien plus fort, l'indifférence de certains chrétiens pour la poésie, tranchera-t-il la question? Faudra-t-il tenir pour inconséquents ou regarder comme des cœurs partagés d'autres chrétiens pour qui la poésie, « се doux, né de l'amer, » semble avoir conservé sa douceur? Et serait-ce peut-être un des caractères distinctifs de la vraie foi de réduire l'homme à la pure prose?

Cette question n'est pas si peu sérieuse que plusieurs pourraient le croire; et je connais telle âme sincère que la solution intéresse.

La poésie humaine, pour être née de notre plus grand mal, et pour être maladive à bien des égards, n'est pourtant pas en soi-même une maladie. Cette poursuite de l'idéal à travers les ombres de la réalité est, à la bien prendre, la poursuite de la seule

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