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Auteur traitoit de chimères par rapport à l'Univers) | sa bonté et sa sagesse n'y paroissent pas, et il n'y mais par la nécessité de sa nature: comme le demi-a rien aussi qui l'y attache. Et si c'est par un décercle est obligé de ne comprendre que des angles droits, sans en avoir ni la connoissance, ni la volonté. Car Euclide a montré que tous les Angles compris par deux lignes droites, tirées des extrémités du diamètre vers un point du cercle, sont nécessairement droits, et que le contraire implique contradiction.

175. Il y a des gens qui sont allés à l'autre extrémité, et sous prétexte d'affranchir la nature divine du joug de la nécessité, ils l'ont voulu rendre tout-à-fait indifférente, d'une indifférence d'équilibre: ne considérant point qu'autant que la nécessité métaphysique est absurde par rapport aux actions de Dieu ad extra, autant la nécessité morale est digne de lui. C'est une heureuse nécessité qui oblige le Sage à bien faire, au lieu que l'indifférence par rapport au bien et au mal seroit la marque d'un défaut de bonté ou de sagesse. Outre que l'indifférence en elle-même qui tiendroit la volonté dans ́un parfait équilibre, seroit une chimère, comme il a été montré ci-dessus: elle choqeroit le grand principe de la raison déterminante.

cret purement arbitraire, sans aucune raison, qu'il a établi ou fait ce que nous appelons la justice et la bonté; il les peut défaire ou en changer la nature, de sorte qu'on n'a aucun sujet de se promettre qu'il les observera toujours; comme on peut dire qu'il fera, lorsqu'on suppose qu'elles sont fondées en raisons. Il en seroit de même à peu près si s justice étoit différente de la nôtre, c'est-à-dire s'il étoit écrit (par exemple) dans son Code, qu'il est juste de rendre des innocens éternellement malheureux. Suivant ces principes, rien aussi n'obligeroit Dieu de garder sa parole, ou ne nous assureroit de son effet. Car pourquoi la loi de la justice, qui porte que les promesses raisonnables doivent être gardées, seroit-elle plus inviolable à son égard, que toutes les autres?

177. Tous ces dogmes, quoiqu'un pen différens entre eux, savoir 1. que la nature de la justice est arbitraire, 2. qu'elle est fixe, mais qu'il n'est pas sûr que Dieu l'observe; et enfin 3. que la justice que nous connoissons n'est pas celle qu'il observe; détruisent et la confiance en Dieu, qui fait notre repos, et l'amour de Dieu, qui fait notre félicité. Rien n'empêche qu'un tel Dieu n'en use en tyran et en ennemi des gens de bien, et qu'il se plaise à ce que nous appellons mal. Pourquoi ne seroit il donc pas aussi bien le mauvais Principe des Manichéens, que le bon Principe unique des Orthodoxes? Au moins seroit-il neutre et comme suspendu entre deux, ou même tantôt l'un, tantôt l'autre; ce qui vaudroit autant que si quelqu'un disoit qu'Oroussdes et Arimanius règnent tour à tour, selon que l'un ou l'autre est plus fort ou plus adroit. A peu près comme une femme Mugalle, ayant oui dire apparemment, qu'autrefois sous Chingis-Chan et ses suecesseurs, sa nation avoit eu l'Empire de la plus

176. Ceux qui croient que Dieu a établi le bien et le mal par un décret arbitraire, tombent dans ce sentiment étrange d'une pure indifférence; et dans d'autres absurdités encore plus étranges. Ils lui ôtent le titre de bon; car quel sujet pourroit on avoir de le louer de ce qu'il a fait, s'il avoit fait également bien en faisant tout autre chose? Et je me suis étonné bien souvent que plusieurs Théologiens Supralapsaires, comme par exemple Samuel Retorfort Professeur en Théologie en Ecosse, qui a écrit lorsque les controverses avec les Remontrans étoient le plus en vogue, ont pu donner dans une si étrange pensée. Retorfort (dans son Exercitation apologétique pour la Grace) dit positivement que rien n'est injuste ou moralement mauvais par rap-grande partie du Septentrion et de l'Orient, avoit port à Dieu, et avant sa défense: ainsi sans cette défense il seroit indifférent d'assassiner ou de sauver un homme, d'aimer Dieu ou de le haïr, de le louer ou de le blasphémer.

dit dernièrement aux Moscovites, lorsque M. Isbrand alla à la Chine de la part du Chan par le pays de ces Tartares, que le Dieu des Mugalles avoit été chassé du Ciel, mais qu'un jour il reprendroit sa place. Le vrai Dieu est toujours le même; la Religion naturelle même demande qu'il soit essentiel

Il n'y a rien de si déraisonnable: et soit qu'on enseigne que Dieu a établi le bien et le mal dans une loi positive; soit qu'on soutienne qu'il y a quel-lement bon et sage, autant que puissant: il n'est que chose de bon et de juste antécédemment à son décret mais qu'il n'est pas déterminé à s'y conformer, et que rien ne l'empêche d'agir injustement, et de damner peut-être des innocens; l'on dit à peu près la même chose, et on le déshonore presque également. Car si la justice a été établie arbitrairement et sans aucun sujet, si Dieu y est tombé par unc espèce de hazard, comme lorsqu'on tire au sort;

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guères plus contraire à la raison et à la piété, de dire que Dieu agit sans connoissance, que de vouloir qu'il ait une connoissance qui ne trouve point les règles éternelles de la bonté et de la justice parmi ses objets: ou enfin qu'il ait une volonté qui n'ait point d'égard à ces règles.

178. Quelques Théologiens qui ont écrit du droit de Dieu sur les Créatures, ont paru lui accorder vi

droit sans bornes, un pouvoir arbitraire et despotique. Ils ont cru que c'étoit poser la Divinité dans le plus haut point de grandeur et d'élévation, où elle puisse être imaginée; que c'étoit anéantir tellement la Créature devant le Créateur, que le Créateur ne soit lié d'aucune espèce de loix à l'égard de la Créature. Il y a des passages de Twisse, de Retorfort, et de quelques autres Supralapsaires, qui insinuent que Dicu ne sauroit pécher, quoi qu'il fasse, parce qu'il n'est sujet à aucune Loi. M. Bayle lui-même juge que cette doctrine est monstrueuse et contraire à la saintetéde Dieu (Diction. v. Pauliciens p. 2332. initio): mais je m'imagine que l'intention de quelques-uns de ces Auteurs a été moins mauvaise qu'il ne paroît. Et apparemment sons le nom de droits ils ont entendu, avuzɛuduvíav, un état où l'on n'est responsable à personne de ce qu'on fait. Mais ils n'auront pas nié que Dieu se doit à soi-même ce que la bonté et la justice lui demandent. L'on peut voir là-dessus l'Apologic de Calvin faite par M. Amyraud: il est vrai que Calvin paroit orthodoxe sur ce chapitre, et qu'il n'est nullement du nombre des Supralapsaires outrés. 179. Ainsi quand M. Bayle dit quelque part que S. Paul ne se tire de la prédestination que par le droit absolu de Dieu, et par l'incompréhensibilité de ses voies; on y doit sous-entendre que si on les comprenoit, ou les trouveroit conformes à la justice, Dieu ne pouvant user autrement de son pouvoir. S. Paul lui-même dit que c'est une profondeur, mais de sagesse (altitudo Sapientiae); et la justice est comprise dans la bonté du Sage. Je trouve que M. Bayle parle très bien ailleurs de l'application de nos notions de la bonté aux actions de Dieu. (Rép, au Provinc, ch. 81. p. 139.) » »ne faut point ici prétendre (dit-il) que la bonté »de l'Etre infini n'est point soumise aux mêmes »règles que la bonté de la Créature. Car s'il y a yen Dieu un attribut qu'on puisse nommer bouté, »il faut que les caractères de la bonté en général «lui conviennent. Or quand nous réduisons la bonté yà l'abstraction la plus générale, nous y trouvons »la volonté de faire du bien. Divisez et subdivisez >>en autant d'espèces qu'il vous plaira, cette bonté gé»nérale, en bouté infinic, en bonté finie, en bonté royale, en bonté de père, en bonté de mari, en bonté »de maitre; vous trouverez dans chacune, comme un »attribut inséparable, la volonté de faire du bien.<<

180. Je trouve aussi que M. Bayle combat fort bien le sentiment de ceux qui prétendent que la bonté et la justice dépendent uniquement du choix arbitraire de Dien, et qui s'imaginent que si Dieu avoit été déterminé à agir par la bonté des choses mêmes, il seroit un agent entièrement nécessité

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dans ses actions, ce qui ne peut compatir avec la liberté. C'est confondre la nécessité métaphysique avec la nécessité morale. Voici ce que M. Bayle oppose à cette erreur: (Rép. au Provincial, ch. 89. p. 203.) »La conséquence de cette doctrine sera, »qu'avant que Dieu se déterminât à créer le Monde, il ne voyoit rien de mcilleur dans la vertu que dans le vice, et que ses idées ne lui montroient pas que la vertu fût plus digne de son amour que le vice. Cela ne laisse nulle distinction entre le droit naturel, et le droit positif; il n'y aura plus rien d'immuable, ou d'indispensable dans la mo»rale; il aura été aussi possible à Dieu de com»mander que l'on fût vicieux, que de commander »qu'on fût vertueux; et l'on ne pourra pas être | »assuré que les loix morales ne seront pas un jour »abrogées, comme l'ont été les loix cérémonielles des Juifs. Ceci, en un mot, nous mène tout droit »à croire que Dieu a été l'auteur libre, non-seule»ment de la bonté, de la vertu, mais aussi de la vérité et de l'essence des choses. Voilà ce »qu'une partie des Cartésiens prétendent, et j'avoue »que leur sentiment (voyez la Continuation des »>Pensées sur les Comètes pag. 554.) pourroit être »de quelque usage en certaines rencontres; mais »il est combattu par tant de raisons, et sujet à des conséquences si fâcheuses (voyez le ch. 152. de la même Continuation) qu'il n'y a guères d'extré»mités qu'il ne vaille mieux subir, que de se jeter »dans celle là. Elle ouvre la porte au Pyrrhonisme le plus outré; car elle donne licu de prétendre que »>cette proportion, trois et trois font six, n'est vraie qu'où et pendant le tems qu'il plait à Dieu: qu'elle est >>peut-être fausse dans quelques parties de l'Univers, et »que peut-être elle le sera parmi les hommes l'année »qui vient; tout ce qui dépend du libre arbitre de >>Dieu, pouvant avoir été limité à certains lieux et »à certains tems, comme les cérémonies Judaïques. »On étendra cette conséquence sur toutes les loix da »Décalogue, si les actions qu'elles commandent sont de leur nature aussi privées de toute bonté, que les actions qu'elles défendent.«

181. Et de dire que Dieu ayant résolu de créer l'homme tel qu'il est, il n'a pu n'en pas exiger la piété, la sobriété, la justice et la chasteté, parce qu'il est impossible que les désordres capables de bouleverser ou de troubler son ouvrage lui puissent plaire; c'est revenir en effet au sentiment commun. Les vertus ne sont vertus que parce qu'elles servent à la perfection, ou empêchent l'imperfection de ceux qui sont vertueux, ou même de ceux qui ont à faire à eux. Et elles ont cela par leur nature et par la nature des Créatures raisonnables, avant que Dieu décerne de les créer. D'en juger autre

́nient, ce seroit comme si quelqu'un disoit que les règles des proportions et de l'harmonie sont arbitraires par rapport aux Musiciens, parce qu'elles n'ont lieu dans la Musique, que lorsqu'on s'est résolu à chanter ou à jouer de quelque instrument. Mais c'est justement ce qu'on appelle essentiel à une bonne Musique; car elles lui conviennent déjà dans l'état idéal, lors-même que personne ne s'avise de chanter, puisqu'en l'on sait qu'elles lui doivent convenir nécessairement aussi-tôt qu'on chantera. Et de même les vertus conviennent à l'état idéal de la Créature raisonnable avant que Dieu décerne de la créer, et c'est pour cela même que nous soutenons que les vertus sont bonnes par leur nature.

§. 182. Mr. Bayle a mis un chapitre exprès dans sa continuation des Pensées diverses, (c'est le chap. 152.) ou il fait voir »que les Docteurs Chré>>tiens enseignent qu'il y a des choses qui sont »justes antécédemment aux décrets de Dieu.« Des Théologiens de la Confession d'Ausbourg ont blâmé quelques Réformés qui ont paru être d'un autre sentiment, et on a considéré cette erreur comme si elle étoit une suite du Décret absolu, dont la doctrine semble exempter la volonté de Dieu de toute sorte de raison, ubi stat pro ratione voluntas. Mais, comme je l'ai remarqué plus d'une fois ci-dessus, Calvin même a reconnu que les décrets de Dicu sont conformes à la justice et à la sagesse, quoique les raisons qui pourroient montrer cette conformité en détail, nous soient inconnues. Ainsi, selon lui, les règles de la bonté et de la justice sont antérieures aux décrets de Dieu. Mr. Bayle, au même endroit, cite un passage du célèbre Mr. Turretin, qui distingue les Loix Divines naturelles et les Loix Divines positives. Les morales sont de la première espèce, et les cérémonielles de la seconde. Mr. Samuel Des-Marests Théologien célèbre autrefois à Groningue, et Mr. Strimesius qui l'est encore à Francfort sur l'Oder, ont enseigné la même chose: et je crois que c'est le sentiment le plus reçu même parmi les Réformés. Thomas d'Acquin et tous les Thomistes ont été du même sentiment, avec le commun des Scolastiques et des Théologiens de l'Eglise Romaine. Les Casuistes en sont aussi: je compte Grotius entre les plus éminens parmi eux, et il a été suivi en cela par ses Commentateurs. Mr. Puffendorf a paru être d'une autre opinion, qu'il a voulu soutenir contre les censures de quelques Théologiens: mais il ne doit pas être compté, et il n'étoit pas entré assez avant dans ces sortes de matières. Il crie terriblement contre le décret absolu dans son Fecialis divinus, et cependant il approuve ce qu'il y a de pire dans les sentimens des défenseurs de ce décret et sans lequel ce décret

(comme d'autres Réformés l'expliquent) devient supportable. Aristote a été très-orthodoxe sur ce chapitre de la justice, et l'Ecole l'a suivi: elle distingue, aussi bien que Cicéron et les Jurisconsultes, entre le droit perpétuel, qui oblige tous et par-tout, et le droit positif, qui n'est que pour certains tems et certains peuples. J'ai lu autrefois avec plaisir l'Euthyphron de Platon, qui fait soutenir la vérité là-dessus à Socrate, et Mr. Bayle a remarqué be même passage.

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183. Il soutient lui-même cette vérité avec beaucoup de force en quelque endroit, et il sera bon de copier son passage tout entier, quelque long qu'il soit (Tom. II. de la Continuation des Pensées diverses ch. 152. p. 771. sqq.) »Selon la doctrine »d'une infinité d'Auteurs graves (dit-il) il y a dans la nature et dans l'essence de certaines choses un >>bien ou un mal moral qui précède le décret divin. >>Ils prouvent principalement cette doctrine par les >>conséquences affreuses du dogme contraire; car >>de ce que ne faire tort à personne seroit une >>bonne action, non pas en soi-même, mais par une >> disposition arbitraire de la volonté de Dien, il >>s'ensuivroit que Dieu auroit pu donner à l'honime >>une loi directement opposée en tous ses points aux >>commandemens du Décalogue. Cela fait horreur. >>Mais voici une preuve plus directe, et tirée de la >>Métaphysique. C'est une chose certaine, que >>l'existence de Dieu n'est pas un effet de sa vo>>lonté. Il n'existe point, parce qu'il veut exister, >>mais par la nécessité de sa nature infinie. >>puissance et sa science existent par la même ne»cessité. Il n'est pas tout-puissant, il ne connoit »pas toutes choses, parce qu'il le veut ainsi, mais >>parce que ce sont des attributs nécessairemerrt ⟫identifiés avec lui-même. L'empire de sa volonté >>ne regarde que l'exercice de sa puissance, il ne >>produit hors de lui actuellement que ce qu'il veut, >>et il laisse tout le reste dans la pare possibilité. >>De-là vient que cet empire ne s'étend que sur >>l'existence des créatures, il ne s'étend point aussi >>sur leurs essences. Dieu a pu créer la matière, »un homme, un cercle, ou les laisser dans le néant; >>mais il n'a pu les produire, sans leur donner leurs »propriétés essentielles. Il a fallu nécessairement »qu'il fit l'homme un animal raisonnable, et qu'il »donnât à un cercle la figure ronde, puisque, selon »ses idées éternelles et indépendantes des décrets >>libres de sa volonté, l'essence de l'homme con>>sistoit dans les attributs d'animal et de raisoma »ble, et que l'essence du cercle consistoit dans une >>circonférence également éloignée du centre quant »à toutes ses parties. Voilà ce qui a fait avouer

sanx Philosophes Chrétiens, que les essences des >choses sont éternelles, et qu'il y a des propositions »d'une éternelle vérité; et par conséquent que les >>essences des choses, et la vérité des premiers prin>cipes, sont immuables. Cela ne se doit pas seule >ment entendre des premiers principes théorétiques, mais aussi des premiers principes pratiques, et >>de toutes les propositions qui contiennent la vé»ritable définition des Créatures. Ces essences, ces »vérités émanent de la même nécessité de la nature, >>que la science de Dieu: comme donc c'est par la >>nature des choses que Dieu existe, qu'il est tout>>puissant, et qu'il connoit tout en perfection; c'est Яaussi par la nature des choses que la matière, que >>le triangle, que l'homme, que certaines actions >>de l'homme etc., ont tels et tels attributs essen>>tiellement. Dieu a vu de toute éternité et de toute »nécessité les rapports essentiels des nombres, et »l'identité de l'attribut et du sujet des propositions >>qui contiennent l'essence de chaque chose. Il a »vu de la même manière, que le terme juste est >>enfermé dans ceux-ci: estimer ce qui est estima>>ble, avoir de la gratitude pour son bienfaiteur, >>accomplir les conventions d'un contrat, et ainsi >>de plusieurs autres propositions de morale. On a >>done raison de dire que les préceptes de la Loi >>naturelle supposent l'honnêteté et la justice de ce »qui est commandé, et qu'il seroit du devoir de l'homme de pratiquer ce qu'ils contiennent, quand »même Dieu auroit cu la condescendance de n'or»donner rien là-dessus. Prenez garde, je vous prie, »qu'en remontant par nos abstractions à cet instant »idéal où Dieu n'a encore rien décreté, nous trou >>vons dans les idées de Dieu les principes de mo>>rale sous des termes qui emportent une obligation. >>Nous y concevons ces maximes comme certaines >>et dérivées de l'ordre éternel et immuable: il est »digne de la Créature raisonnable de se conformer »à la Raison; une Créature raisonnable qui se con»forme à la Raison est louable, elle est blåmable >>quand elle ne s'y conforme pas. Vous n'oseriez >>dire que ces vérités n'imposent pas un devoir à »l'homme par rapport à tous les actes conformes »à la droite Raison, tels que ceux-ci: il faut estimer >>tout ce qui est estimable: rendre le bien pour le >>bien: ne faire tort à personne: honorer son père: »rendre à un chacun ce qui lui est dû etc. Or >>puisque par la nature même des choses, et anté>>rieurement aux Loix divines, les vérités de mo>>rale imposent à l'homme certains devoirs; il est smanifeste que Thomas d'Acquin et Grotius ont pu dire que s'il n'y avoit point de Dieu, nous ne >>laisserions pas d'être obligés à nous conformer >>au Droit naturel. D'autres ont dit que quand

même tout ce qu'il y a d'Intelligences périroit, les »proposisions véritables demeureroient véritables. »Cajétan a soutenu que s'il restoit seul dans l'Uni»vers, toutes les autres choses sans nulle exception »ayant été anéanties, la science qu'il avoit de la »nature d'une rose ne laisseroit pas de subsister.«

184. Feu Mr. Jaques Thomasius, célèbre Professeur à Leipzig, n'a pas mal observé dans ses éclaircissemens des règles Philosophiques de Daniel Stahlius Professeur de Jéna, qu'il n'est pas à propos d'aller tout à-fait au delà de Dieu et qu'il ne faut point dire avec quelques Scotistes, que les vérités éternelles subsisteroient, quand il n'y auroit point d'Entendement, pas même celui de Dieu. Car c'est à mon avis l'Entendement Divin qui fait la réalité des vérités éternelles: quoique sa volonté n'y ait point de part. Toute réalité doit être fondée dans quelque chose d'existant. Il est vrai qu'uu Athée peu être Géomètre. Mais s'il n'y avoit point de Dieu, il n'y auroit point d'objet de la Géométrie. Et sans Dieu, non-seulement il n'y auroit rien d'existant, mais il n'y auroit même rien de possible. Cela n'empêche pas pourtant que ceux qui ne voient pas la liaison de toutes choses entre elles et avec Dieu, ne puissent entendre certaines Sciences, sans en connoître la première source qui est en Dieu. Aristote, quoiqu'il ne l'ait guères connu non plus, n'a pas laissé de dire quelque chose d'approchant et de très bon, lorsqu'il a reconnu que les principes des Sciences particulières dépendent d'uné Science supérieure qui en donne la raison; et cette Science supérieure doit avoir l'ètre, et par consé quent Dieu, source de l'être, pour objet. Mr. Dreier de Königsberg a bien remarqué que la vraie Métaphysique qu'Aristote cherchoit, et qu'il appelloit v novμévηv, son desideratum étoit la Théologie.

185. Cependant, le même Mr. Bayle, qui dit de si belles choses pour montrer que les règles de la bonté et de la justice, et les vérités éternelles en général, subsistent par leur nature, et non pas par un choix arbitraire de Dieu, en a parlé d'une manière fort chancelante dans un autre endroit (Continuat. des Pensées div. T. II. ch. 114. vers la fin). Après y avoir rapporté le sentiment de Mr. Descartes, et d'une partie de ses Sectateurs, qui sou+ tiennent que Dieu est la cause libre des vérités et des essences, il ajoute (p. 554.). »J'ai fait tout ≫ce que j'ai pu pour bien comprendre ce dogue, >>et pour trouver la solution des difficultés qui l'en»vironnent. Je vous confesse ingénucnicnt que je n'en suis pas venu encore tout-à-fait à bout. Cela »ne me décourage point; je m'imagine, comme ont >>fait d'autres Philosophes en d'autres cas, que le

>>tems dévoloppera ce beau paradoxe. Je voudrois »que le Père Mallebranche eut pu trouver bon de »le soutenir, mais il a pris d'autres mesures.« Estil possible que le plaisir de douter puisse tant sur un habile homme, que de lui faire souhaiter et de lui faire espérer de pouvoir croire que deux contradictoires no se trouvent jamais ensemble, que parce que Dieu le leur a défendu, et qu'il auroit pu leur donner un ordre qui les auroit toujours fait aller de compagnie? Le beau paradoxe que voilà! Le R. P. Mallebranche a fait fort sagement de prendre d'autres mesures.

nécessaire destituée de connoissance. J'avoue que cela se pourroit, si Dieu avoit préformé la matière comme il faut pour faire un tel effet par les scules loix du mouvement. Mais sans Dieu, il n'y auroit pas même aueune raison de l'existence, et moins encore de telle ou telle existence des choses: ainsi le système de Straton n'est point à craindre.

188. Cependant Mr. Bayle s'en embarrasse: il ne veut point admettre les natures plastiques destituées de connoissance, que Mr. Cudworth et autres avoient introduites; de peur que les Stratoniciens modernes, c'est-à-dire les Spinosistes, n'en profitent. C'est ce qui l'engage dans des disputes avec Mr. le Clerc. Et prévenu de cette erreur, qu'une cause non intelligente ne sauroit rien produire où il paroisse de l'artifice, il est éloigné de m'accorder la préformation, qui produit naturellemnnnt les organes des animaux, et le Système d'une har

pour les faire répondre par leurs propres loix aux pensées et aux volontés des âmes. Mais il falloit considérer que cette cause non-intelligente qui produit de si belles choses dans les graines et dans les semences des plantes et des animaux, et qui produit les actions des corps comme la volonté les ordonne, a été formée par les mains de Dieu, infiniment plus habile qu'un Horloger, qui fait pourtant des machines et des automates capables de produire d'assez beaux effets, comme s'ils avoient de l'intelligence.

186. Je ne saurois même m'imaginer que Mr. Descartes ait pu être tout de bon de ce sentiment quoiqu'il ait eu des Sectateurs qui ont cu la facilité de le croire, et de le suivre bonnement où il ne faisoit que semblant d'aller. C'étoit apparemment un de ses tours, une de ses ruses Philosophiques: il se préparoit quelque échappatoire, comme lors-monie que Dieu ait préétablie dans les corps, qu'il trouva un tour pour nier le mouvement de la Terre, pendant qu'il étoit Copernicien à outrance. Je soupçonne qu'il a eu en vue ici une autre manière de parler extraordinaire, de son invention, qui étoit de dire que les affirmations et les négations, et généralement les jugemens internes, sont des opérations de la volonté. Et par cet artifice, les vérités éternelles, qui avoient été jusqu'à cet Auteur un objet de l'entendement divin, sont devenues tout d'un coup un objet de sa volonté. Or les actes de la volonté sont libres, donc Dieu est la cause libre des vérités. Voilà le dénouement de la Pièce. Spectatum admissi. Un petit changement de la signification des termes a causé tout ce fracas. Mais si les affirmations des vérités nécessaires étoient des actions de la volonté du plus parfait Esprit, ces actions ne seroient rien moins que libres, car il n'y a rien à choisir. Il paroît que Mr. Descartes ne s'expliquoit pas assez sur la nature de la liberté, et qu'il en avoit une notion assez extraordinaire, puisqu'il lui donnoit une si grande étendue, jusqu'à vouloir que les affirmations des vérités nécessaires étoient libres en Dieu. C'étoit ne garder que le nom de la liberté.

187. Mr. Bayle, qui l'entend avec d'autres d'une liberté d'indifférence, que Dieu avoit eue d'établir (par exemple) les vérités des nombres, et d'ordonner que trois fois trois fissent neuf, au lieu qu'il leur eut pu enjoindre de faire dix, conçoit dans une opinion si étrange, s'il y avoit moyen de la défendre, je ne sais quel avantage contre les Stratoniciens. Straton a été un des Chefs de l'Ecole d'Aristote et successeur de Théophraste; il a soutenu (au rapport de Cicéron) que ce Monde avoit été formé tel qu'il est par la Nature, ou par une cause

189. Or pour venir à ce que Mr. Bayle appré hende des Stratoniciens, en cas qu'on admette des vérités indépendantes de la volonté de Dien: il semble craindre qu'ils ne se prévalent contre nous de la parfaite régularité des vérités éternelles: car cette régularité ne venant que de la nature et de la nécessité des choses, sans être dirigée par aucune connoissance, Mr. Bayle craint qu'on en pourroit inférer avce Straton, que le Monde a pu aussi devenir régulier par une nécessité aveugle. Mais il est aisé d'y répondre: Dans la région des vérités éternelles se trouvent tous les possibles, et par conséquent, tant le régulier, que l'irrégulier: il faut qu'il y ait une raison qui ait fait préferer l'ordre et le régulier, et cette raison ne peut être trouvée que dans l'entendement. De plus, ces vérités mêmes ne sont pas sans qu'il y ait un entendement qui en prenne connoissance; car elles ne subsisteroient point, s'il n'y avoit un entendement Divin, où elles se trouvent réalisées, pour ainsi dire. C'est pourquoi Straton ne vient pas à son but, qui est d'exclure la connoissance de ce qui entre dans l'origine des choses.

190. La difficulté que Mr. Bayle s'est figurée

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