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madame de Guitaut quasi nus, madame de Vauvineux, l'ambassadeur de Venise, tous ses gens, la petite de Vauvineux, qu'on portait tout endormie chez l'ambassadeur, plusieurs meubles et vaisselles d'argent qu'on sauvait chez lui. Madame de Vauvineux faisait démeubler;' pour moi, j'étais comme dans une île, mais j'avais grande pitié de mes pauvres voisins. Madame Guêton et son frère donnaient de très bons conseils; nous étions dans la consternation: le feu était si allumé qu'on n'osait en approcher, et l'on n'espérait la fin de cet embrasement qu'avec la fin de la maison de ce pauvre Guitaut. Il faisait pitié,' il voulait aller sauver sa mère, qui brûlait au troisième étage; sa femme s'attachait à lui et le retirait avec violence; il était entre la douleur de ne pas secourir sa mère et la crainte de blesser sa femme malade. Enfin il me pria de tenir sa femme, je le fis: il trouva que sa mère avait passé au travers de la flamme et qu'elle était sauvée. Il voulut aller retirer quelques papiers; il ne put approcher de la rue où ils étaient; enfin il revint à nous dans cette rue, où j'avais fait asseoir sa femme. Des capucins, pleins de charité et d'adresse, travaillèrent si bien, qu'ils coupèrent le feu.3 On jeta de l'eau sur le reste de l'embrasement, et enfin le combat finit faute de combattants, c'est-à-dire après que le premier et le second étage de l'antichambre et du cabinet, qui sont à main droite du salon, eurent été absolument consumés. On appela bonheur ce qui restait de la maison, quoiqu'il y ait pour Guitaut pour plus de dix mille écus de perte; car on compte de faire rebâtir cet appartement, qui était peint et doré. Il y avait plusieurs beaux tableaux à Mr. Leblanc, à qui est la maison; il y avait aussi plusieurs tables, miroirs, miniatures, meubles, tapisseries. Ils

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move her furniture. 2 it was a pity to see him. 'got the fire under.

ont un grand regret à des lettres; je me suis imaginé que c'étaient des lettres de Mr. le Prince. Cependant vers cinq heures du matin, il fallut songer à madame de Guitaut; je lui offris mon lit, mais madame Guêton la mit dans le sien, parce qu'elle a plusieurs chambres meublées. Nous la fîmes saigner, nous envoyâmes quérir' Boucher: il craint bien que cette grande émotion ne lui cause beaucoup de mal. Elle est donc chez cette pauvre madame Guêton ; tout le monde les vient voir. Vous allez me demander comment le feu s'était mis à cette maison, on n'en sait rien, il n'y en avait point dans l'appartement où il a pris; mais si l'on avait pu rire dans une si triste occasion, quels portraits n'aurait-on pas faits de l'état où nous étions tous! Guitaut était nu en chemise avec des chausses; madame de Guitaut était nu-jambes et avait perdu une de ses pantoufles; madame de Vauvineux était en petite jupe sans robe de chambre, tous les valets, tous les voisins en bonnets de nuit; l'ambassadeur était en robe de chambre et en perruque, et conserva fort bien la gravité de la Sérénissime,' mais son secrétaire était admirable.

Voilà les tristes nouvelles de notre quartier. Je prie Deville de faire tous les soirs une ronde pour voir si le feu est éteint partout: on ne saurait avoir trop de précautions pour éviter ce malheur.

Adieu, ma chère enfant, je vous souhaite tous les biens du monde, et je prie Dieu qu'il vous garantisse de tous les maux.

RICA À IBBEN.

Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si

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not.

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we sent for. 2 broke out in. " of a serene highness. one can

j'avais été envoyé du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi; les femmes même faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs qui m'entourait. Si j'étais au spectacle, je trouvais d'abord cent lorgnettes dressées contre ma figure; enfin, jamais homme n'a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux: "Il faut avouer qu'il a l'air bien persan." Chose admirable! je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplier dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu.

Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à charge,' je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et quoique j'aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d'une grande ville, où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publique; car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût mis en occasion' d'ouvrir la bouche; mais si quelqu'un par hasard apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement: Ah, ah! monsieur est Persan!

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soon became oppressive. 2 without having an opportunity.

c'est une chose bien extraordinaire! comment peut-on être Persan?

Montesquieu.

MME. DE SÉVIGNÉ À MR. DE GRIGNAN.

A PARIS, Mercredi, le 31 Juillet, 1675.

C'est à vous que je m'adresse, mon cher Comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses pertes, qui pût arriver en France; c'est celle de Mr. de Turenne, dont je suis assurée que vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes ici. Cette nouvelle arriva Lundi à Versailles. Le roi en a été affligé, comme on doit l'être, de la perte du plus grand capitaine et du plus honnête homme du monde. Toute la cour fut en larmes. On était prêt d'aller se divertir à Fontainebleau, tout a été rompu. Jamais un homme n'a été regretté si sincèrement: tout ce quartier où il a logé, tout Paris et tout le peuple étaient dans le trouble et dans l'émotion. Chacun parlait et s'attroupait pour regretter ce héros. Je vous envoie une très bonne relation de ce qu'il a fait les derniers jours avant sa mort: après trois mois d'une conduite toute miraculeuse, et que les gens du métier ne se lassent point d'admirer, vous n'avez plus qu'à y ajouter le dernier jour de sa gloire et de sa vie. Il avait le plaisir de voir décamper l'armée des ennemis devant lui, et le 27o, qui était Samedi, il alla sur une petite hauteur pour observer leur marche; son dessein était de donner sur l'arrière-garde, et il mandait au roi à midi que dans cette pensée il avait envoyé dire à Brisac qu'on fît les prières de quarante heures. Il mande la mort du jeune d'Hocquincourt et qu'il enverra un courrier apprendre au roi la suite de cette entreprise. Il cachète cette lettre, et l'envoye à deux heures; il va sur cette petite colline avec dix ou huit personnes; on tire de loin à l'aventure un malheureux coup de canon, qui le coupe par le milieu du corps; et vous pouvez penser

......

Le courrier part à

les cris et les pleurs de cette armée. l'instant; il arriva Lundi, comme je vous ai dit; de sorte, qu'à une heure l'une de l'autre, le roi eut une lettre de Mr. de Turenne et la nouvelle de sa mort. Il est arrivé depuis un gentilhomme de Mr. de Turenne, qui dit que les armées sont assez près l'une de l'autre, que Mr. de Lorges commande à la place de son oncle et que rien ne peut être comparable à la violente affliction de toute cette armée.— Dès le lendemain de cette nouvelle Mr. Louvois proposa au roi de réparer cette perte et au lieu d'un général en faire huit (c'est y gagner.) ... Voilà, Mr. le Comte, tout ce que nous savons jusqu'à l'heure qu'il est. En recompense d'une très aimable lettre, je vous en écris une qui vous donnera du déplaisir: j'en suis en vérité aussi fâchée que vous. Nous avons passé tout l'hiver à entendre conter les divines perfections de ce Héros: jamais un homme n'a été si près d'être parfait: et plus on le connaissait, plus on l'aimait, plus on le regrette. Adieu, Monsieur et Madame, je vous embrasse mille fois. Je vous plains de n'avoir personne à qui parler de cette grande nouvelle. Il est naturel de communiquer tout ce qu'on pense là-dessus. Si vous êtes fâchés, vous êtes comme nous sommes ici. Madame de Sévigné.

LE VICOMTE D'ORTE' À CHARLES IX.

Sire, j'ai communiqué le commandement de Votre Majesté à ses fidèles habitants et gens de guerre de la garnison; je n'y ai trouvé que de bons citoyens et de braves soldats, mais pas un bourreau. C'est pourquoi, eux et

1 Commandant of Bayonne, who had been ordered by the king, in the night of St. Bartholomew, 1572, to murder all Protestants in his district.

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