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se trompe pas, et que ma patience dure autant que ses persécutions!

Tous les gens de loi consultés déclarent cet acte du maire illégal et contraire, non-seulement aux lois, mais aux plus communes notions de police et d'administration, au bon sens. Voilà ce qu'en pensent les gens de loi généralement. Leur chef et le vôtre, Messieurs, dont l'autorité serait grande en cette matière, indépendamment de sa place, Monseigneur le garde des sceaux, informé de ce fait, sur le simple récit, refusa de le croire, en disant : Cela est impossible; et depuis, convaincu par des preuves de la vérité de ce que d'abord il jugeait impossible, il a dit: Cela est incroyable. J'ose vous citer ses paroles et m'en prévaloir devant vous, parce que ses paroles sont mon bien dans le malheur où je me trouve, et ont un grand poids, montrant mieux que je ne saurais faire, avec quelle audace M. de Beaune a foulé aux pieds toute justice, dans sa conduite à mon égard. Sa conduite dans cette affaire a été de tout point incroyable.

Passons sur le serment qui me coûte so francs. Mais son refus d'autoriser la recherche des bois volés à M. Courier, que vous en semble, Messieurs? Un maire, la seule autorité à laquelle on puisse, loin des villes, recourir contre les voleurs, se faire ouvertement leur protecteur, le fauteur, le recéleur, en quelque sorte, d'un vol public et manifeste, d'une suite continuelle de vols, cela est-il croyable? Y voyez-vous, Messieurs, la moindre

vraisemblance? Puis, cette fantaisie de se dire insulté, quand je vais malgré moi (je ne le voulais pas, on m'y força) lui faire une réquisition légale, nécessaire, sur un objet pressant: cela encore se peut-il croire? Et cette rage ensuite, cette guerre acharnée, ce soin d'ameuter contre moi tout ce qui peut avoir ombre d'autorité dans le département, ce piége préparé d'une feinte douceur, pour me faire souscrire des aveux propres à me perdre; cette publication, cette amplification de jugement qui me condamne, cette signature du greffier, cet extrait prétendu conforme, tout cela, non, Messieurs, ne me paraît pas possible, et n'est croyable que pour ceux qui en ont été les témoins, ou qui habitent les campagnes et savent ce que c'est qu'un maire.

Mais la plainte même qui fait le fond de ce procès a-t-elle apparence de sens? et se peut-il qu'un homme, je ne dis plus un maire, mais un homme en âge de raison, hors des faiblesses de l'enfance, se tienne offensé pour un mot (car j'accorde, je veux que je l'aie dit, ce mot), pour un mot, tout au plus grossier, qui n'attaque ni l'honneur ni la réputation, ni la probité ni les mœurs de celui auquel il s'adresse, et ne peut faire tort qu'à celui qui le prononce? que, pour ce mot, il veuille poursuivre, exterminer un pauvre domestique; qu'il fatigue les juges, entasse des écritures, amène des témoins, remue des gens en place, abuse des actes publics, afin d'obtenir, quoi? que ce malheureux, ruiné,

malade, diffamé, après six mois de chagrins, d'angoisses, languisse un mois dans les prisons.

Un mois, Messieurs! Avant de confirmer cet arrêt, vous y penserez, je l'espère. Qu'un soldat l'eût dit à son chef, ce mot dont se plaint M. de Beaune, on eût mis peut-être ce soldat en prison deux jours; et pour le même mot, du paysan au maire, vous ordonnerez un mois, non de la même peine. Le soldat, deux jours en prison, y voit des soldats comme lui, en sort sans déshonneur, et n'a point de famille dont le sort l'inquiète. Moi, je serais un mois avec des malfaiteurs (on le croira du moins), laissant ma maison désolée et mes enfans à l'abandon; je les rejoindrais couvert de honte ! Quelle différence, Messieurs. Est-ce à vous, Juges, d'établir cette différence en faveur de l'homme armé ? La loi civile est-elle plus dure que la discipline des camps?

Mais non, Messieurs, non, je n'ai point outragé M. le maire. Même, selon sa déclaration, je ne lui ai rien dit où l'on puisse trouver une injure. Qu'il amasse des preuves, qu'il produise, à l'appui de son procès-verbal, ses fermiers pour témoins, ses débiteurs, ses gens; je ne l'ai point outragé. Je l'eusse outragé en l'appelant menteur, faussaire, parjure, lâche persécuteur du faible; et j'outragerais qui que ce soit en lui reprochant la moitié de ce que m'a fait M. de Beaune. Mais le mot dont il m'accuse n'est un outrage pour personne. Avec lui, n'user que de ce mot, c'eût été le ménager, c'eût

été de ma part une rare prudence, et pourtant, ce mot même, il est vrai que je ne l'ai pas dit.

Ne craignez point d'ailleurs, Messieurs, si vous me renvoyez absous, que l'autorité de M. le maire en soit affaiblie, qu'on le respecte moins pour cela, qu'on ait moins peur de l'offenser. Il n'y a personne dans le pays que mon exemple n'épouvante et qui ne tremble de gagner un pareil procès. Je n'ai eu, six mois durant, de repos ni jour ni nuit. Je paie des frais énormes, et perds mon travail d'un an. Une coupe de bois, dans laquelle j'ai quelque intérêt, à peine en ai-je pu faire le quart. N'en doutez point, quoi qu'il arrive, quelque arrêt que vous prononciez, je serai toujours assez puni d'avoir fâché M. de Beaune, et, de longtemps, ceux qui le servent ne lui demanderont en justice leur salaire, s'ils veulent habiter la commune de Véretz.

CLAVIER-BLONDEAU

LETTRES

AU

RÉDACTEUR DU CENSEUR

PAR P-L. COURIER, CULtivateur.

[1819-1820]

LETTRE PREMIÈRE.

Véretz, le 10 juillet 1819.

OUS vous trompez, Monsieur, vous avez tort de croire que mon placet imprimé, dont vous faites mention dans une de vos feuilles, n'a produit

nul effet. Ma plainte est écoutée. Sans doute, comme vous le dites, il est fâcheux pour moi que l'innocence de ma vie ne puisse assurer mon repos; mais c'est la faute des lois, non celle des ministres. Ils ont écrit à leurs agens comme je le pouvais désirer, et plût à Dieu qu'ils eussent écrit de même aux juges, quand j'avais des procès, et à

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