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Je, soussigné, certifie avoir publié au prône de ma messe paroissiale, le dimanche 21 mars de la présente année 1819, les copies du jugement de l'autre part, d'après l'invitation qui m'en a été faite par M. DE BEAUNE, maire de cette com

mune.

MARCHANDEAU, curé desservant de Véretz.

Voilà, Messieurs, ce qu'a publié M. le curé, dans la chaire de vérité, ce qu'il a notifié comme un acte authentique aux habitans de la paroisse. Il n'y a de vrai néanmoins dans cette pièce écrite tout entière de la main de M. de Beaune, que sa seule signature. Le reste se peut dire imaginé par lui ou arrangé selon ses vues. Il n'est point du tout vrai que l'on m'ait condamné pour avoir menacé et injurié le maire. Il n'est point vrai non plus que ce soit là un extrait du jugement rendu contre moi. Il est encore moins vrai que ce prétendu extrait ait été délivré par le commis-greffier. Enfin il est faux que ce commis ait jamais signé rien de pareil, et son nom mis là est une pure invention de M. le maire. Le greffier n'a pu délivrer un extrait qui n'est pas conforme au jugement; aussi s'en défend-il et le nie à tous ceux qui lui en ont parlé. Le jugement ne dit point que j'ai menacé ni injurié personne; je suis condamné pour avoir outragé en paroles M. le maire de Véretz. Les juges ont trouvé un outrage dans ces mots : Allez vous faire f.....; mais quelque envie qu'ils eussent d'obliger M. le

maire, ils n'y pouvaient trouver de menaces, quand même M. le préfet le leur eût enjoint par vingt lettres. Si le maire voulait des menaces, s'il entrait dans son plan d'avoir été menacé, il fallait qu'il le mît dans son procès-verbal, et cela n'eût pas fait plus de difficulté. Mais alors il n'y pensa pas. Pour réparer cette omission, il entreprit depuis de me faire signer à moi-même et avouer ces menaces en présence de témoins, employant pour cela une ruse qui devait lui réussir, si on ne m'eût averti. C'est encore ici un des traits de l'esprit inventif de M. le maire, et je vous prie d'y faire attention, Mes

sieurs.

Au milieu du procès, dans la plus grande rage de ses persécutions, quand son garde champêtre, ses cédules, ses huissiers, ne me donnaient point de lâche, tout d'un coup il feint de s'adoucri, d'avoir pitié de moi, de vouloir me laisser vivre; on m'apprend de sa part qu'il se contentera d'une légère satisfaction, que si je veux lui faire quelques excuses, toute poursuite contre moi cessera. Moi je me crus hors de l'enfer au premier mot qui m'en fut dit; je rendis grâces à Dieu et promis de me trouver le dimanche suivant, après la messe, chez M. le maire, pour lui faire toutes les excuses, toutes les soumissions qu'il voudrait. Le dimanche venu, j'arrive à l'heure dite; je trouve à la mairie le conseil assemblé, beaucoup de gens et M. le maire, auquel jefis excuse (de quoi? grand Dieu!) le plus humblement que je sus, lui demandant pardon de l'avoir

offensé, sans dire où, ni comment, de peur de mentir, et promettant de ne le faire plus à l'avenir. Il paraissait content, tout allait le mieux du monde. Pour conclure, on ouvre devant moi le gros registre de la commune, on lit un long narré où je ne compris mot; on me dit de signer; j'allais signer, n'ayant soupçon de quoi que ce fût, quand quelqu'un me retint : « Prends garde, me dit-il, tu vas signer que tu as insulté M. le maire, que tu l'as menacé, violemment menacé, tel jour, en tel lieu, à telle heure, tu vas signer... que sais-tu encore?» Ces mots me donnèrent à penser; je refusai; je demandai à me consulter, et là-dessus M. le maire : « Tu iras en prison. » Je n'entendis pas le reste, car on me fit sortir; mes excuses ainsi sont restées sur le registre de la commune, et mes menaces et d'autres choses, non signées de moi, Dieu merci.

Voilà les finesses de M. de Beaune, dont je suis bien aise, Messieurs, que vous soyez avertis, afin de vous en garder, car il est homme à vous faire dire tout ce qu'il voudra. Si votre sentence ne lui agrée, telle que vous l'aurez prononcée, il l'arrangera le lendemain au prône de la paroisse; et quant aux signatures, vous pensez bien, Messieurs, qu'il ne s'en fera faute, non plus que de celle du commis-greffier Bourrassé.

Au reste, de même qu'il sait accommoder à son plaisir les sentences des tribunaux, il sait s'en passer, les prévenir. Remarquez bien ceci, Messieurs: le jugement contre moi est du 5; j'en appelle le 10,

et onze jours après, le 21, avant même que mon appel vous fût parvenu, M. de Beaune fait publier ma condamnation. Vous voilà bien surpris, Messieurs; vous pensiez que votre jugement pouvait faire quelque chose à l'affaire, mais songez-y, de grâce M. de Beaune est maire, et M. de Beaune avait fait son procès-verbal Or, jamais rien n'a résisté au procès-verbal de M. le maire, appuyé surtout comme il l'est d'une lettre du préfet. Votre sentence, après cela, n'est qu'une pure formalité, d'ailleurs assez indifférente, qu'il n'a pas cru devoir attendre, ou qu'il attendait, pour mieux dire, dans une parfaite assurance, n'ayant nul doute à cet égard.

Le cas que fait M. de Beaune de l'autorité judiciaire a mieux paru encore dans cette affaire-ci, quand les juges de Tours, pour quelque information, le firent appeler. Sa réponse fut simple: 11 n'avait pas le temps. M. le maire n'a pas le temps. Voilà ce qu'il leur fit dire par son garde champêtre, qui est l'homme du maire, comme le maire est l'homme du préfet. Quelle dignité dans ce peu de mots à un tribunal assemblé! M. le maire n'a pas le temps. C'était comme s'il leur eût dit : « M. le maire est à la chasse, ou M. le maire est maintenant dans l'antichambre du préfet; M. le maire fait sa cour: il n'a pas le loisir de comparaître devant les tribunaux. » Qu'un maire est grand dans son village! tout s'empresse à lui plaire; tout tremble à sa parole. Il poursuit, il accable quiconque a le

malheur d'attirer son courroux. Il le frappe de son procès-verbal; et si les juges lui demandent des explications, il répond qu'il n'a pas le temps. Après cela, Messieurs, devez-vous être surpris que M. le maire de Véretz n'ait pas attendu votre arrêt pour me déclarer condamné? Il y a plutôt de quoi s'étonner qu'il n'ait pas commencé par me mettre en prison.

J'eusse aimé mieux cela que de m'entendre lire à l'église, au prône, ma sentence d'emprisonnement, flétrissure nouvelle et inouïe, espèce de carcan inventé pour moi seul, exprès par M. le maire, qui, de sa propre autorité, ajoute cette peine à la peine portée contre moi. J'eusse mieux aimé qu'il doublât la durée de ma détention, et me tînt, puisqu'il fait ainsi tout ce qu'il veut, six mois en prison au lieu d'un. Père de famille de soixante ans, me voir diffamé, moi présent, en pleine assemblée, devant tous mes amis, mes voisins, mes parens, tous les regards sur moi; me voir noté, marqué par le doigt du pasteur, quel affront! quelle honte! J'eusse voulu être mort; et quand je sus que cet affront n'était qu'un plaisir de M. le maire, que les juges n'avaient pu l'ordonner, je ne vous dirai point, Messieurs, ce qui me vint à l'esprit. J'ai soutenu les cruelles épreuves où m'a mis la haine de M. de Beaune, sans que jusqu'à présent, grâce à Dieu, la prudence m'ait abandonné. Heureusement pour lui, les années m'ont fait sage; il le sait et compte là-dessus: veuille le ciel qu'il ne

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