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franchise et le vrai plaisir. Je souperais gaiement_aɩ. bout de leur longue table, j'y ferais chorus* au refrain d'une vieille chanson rustique, et je danserais dans leu grange, de meilleur cœur qu'au bal de l'opéra. J. J. Rousseau.

LXIX.

Flatterie, Déguisement de la Vérité.

Si nous voulons nous juger nous-mêmes, et entrer dans le détail de nos devoirs, de nos liaisons, de nos_entretiens, nous verrons que tous nos discours_et toutes nos démarches ne sont que des_adoucissements de la vérité, et des tempéraments pour la réconcilier avec les préjugés ou les passions de ceux_avec qui nous avons à vivre. Nous ne leur montrons jamais la vérité que par les endroits_ où elle peut leur plaire; nous trouvons toujours_un beau côté dans leurs vices les plus déplorables; et, comme toutes les passions ressemblent toujours à quelque vertu, nous ne manquons jamais de nous sauver à la faveur de cette ressemblance.

Ainsi tous les jours, devant_un_ambitieux, nous parlons de l'amour de la gloire et du désir de parvenir, comme des seuls penchants qui font les grands hommes; nous flattons son_orgueil, nous_allumons ses désirs par des espérances et par des prédictions flatteuses et chimériques; nous nourrissons l'erreur de son_imagination en lui rapprochant des fantômes dont il se repaît sans cesse lui-même. Nous osons peut-être en général plaindre les hommes de tant s' agiter pour des choses que le hasard distribue, et que la mort va nous ravir demain ; mais nous n'osons blâmer l'insensé qui sacrifie à cette

*Pronounce this word kor us.

Devant u

fumée son repos, sa vie et sa conscience. vindicatif, nous justifions son ressentiment et sa colère; nous adoucissons son crime dans son esprit, en_ autorisant la justice de ses plaintes; nous ménageons sa passion, en_exagérant le tort de son ennemi: nous. osons peut-être dire qu' il faut pardonner, mais nous n'osons pas_ajouter que le premier degré du pardon, c'est de ne plus parler de l' injure qu'on a reçue.

Devant un courtisan mécontent de sa fortune, et jaloux de celle des autres, nous lui montrons ses concurrents par les endroits les moins favorables, nous jetons_habilement 、un nuage sur leur mérite et sur leur gloire, de peur qu'elle ne blesse les yeux jaloux de celui qui nous. écoute. Nous diminuons, nous_obscurcissons l'éclat de leurs talents et de leurs services; et, par nos ménage ments_injustes, nous aigrissons la passion, ncus l'aidons

à s'aveugler, et à regarder comme des honneurs qu' on lui ravit tous ceux qu'on répand sur ses freres. Que dirai-je? devant un prodigue, ses profusions ne sont plus dans notre bouche qu' un air de générosité et de magnificence; devant_un_avare, sa dureté et sa mesquinerie ne sont plus qu'une sage modération, et une bonne conduite domestique; devant un grand, ses préjugés et ses erreurs trouvent toujours_en nous des apologies toutes prêtes; on respecte ses passions comme son_autorité, et ses préjugés deviennent toujours les nôtres. Enfin nous _empruntons les erreurs de tous ceux_avec qui nous vivons; nous nous transformons_en_eux-mêmes; notre grande étude est de connaître leurs faiblesses pour nous les

approprier: nous n'avons point de langage à nous, nous parlons toujours le langage des autres; nos discours ne sont qu'une répétition de leurs projugés; et cet_indigne avilissement de la vérité, nous l'appelons la science du monde, la prudence qui sait prendre son parti, le grand art de réussir et de plaire. * F

Massillon

LXX.

Le Présent et l'Avenir.

Les hommes passent comme les fleurs qui s'épanouissen le matin, et qui le soir sont flétries et foulées aux pieds. Les générations des hommes s'écoulent comme les_ ondes d'un fleuve rapide; rien ne peut arrêter le temps, qui entraîne après lui tout ce qui paraît le plus_immobile. Toi-même, ô mon fils, mon cher fils, toi-même qui jouis maintenant d'une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n'est qu'une fleur qui sera presque aussitôt séchée qu'éclose: tu te verras changer_ insensiblement; les grâces riantes, les doux plaisirs qui t' accompagnent, la force, la santé, la joie, s'évanouiront comme un beau songe; il ne t'en restera qu'un triste souvenir; la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps, affaiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du présent, te faire craindre l'avenir, te rendre insensible à tout, excepté à la douleur. Ce temps te paraît éloigné. Hélas! tu te trompes, mon fils; il se hâte, le voilà qui arrive: ce qui vient avec tant de rapidité n'est pas loin de toi, et le présent qui s'enfuit est déjà bien loin, puisqu'il s'anéantit dans le moment où nous parlons, et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le présent; mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vertu, par la vue de l'avenir. Prépare-toi, par des mœurs pures et par l'amour de la justice, une place dans l'heureux séjour de la paix.

Fénélon

LXXI.

Le Duel.

Gardez-vous de confondre le nom sacré de l'honneur avec ce préjugé féroce qui met toutes les vertus à la pointe d'une épée, et n'est propre qu'à faire de braves scélérats. En quoi consiste ce préjugé? Dans l'opinion la plus extravagante et la plus barbare qui entra jamais dans l'esprit humain, savoir, que tous les devoirs de la société sont suppléés par la bravoure; qu'un homme n'est plus fourbe, fripon, calomniateur; qu'il est civil, humain, poli, quand il sait se battre; que le mensonge se change en vérité, que le vol devient légitime, la perfidie honnête, l'infidélité louable, sitôt qu' on soutient tout cela le fer à la nain; qu'un affront est toujours bien réparé par un coup d'épée, et qu'on n'a jamais tort avec un homme, pourvu qu'on le tue. Il y a, je l'avoue, une autre sorte d'affaire où la gentillesse se mêle à la cruauté, et où l'on ne tue les gens que par hasard; c'est celle où l'on se bat au premier sang! Au premier sang! grand Dieu! Et qu'en veux-tu faire de ce sang, bête féroce? le veux-tu boire?

Les plus vaillants hommes de l'antiquité songèrent ils jamais à venger leurs injures personnelles par les combats particuliers? César envoya-t-il un cartel à Caton, ou Pompée à César, pour tant d' affronts réciproques? Et le plus grand capitaine de la Grèce fut-il déshonoré pout s'être laissé menacer d'un bâton? D'autres temps, d'autres mœurs, je le sais; mais n'y en a-t-il que de bonnes, et n'oserait-on s'enquérir si les mœurs d'un temps sont celles qu' exige le solide honneur? Non, cet honneur n'est point variable, il ne dépend ni des temps, ni des lieux, ni des préjugés; il ne peut ni passer, ni

renaitre; il a sa source éternelle dans le cœur de l'homme juste et dans la règle inaltérable de ses devoirs. Si les peuples les plus éclairés, les plus braves, les plus vertueux de la terre, n'ont point connu le duel, je dis qu'il n'est point_une institution de l'honneur, mais_une mode affreuse et barbare, digne de sa féroce origine. Reste à savoir si, quand il s'agit de sa vie ou de celle d'autrui, l'honnête homme se règle sur la mode et s'il n'y a pas alors plus de vrai courage à la braver qu'à la suivre. Que ferait celui qui s'y veut asservir, dans des lieux_ où règne un usage contraire? A Messine ou à Naples, il irait attendre son homme au coin d'une rue, et lc poignarder par derrière. Cela s'appelle être brave en ce `pays-là, et l'honneur ne consiste pas à se faire tuer par son ennemi, mais à le tuer lui-même.

L'homme droit, dont toute la vie est sans tache, et qui ne donna jamais aucun signe de lâcheté, refusera de souiller sa main d'un homicide, et n'en sera que plus honoré. Toujours prêt à servir la patrie, à protéger le faible, à remplir les devoirs les plus dangereux, et à défendre, en toute rencontre juste et honnête, ce qui lui est cher, au prix de son sang, il met dans ses démarches cette inébranlable fermeté qu'on n'a point sans le vrai courage. Dans la sécurité de sa conscience, il marche la tête levée; il ne fuit ni ne cherche son_ennemi. On voit aisément qu'il craint moins de mourir que de mal faire, et qu'il redoute le crime et non le péril. Si les vils préjugés s'élèvent_un_instant contre lui, tous les jours de son、 honorable vie sont autant de témoins qui les récusent; et, dans une conduite si bien liée on juge d'une action sur toutes les autres.

Les hommes si ombrageux et si prompts à provoquer les autres, sont pour la plupart de malhonnêtes gens, qui, de pour qu'on_ose leur montrer_ouverte ment le mépris qu'on_a pour eux, s'efforcent de couvrir

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