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-Qui a été tué, et dont les troupes ont gagné la Corogne pour s'embarquer.

Péters s'arrêta avec un cri.

-Sur ta tête!' femme! tu ne me trompes pas? dit-il.

—Sur ma tête et sur mon salut!' c'est la vérité! repritelle avec un tel accent de sincérité que le doute devenait impossible. Plusieurs détachements qui se dirigeaient comme vous sur le campement sont déjà tombés au milieu des postes français; si vous continuez votre route, dans quelques heures vous serez tous prisonniers.

Elle ajouta d'autres détails si précis sur la bataille et sur les localités occupées par les troupes du maréchal, que Péters sentit tout le danger de sa position. Par bonheur sa conversation avec la vivandière avait eu lieu en espagnol, et ses compagnons n'avaient pu la comprendre. Sachant que la nouvelle d'un pareil revers achèverait de les décourager, il recommanda à Dolorès de ne rien laisser soupçonner, fit galoper un cavalier jusqu'au premier chariot, et ordonna de tourner brusquement sur la droite, afin de rejoindre la mer par la ligne la plus courte.

Bien que cette nouvelle direction semblât porter le convoi en arrière de l'armée anglaise, comme elle rapprochait de la Corogne où l'on devait trouver plus de ressources et un abri plus sûr, la plupart de ceux qui en faisaient partie s'y décidèrent sans trop d'objections. La vivandière seule s'arrêta. Outre que la nouvelle route l'éloignait du campement français, elle sentait ses forces à bout, et après avoir déclaré au sergent qu'elle ne pouvait aller plus loin, elle s'assit sur le bord de la route, tout près de s'évanouir. Péters parut embarrassé.

-Dieu me pardonne! autant valait alors vous laisser

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1by your life. my salvation. "it would have been as well.

dans la ravine, dit-il en frappant la terre de la crosse de son fusil. Quand nous serons partis, qu'allez-vous faire ?

-Je ne sais, dit la vivandière, dont la tête flottait,' et qui pouvait à peine parler.

Mais vous mourrez ici sans secours, comme une louve blessée! ajouta Péters avec un brusque intérêt.

-Eh bien! après la mort. . . Dieu me fera justice! bégaya Dolorès, qui retomba.

Péters la soutint et appela le caporal.

-Vite, Williams, dites qu'on arrête le chariot, cria-t-il, et faites-y une place.

-Pour cette fille de Satan! répliqua l'Anglais.

-Pour une chrétienne qui se meurt, interrompit le sergent. N'avez-vous donc aucune pitié dans le cœur ?

-Jamais quand il y a du danger, répondit le caporal, et mon avis est qu'un ennemi vaincu n'est bon qu'à

tuer.

-C'est bien. Faites ce qu'on vous dit! reprit Péters impérieusement.

Williams obéit de mauvaise grâce et aida à porter la vivandière sur les bagages. Les blessés et les femmes qui s'y trouvaient déjà l'accueillirent également par des malédictions.

-Depuis quand les convois du roi d'Angleterre sont-ils destinés aux traîtres qui soutiennent la France? demandèrent plusieurs voix.

-Jetez-la sous les roues! répétèrent quelques autres.

-A bas l'Espagnole d'enfer!

Péters ne répondit rien, et plaça la vivandière, complétement évanouie, dans un enfoncement d'où les plus rudes. cahots ne pouvaient la faire sortir; puis, comme le temps

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pressait, il ordonna de repartir, abandonnant le reste à la volonté de Dieu.

Le convoi traversait des campagnes de plus en plus sauvages et entrecoupées de collines rocailleuses. Là, comme dans presque toute l'Espagne, aucun chemin n'avait été tracé, et les ornières ou les pas des troupeaux imprimés dans le sol indiquaient seuls la direction à suivre. Le soleil avait complètement disparu. L'obscurité, accrue par les nuages sombres qui chargeaient le ciel, permettait à peine de distinguer les lourds chariots qui labouraient péniblement de leurs roues un sol nu et desséché. Mais, au bout d'une heure de marche, les éclairs commencèrent à illuminer le chemin; bientôt l'orage, qui grandissait, finit par éclater dans toute sa violence. Les grondements du tonnerre, d'abord entrecoupés de pauses solennelles, retentirent sans interruption; des torrents de pluie, traversés par la foudre, descendirent du ciel comme une trombe, inondèrent les hauteurs, noyèrent les plateaux et transformèrent le sol poudreux en un lac de fange. Les chevaux, épouvantés par les éclairs et le bruit, se cabraient sous le fouet des conducteurs; les piétons harassés cherchaient vainement un abri derrière les chariots; à chaque instant la position du convoi devenait plus difficile; enfin il s'arrêta au haut d'une pente rapide, et le sergent regarda autour de lui avec inquiétude.

Le voile de pluie qui couvrait le ciel ne laissait pas même les éclairs illuminer la route; leur clarté, éteinte dans le brouillard, ne montrait que des formes confuses et des aspects incertains, qui faisaient pressentir un danger, sans permettre de le juger. Après avoir vainement sondé l'horizon et s'être efforcé de reconnaître la descente qu'il avait devant lui, le sergent allait donner l'ordre de continuer, quand un cri, parti du milieu des bagages, le fit tressaillir.

Dolorès, ranimée par la pluie, s'était redressée sur le chariot. La tête en avant et les bras tendus, elle montrait avec effroi la descente, au penchant de laquelle le convoi s'était arrêté.

—Au nom de Dieu, n'avancez pas ! cria-t-elle à Péters, à moins que vous ne soyez las de vivre!

-Où donc conduit ce chemin? demanda le sergent.
-Au gouffre du Diable!

-Vous êtes sûre?

-Écoutez.

Péters attendit une de ces courtes pauses qui entrecoupaient l'orage, prêta l'oreille, et entendit le bruit des eaux, rassemblées de toutes les collines, qui se précipitaient dans l'abîme avec de longs rugissements. Il s'élança épouvanté à la tête des chevaux et les força de reculer en arrière. Ses compagnons, qui avaient également entendu, regagnèrent précipitamment le plateau.

Mais ils y trouvèrent la tourmente dans toute sa violence et le désespoir commença à s'emparer de la troupe entière. Le sergent lui-même, dont on n'écoutait plus la voix, ne savait quel parti prendre. Quelques-uns des conducteurs dételaient les chevaux pour les monter et fuir au hasard dans la nuit. Mais Dolorès se leva debout sur le chariot et montra vers la droite une ouverture dans les collines.

-C'est là, s'écria-t-elle; suivez le coteau jusqu'au prochain carrefour, vous aurez à vos pieds la Corogne, et, avant deux heures, vous vous trouverez en sûreté.

Sa déclaration, traduite par Péters, arrêta le désordre et ranima un peu les courages. Le chariot qui portait la vivandière prit la tête du convoi, et elle-même surveilla la direction, faisant éviter les ravines et tourner les rochers. Enfin, l'orage se ralentit; les nuées, balayées par le vent

de mer, disparurent au loin, et le ciel reparut émaillé d'étoiles.

Les Anglais arrivaient alors au carrefour annoncé par Dolorès, et, un peu plus loin, ils aperçurent la ville et la rade sur laquelle flottaient les vaisseaux portant à leur pic le drapeau de l'Angleterre !

Tous oublièrent leur souffrance pour le saluer par un joyeux hourra!

-L'épreuve a été rude, sergent, dit Williams en s'approchant de Péters; mais enfin nous avons échappé.

-Grâce à cette femme! dit l'Irlandais en montrant la vivandière. Vous voyez, caporal, que la pitié n'est pas mauvaise conseillère, et qu'il est souvent plus sage de sauver un ennemi que de le tuer. E. Souvestre.

MAXIMES ET PENSÉES.

L'amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs. Il faut' dé plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise.

On fait souvent vanité des passions même les plus criminelles: mais l'envie est une passion timide et honteuse que l'on n'ose jamais avouer.

Nous avons plus de force que de volonté : et c'est souvent pour nous excuser à nous-mêmes, que nous imaginons que les choses sont impossibles.

Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres. Si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres.

1 it requires.

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