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PAMPHLETS, LETTRES

ET

PROCÈS POLITIQUES

PÉTITION

AUX

DEUX CHAMBRES

[1816]

MESSIEURS,

E suis Tourangeau; j'habite Luynes sur la rive droite de la Loire, lieu autrefois considérable, que la révocation de l'édit de Nantes a réduit à mille habitans, et que l'on va réduire à rien par de nouvelles persécutions, si votre prudence n'y met ordre.

J'imagine bien que la plupart d'entre vous, Messieurs, ne savent guère ce qui s'est passé à Luynes depuis quelques mois. Les nouvelles de ce pays

font peu de bruit en France, et à Paris surtout. Ainsi je dois, pour la clarté du récit que j'ai à faire, prendre les choses d'un peu haut.

Il y a eu un an environ à la Saint-Martin, qu'on commença chez nous à parler de bons sujets et de mauvais sujets. Ce qu'on entendait par là, je ne le sais pas bien, et si je le savais, peut-être ne le dirais-je pas, de peur de me brouiller avec trop de gens. En ce temps, François Fouquet allant au grand moulin rencontra le curé qui conduisait un mort, au cimetière de Luynes. Le passage était étroit; le curé voyant venir Fouquet sur son cheval lui crie de s'arrêter, il ne s'arrête point; d'ôter son chapeau, il le garde; il passe, il trotte, il éclabousse le curé en surplis. Ce ne fut pas tout; aucuns disent, et je n'ai pas peine à le croire, qu'en passant il jura, et dit qu'il se moquait (vous m'entendez assez) du curé et de son mort. Voilà le fait, Messieurs; je n'y ajoute ni n'en ôte; je ne prends point, Dieu m'en garde, le parti de Fouquet, ni ne cherche à diminuer ses torts. Il fit mal; je le blâme, et le blâmai dès lors. Or, écoutez ce qui en avint.

Trois jours après, quatre gendarmes entrent chez Fouquet, le saisissent, l'emmènent aux prisons de Langeais, lié, garrotté, pieds nuds, les menottes aux mains, et pour surcroît d'ignominie, entre deux volcurs de grand chemin. Tous trois on les jeta dans le même cachot: Fouquet y fut deux mois; pendant ce temps sa famille n'eut, pour

subsister, d'autre ressource que la compassion des bonnes gens, qui, dans notre pays, heureusement ne sont pas rares. Il y a chez nous plus de charité que de dévotion. Fouquet donc étant en prison, ses enfans ne moururent pas de faim; en cela il fut plus heureux que d'autres.

On arrêta, vers le même temps, et pour une cause aussi grave, Georges Mauclair, qui fut détenu cinq ou six semaines. Celui-là avait mal parlé, disaiton, du Gouvernement. Dans le fait, la chose est possible; peu de gens chez nous savent ce que c'est que le Gouvernement; nos connaissances sur ce point sont assez bornées ; ce n'est pas le sujet ordinaire de nos méditations; et si Georges Mauclair en a voulu parler, je ne m'étonne pas qu'il en ait mal parlé; mais je m'étonne qu'on l'ait mis en prison pour cela. C'est être un peu sévère, ce me semble. J'approuve bien plus l'indulgence qu'on a eue pour un autre, connu de tout le monde à Luynes, qui dit en plein marché, au sortir de la messe, hautement, publiquement, qu'il gardait son vin pour le vendre au retour de Bonaparte, ajoutant qu'il n'attendrait guère, et d'autres sottises pareilles. Vous jugerez là-dessus, Messieurs, qu'il ne vendait ni ne gardait son vin, mais qu'il le buvait. Ce fut mon opinion dans le temps. On ne pouvait plus mal parler. Mauclair n'en avait pas tant dit pour être emprisonné; celui-là cependant on l'a laissé en repos; pourquoi? c'est qu'il est bon sujet et l'autre? il est mauvais sujet; il a déplu à ceux qui

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