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tendre vénération qu'on lui portait, eut une dot semblable, qu'elle partagea bien vite avec un des plus beaux garçons du village. Les deux heureux couples furent unis; leurs noces se firent le même jour au château. Monsieur de Malesherbes voulut que l'une et l'autre mariée' fût parée ce jour-là des fleurs de ses rosiers. Il fit arrêter, par la jeunesse de Verneuil, que dorénavant toute fille, qui se marierait, aurait le droit de cueillir à la grotte si respectée un bouquet de roses blanches. "Elles seront," disait-il aux jeunes villageoises qui l'entouraient, "elles seront l'emblême de vos soins et de ma reconnaissance. Quand je ne serai plus, elles vous rappelleront votre ami; vous me croirez là, et je pourrai, grâce à votre souvenir, assister encore au plus beau jour de votre vie.”

Cet usage, ou pour mieux dire, cette touchante commémoration existe toujours dans le village de Verneuil. Aucun couple ne s'unit sans aller former un bouquet à la grotte, dont on renouvelle chaque année l'honorable inscription. Depuis la mort cruelle et prématurée de cet homme célèbre on n'a pas cessé de cultiver le bosquet que planta sa main bienfaisante, et c'est encore à qui3 respectera les roses de Monsieur de Malesherbes. Bouilly.

LE CONVOI DE GUERRE.

On était au mois de janvier de l'année 1809. L'Espagne, envahie par les Français et défendue par une armée anglaise, était devenue le théâtre sanglant d'une lutte chaque jour plus acharnée. Après avoir battu partout les Espagnols, le maréchal Soult venait d'attaquer sir John Moore, qu'il avait forcé à se retirer vers la Corogne. Plusieurs

1 both sides. 2

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" he had it settled. " they still vie with each other.

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des corps que commandait le général anglais avaient même été séparés dans cette retraite précipitée, et les convois, rompus par les incessantes attaques des Français, s'étaient trouvés dispersés sur tous les chemins en faibles détachements qui s'efforçaient de rejoindre le gros de l'armée.

Un de ces détachements, formé de quatre à cinq chariots de bagages et de blessés, suivait péniblement une route inconnue. Il se trouvait sous le commandement d'un sergent irlandais nommé Péters.

La nuit commençait à descendre; le ciel était chargé de lourdes nuées annonçant l'approche d'un orage. La campagne que l'on traversait avait un aspect aride et désolé. . . Aucun village, aucune culture! De loin en loin seulement, une maison abandonnée, dont les portes et les volets avaient été brûlés pour un feu de bivouac; quelques chevaux morts de fatigue, quelques cadavres, et les mille débris qui constatent le passage des troupes en campagne.

En examinant la nature de ces traces, Péters reconnut que le corps qui les avait précédés appartenait à l'armée française, ce qui lui fit craindre de ne pouvoir rejoindre' que difficilement celle de sir John Moore. Ses compagnons, blessés pour la plupart, se traînaient d'ailleurs avec peine, et l'impatience se joignait, chez eux, au découragement. Comme il arrive toujours dans ces douloureuses épreuves, chacun cherchait un éditeur' responsable sur lequel il pût décharger son mécontentement. Les uns accusaient le général qui n'avait point su prendre les mesures indispensables pour une pareille retraite; d'autres, les Espagnols, dont on aurait dû attendre un secours efficace, et qui disparaissaient en voyant le désastre de leurs auxiliaires; tous

2

' that he would only with difficulty be able to join. scapegoat.

some.

maudissaient l'heureuse chance de l'ennemi et se promet taient une prochaine revanche.

Ce fut dans ces dispositions qu'ils atteignirent une sorte de carrefour où des feux éteints et quelques bagages abandonnés témoignaient d'un bivouac récent.

L'étroit plateau où les Français avaient campé était bordé, d'un côté, par une ravine assez profonde, dans laquelle coulait un ruisseau. Le bruit de l'eau attira plusieurs des blessés que la soif tourmentait, et qui voulurent descendre pour boire. Péters fit arrêter le convoi, afin de les aider lui-même; mais en approchant du bord de la berge, il aperçut dans le lit du ruisseau un mulet mort, encore attelé à une carriole rompue, et il lui sembla entendre une voix humaine sous la capote de toile grise du véhicule. Il se laissa glisser jusqu'au fond du ravin, écarta les cerceaux dont la charrette était recouverte, et aperçut une femme qui lui demanda de l'aide en espagnol.

Le sergent entendait quelque peu cette langue: il voulut savoir comment elle se trouvait là, et la malheureuse lui raconta qu'elle s'était endormie de fatigue, s'abandonnant à l'instinct de son mulet, qui s'était vraisemblablement trop approché du ravin pour brouter, et y avait été entraîné avec la carriole: réveillée au moment même de la chute, elle en avait eu conscience sans pouvoir la prévenir, et était restée longtemps étourdie' du coup. Revenue enfin à elle-même, tous ses efforts pour se dégager avaient été inutiles, et elle ne devait son salut qu'à l'arrivée du sergent.

Tout en écoutant ces explications, Péters, aidé de ses compagnons, avait réussi à relever l'Espagnole, dont les membres étaient endoloris, et à la retirer du milieu des débris; mais, lorsqu'on put enfin la mieux voir aux derni

1 stunned.

ères lueurs du jour, son costume la fit reconnaître pour une vivandière de l'armée française.

A cette découverte, la bonne volonté des compagnons de Péters se changea subitement en colère, et des exclamations menaçantes partirent de tous côtés.

Appelés à la défense de l'Espagne, les soldats de sir John Moore s'étaient accoutumés à regarder comme traître tout Espagnol qui sympathisait avec les envahisseurs. Ils en voulaient' surtout à ces femmes qui, sacrifiant leur patriotisme à une affection personnelle, avaient lié leur sort à celui des Français, et s'étaient décidées à suivre l'armée du maréchal et à subir avec elle toutes les chances de la guerre. Tel était précisément le cas de Dolorès, mariée à un grenadier de la première division.

La petite troupe de fugitifs exprima d'abord énergiquement le regret d'avoir arraché la vivandière ennemie à sa dangereuse position, et quelques-uns étaient prêts à passer de l'injure aux voies de fait,' quand le sergent Péters entremit heureusement son autorité.

-Assez de paroles, s'écria-t-il d'un ton brusque, et en se plaçant devant Dolorès; faites-vous la guerre aux femmes, par hasard, et ne trouvez-vous pas celle-ci assez punie de son choix? En route, sans plus de retard, et que chacun s'occupe de lui, s'il tient à sauver sa peau.

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Ce conseil fut suivi de l'ordre donné aux chariots de se remettre en marche; les plus mal disposés contre Dolorès l'abandonnèrent pour les suivre.

Péters les laissa s'éloigner avec la tête du convoi, et quand il n'eut plus autour de lui que des femmes et des soldats de sa compagnie, il se tourna vers la vivandière, qui s'était assise faible et abattue auprès de sa charrette brisée.

1 they detested. 2 from insults to violence. 3 forward.

Qu'allez-vous devenir au fond de cette ravine? dernanda-t-il d'une voix dont la rudesse était mêlée de pitié. -Dieu le décidera, répondit l'Espagnole.

-Vous sentez-vous assez de force pour marcher? -Peut-être; mais où pourrais-je aller seule par ce temps et à une pareille heure? Les routes sont couvertes de vos gens, et je viens de voir tout à l'heure ce que j'en dois attendre.

Le sergent parut hésiter un instant, puis prenant son parti:

-Allons, levez-vous, dit-il, et suivez notre convoi; tant1 que j'aurai le fusil sur l'épaule, il ne vous arrivera2 rien de fâcheux.

Dolorès remercia avec effusion, fit un effort, et se mit à marcher aux derniers rangs, derrière le chariot.

D'abord elle n'avait point paru se rendre parfaitement compte de la direction prise par le convoi; mais, au bout de quelque temps, elle témoigna sa surprise et s'approcha de Péters:

-Le sergent sait-il bien où il va? demanda-t-elle à demi-voix.

-Sans doute, répliqua celui-ci; nous nous dirigeons vers le campement anglais.

-Le campement anglais! répéta la vivandière avec étonnement.

-Et j'espère que nous pourrons le rejoindre avant la bataille, ajouta le sergent.

Dolorès lui saisit vivement le bras.

—Mais alors . . . vous ne savez donc pas! s'écria-t-elle ;

...

la bataille a été livrée le 16 ... livrée et perdue . . .

-Par sir John Moore?

1 as long as.

2 shall happen to you.

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