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de siecles, pendant lesquels tout est sorti d'elle, elle n'est point_encore usée. Elle ne ressent aucune vieillesse; ses._entrailles sont encore pleines des memes trésors. Mille générations ont passé dans son sein. Tout vieillit excepté elle seule; elle rajeunit chaque année au prin mps.

Elle ne manque point aux hommes; mais l hommes_insensés se manquent à eux-mêmes, en négli geant de la cultiver. C'est par leur paresse et par leurs désordres qu'ils laissent croître les ronces et les épines, en la place des vendanges et des moissons. Ils se disputent un bien qu'ils laissent perdre. Les conquérants laissent en friche la terre, pour la possession de laquelle ils_ont fait périr tant de milliers d'hommes, et ont passé leur vie dans une terrible agitation. Les hommes ont devant eux des terres_immenses qui sont vides_et incultes; et ils renversent le genre humain pour un coin de cette terre si négligée. La terre, si elle était bien cultivée, nourrirait cent fois plus d' hommes qu'elle n' en nourrit. L'inégalité même des terroirs, qui paraît d'abord un défaut, se tourne en ornement et en_utilité. Les montagnes se sont élevées, et les vallons sont descendus à la place que le Seigneur leur a marquée.

Ces diverses terres, suivant les divers_aspects du soleil, ont leurs avantages. Dans ces profondes vallées on voit croître l'herbe fraîche pour nourrir les troupeaux. Auprès d'elles s'ouvrent de vastes campagnes revêtues de riches moissons. Ici, des coteaux s'élevent comme un_amplithéâtre, et sont couronnés de vignobles et d' arbres fruitiers. Là, de hautes montagnes vont porter lezr front glacé jusque dans les nues, et les torren's qui en tombent sont les sources des rivieres. Les rochers qui montrent leur cime escarpée soutiennent la terre des montagnes, comme les os du corps humain en soutiennent les chairs. Cette variété fait le charine des paysages; en

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même temps_elle satisfait aux divers besoins des peu ples il n'y a point de terroir si ingrat qui n' ait quelque propriété. Fénélon.

LXI.

L'Immatérialité* de l' Ame.

Plus je rentre en moi et plus je me consulte, plus je lis ces mots écrits dans mon âme: Sois juste et tu seras. heureux! Il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses: le méchant prospère, et le juste reste opprimé. Voyez aussi quelle indignation s' allume en nous quand cette attente est frustrée! la conscience s'élève et murmure contre son_auteur; elle lui crie en gémissant : "Tu m' as trompé !"

"Je t'ai trompé, téméraire! qui te l'a dit? Ton âme est elle anéantie? as-tu cessé d'exister? ô Brutus! ô mon fils! ne souille point ta noble vie en la finissant: ne laisse point ton espoir et ta gloire avec ton corps_aux champs de Philippes. Pourquoi dis-tu la vertu n'est rien, quand tu vas jouir du prix de la tienne? Tu vas mourir, penses-tu; non, tu vas vivre, et c'est alors que je tiendrai tout ce que je t'ai promis!"

On dirait aux murmures des impatients mortels, que Dieu leur doit la récompense avant le mérite, et qu'il est obligé de payer leur vertu d'avance. Oh! soyons bons d'abord, et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n'est point dans la lice, disait Plutarque, que les vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c'est après qu'ils l'ont parcourue.

* The two m's in this word, as well as in all the words begin ning with imm, are sounded, and the i preserves its natural sound: im-matérialité.

Si l'âme est_immatérielle, elle peut survivre au corps: et, si elle lui survit, la Providence est justifiée. Quand je n'aurais d'autre preuve de l' immatérialité de l'âme, que le triomphe du méchant et l'oppression du juste en ce monde, cela seul m' empêcherait d'en douter. Une si choquante dissonance dans l'harmonie universelle me ferait chercher à la résoudre. Je me dirais: "Tout ne finit pas pour moi avec la vie; tout rentre dans l'ordre à la mort." J. J. Rousseau.

LXII.
L'Evangile.

La majesté des écritures m'étonne; la sainteté de l'évangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe; qu'ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu' un livre, à la fois si sublime et si sage, soit l'ouvrage des hommes! Se peut-il que celui dont_il fait l'histoire ne soit qu' un homme lui-même? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d' un ambitieux sectaire? Quelle douceur! quelle pureté dans ses mœurs! quelle grâce touchante dans ses instructions! quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde sagesse dans ses discours! quelle présence d' esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses! quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait_agir, souffrir et mourir, sans faiblesse et sans_ostentation? Quand Platon print son juste imaginaire couvert de tout l'opprobre du crime, et digne de tous les prix de la vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ; la ressemblance est si frappante que tous les pères l'ont sentie, et qu' il n' est pas possible de s'y tromper.

Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point_ avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils

de Marie! Quelle distance de l'un à l'autre ! Socrate mourant sans douleur, sans_ignominie, soutint_aisément jusqu'au bout son personnage; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu' un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale; d'autres, avant lui, l' avaient mise en pratique; il ne fit que dire ce qu'ils avaient fait; il ne fit que mettre en leçons leurs exemples. Aristide avait été juste avant que Socrate eût dit ce que c'est que la justice. Léonidas était mort pour son pays_avant que Socrate eût fait un devoir d'aimer sa patrie. Sparte était sobre avant que Socrate eût loué la sobriété; avant qu'il eût loué la vertu, la Grèce abondait_en_hommes vertueux. Mais

où Jésus avait_il pris chez les siens cette morale élevée et pure, dont lui seul a donné les leçons _et l'exemple ? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité des plus_héroïques vertus

honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu'on puisse désirer; celle de Jésus, expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu' on puisse craindre. Socrate, prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui la lui présente et qui pleure. Jésus, au milieu d' un_affreux supplice, prie pour ses bourreaux_acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d' un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un diev. J. J. Roussean.

LXIII.

La Vraie et la Fausse Philanthropie.

Il y a deux manières de se donner_aux_hommes. La première est de se faire aimer, non pour être leur doie, mais pour employer leur confiance à les rendre bons.

Il y en a une autre

Cette philanthropie est toute divine. qui est une fausse monnaie, quand on se donne aux hommes pour leur plaire, pour les éblouir, pour usurper de l'autorité sur eux en les flattant. Ce n'est pas eux qu'on aime, c'est soi-même. On n'agit que par vanité et par intérêt; on fait semblant de se donner, pour posséder ceux à qui l' on fait_accroire qu'on se donne à eux. Ce faux philanthrope est comme un pêcheur qui jette un hameçon avec un_appât; il paraît nourrir les poissons, mais il les prend, et les fait mourir. Tous les tyrans, tous les magistrats, tous les politiques qui ont de l'ambition, paraissent bienfaisants et généreux; ils paraissent se donner, et ils veulent prendre les peuples; ils jettent l'hameçon dans les festins, dans les compagnies, dans les assemblées publiques; ils ne sont pas sociables pour l'intérêt des hommes, mais pour abuser de tout le genre humain. Ils_ont_un_esprit flatteur, insinuant, artificieux, pour corrompre les mœurs des hommes, et pour réduire en servitude tous ceux dont ils ont besoin. La corruption de ce qu' il y a de meilleur, est le plus pernicieux de tous les maux. De tels hommes sont les pestes du genre humain. Au moins l'amour-propre d' un misanthrope n'est que sauvage et inutile au monde; mais celui de ces faux philanthropes est traître et tyrannique; ils promettent toutes les vertus de la société, et ils ne font de la société qu' un trafic dans lequel ils veulent tout_attirer

à eux, et asservir tous les citoyens. Le misanthrope fait plus de peur et moins de mal. Un serpent qui se glisse entre les fleurs est plus à craindre qu' unanima) sauvage qui s'enfuit vers sa tanière, dès qu' il vous_aperjoit.

Fénélon.

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