Raphaël! Raphaël! viens le premier..... O toi! qui prodiguas tant d'âme à ta palette, Qu'il ne t'en resta plus pour vivre, jeune athlète ! Ève et Adam sont auprès de leur poëte, unis ensemble comme sur la terre; car le ciel a ses hymens, hymens toujours bien assortis; les âmes bienheureuses se choisissent les unes les autres sans hésitation, et s'unissent mystiquement. Et les heureux époux Sans fin, selon l'esprit, croissent et multiplient Il y a pourtant au sein de ce peuple bienheureux une célibataire et une infortunée : Sémida, la plus belle des vierges du ciel, comme elle fut la plus belle des filles de la terre; si belle et si touchante Que son sourire aurait, sous le glaive enflammé, « La triste bienheureuse » a laissé son cœur sur la terre; je me trompe : dans les enfers. Dernière des filles d'Ève sur le globe qui s'en allait mourir, elle aima le dernier des fils d'Adam, Idaméel, qui avait hérité de toute la beauté de l'homme comme elle de toute la beauté de la femme; vase d'élite et de réprobation qui avait recueilli tout le génie et tout l'orgueil de la race humaine, de même que l'âme de la belle Sémida concentrait toute la piété de l'Église (1) Chant I. (2) Chant I. (3) Chant II, chrétienne, dont elle est le dernier représentant. Sémida revit dans le séjour des anges; Idaméel a été précipité dans le repaire des démons, où son génie et son audace l'ont fait roi, et où Satan vaincu est devenu captif et, qui plus est, pénitent. Le douloureux souvenir d'Idaméel occupe incessamment Sémida, et la rend indifférente au bonheur du ciel et solitaire dans la communion des saints glorifiés. En vain, la conviant à leur béatitude, les anges et les séraphins A la terre d'exil comparent la patrie, et lui disent Combien, s'il veut aimer, son cœur pur aimera, Sous les rameaux penchés de leurs grands bois d'amra; Combien est embaumé d'aloès et de rose, Pour le sommeil d'un ange, un palais d'argyrose. En vain leur tendre sollicitude Balance sur ses nuits, dans leurs écharpes d'or, Des songes plus légers qu'un vol d'alexanor (1)..... Rien ne la console, et il est naturel que celle que les bois d'amra, les palais d'argyrose et les songes pareils au vol de l'alexanor ont laissée insensible, n'attende rien du secours des anges, qui n'ont sans doute rien de mieux à lui offrir. Elle s'en va donc pleurer dans le sein de Madeleine, qui, se souvenant de son grand consolateur, adresse à Jésus-Christ « la pécheresse du ciel » : « Il m'écouta moi-même,» dit-elle. Oui, répond Sémida, (1) Chant II. Au grand jour des alarmes, Quand la terre vivait. MADELEINE. Elle vit dans tes larmes (1)! Sémida suit les avis de Madeleine. Le Christ prête l'oreille à cette confidence inouïe; il est touché, il veut réunir les deux amants; mais ce dessein en renferme ou du moins en suppose un autre. Sauver le roi des enfers, c'est sauver l'enfer; c'est sauver les princes et les captifs de la cité douloureuse; c'est opérer le rétablissement final dans une étendue qu'aucun théologien n'a jamais rêvée. Il le fera pour l'amour de Sémida, car aucune autre pensée ne l'occupe, aucun autre intérêt ne le détermine. Entre la prière de Sémida et la résolution du Christ il n'y a que ces mots : Durant neuf de ces jours que l'infini mesure, De Sémida, sa fille, il sonda la blessure (2). Sans savoir précisément ce que c'est que des jours que l'infini mesure, on comprend que neuf de ces jours, qui n'auraient pas été trop longs pour sonder la blessure du monde infernal, ont pu suffire pour approfondir un chagrin d'amour; neuf des nôtres auraient suffi. Cet intérêt, tout individuel, décide Jésus-Christ, et sur-le-champ il demande à son Père de pouvoir opérer, au prix d'une seconde passion, la rédemption des enfers. Le Père éternel y consent, tout en doutant du succès; c'est, semble-t-il dire, un essai à faire; (1) Chant II. III. (2) Chant II. 10 Mais l'amour pourra-t-il vaincre l'éternité (1)? Le poëte nous transporte ensuite dans l'enfer, séjour de la haine, de la colère et de l'orgueil, empire de la mort; car la mort règne encore où l'on ne peut mourir, et, ne pouvant plus frapper, elle domine encore par l'épouvante qu'elle inspire. Cette description de l'enfer, contre-partie de celle du ciel, est fondée sur la même pensée. Tout le mal terrestre s'est versé dans l'enfer comme dans un gouffre; tout ce mal s'y cristallise, pour ainsi dire, et s'y perpétue; l'intellectuel, le moral s'y matérialise, y prend une forme visible; sans cesser d'être moral et intellectuel. Le signe devient la chose signifiée; la métaphore et son objet se confondent; les deux mondes de l'esprit et des sens n'y forment plus qu'un monde. L'auteur a treize fois de suite bravé les difficultés de cette idée dans la description de treize différents supplices. Le premier est celui D'un condamné que le bout d'une chaîne Suspendait dans un puits de feu de la géhenne. Le quatrième est un poëte, qui a fait de son génie un usage coupable: « Il chantait, » dit l'auteur, Chaque image, étalant son luxe oriental, Se transformait en hydre, en céraste volant (4). Un autre est condamné à contempler éternellement son cœur « rouge et dur ainsi qu'un gros rubis; » Il consume sa haine à s'abhorrer lui-même ; Si son front, dans l'horreur d'une convulsion, Et sur son châtiment ramène son regard (2). Au milieu de ce peuple de suppliciés règne Idaméel, victime lui-même d'un supplice invisible et sans forme, mais plus intime, Idaméel qui n'est soutenu contre le sentiment d'une torture infinie que par un orgueil infini. Dans ce cœur qui dut être le trône même du crime, les images innocentes et les affections pures de la terre subsistent. Idaméel règne dans l'enfer, et Sémida dans le cœur d'Idaméel. Ce recueillement dans la haine et dans l'amour est interrompu par la clameur du peuple in |