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M. Descartes revient à la distinction entre la volonté du sigue et la volonté du bonplaisir (inter voluntatem signi et beneplacti) que les Modernes ont prise des Scolastiques, quant aux termes, mais à laquelle ils ont donné un sens qui n'est pas ordinaire chez les Anciens. Il est vrai que Dieu peut commander quelque chose, sans vouloir que cela se fasse, comme lorsqu'il commanda à Abraham de sacrifier son fils: il vouloit l'obéissance, et il ne vouloit point l'action. Mais lorsque Dieu commande l'action vertueuse et défend le péché, il veut véritablement ce qu'il ordonne, mais ce n'est que par une volonté antécedente, comme je l'ai expliqué plus d'une fois.

165. La comparaison de M. Descartes n'est donc point satisfaisante, mais elle le peut devenir. Il faudroit changer un peu le fait, en inventant quelque raison qui obligcât le Prince à faire ou à permettre que les deux ennemis se rencontrassent. Il faut, par exemple, qu'ils se trouvent ensemble à l'Armée, ou en d'autres fonctions indispensables, ce que le Prince lui-même ne peut empêcher sans exposer son Etat, comme par exemple, si l'absence de fun ou de l'autre étoit capable de faire éclipser de l'Armée quantité de personnes de son parti, ou feroit murmurer les Soldats, et causeroit quelque grand désordre. En ce cas done, on peut dire que le Prince ne veut point le duel: il le sait, mais il le permet expendant, car il aime mieux permettre le péché d'autrui, que d'en commettre un lui-même. Ainsi cette comparaison rectifiée peut servir, pourvu qu'on remarque la différence qu'il y a entre Dieu et le Prince. Le Prince est obligé à cette permission par son impuissance; un Monarque plus puissant n'auroit point besoin de tous ces égards: mais Dieu, qui peut tout ce qui est possible, ne permet le péché que parcequ'il est absolument impossible à qui que ce soit de mieux faire. L'action du Prince n'est peut-être point sans chagrin et sans regret. Ce regret vient de son imperfection, dont il a le sentiment; c'est en quoi consiste le déplaisir. Dieu est incapable d'en avoir, et n'en trouve pas aussi de sujet; il sent inflniment sa propre perfection, et même l'on peut dire que l'imperfection dans les Créatures détachées lui tourne en perfection par rapport au tout, et qu'elle est un sureroît de gloire pour le Créateur. Que peut-on vouloir de plus, quand on possède une sagesse immense, et quand on est aussi puissant que sage; quand on peut tout, et quand on a le meilleur ?

166. Après avoir compris ces choses, il me semble qu'on est assez aguerri contre les objections les plus fortes et les plus animées. Nous ne les avons point dissimulées: mais il y en a quelques

unes que nous ne ferons que toucher, parcequ'elles sont trop odieuses. Les Remontrans et M. Bayle (Rép. au Provinc. chap. 152. fin. pag. 919. Tom. III.) allèguent S. Augustin, disant, crudelem esse misericordiam velle aliquem miserum esse ut ejus miserearis: on cite dans le même sens Séneq. de Benef. L. 6. c. 36. 37. J'avoue qu'on auroit quelque raison d'opposer cela à ceux qui croiroient que Dieu n'a point eu d'autre cause de permettre le péché, que le dessein d'avoir de quoi exercer la justice punitive contre la plupart des hommes, et sa miséricorde envers un petit nombre d'élus. Mais il faut juger que Dieu a eu des raisons de sa permission du péché, plus dignes de lui, et plus profondes par rapport à nous. a osé comparer encore le procédé de Dieu à celui d'un Caligula, qui fait écrire ses Edits d'un caractère si menu, et les fait afficher dans un lieu si élevé, qu'il n'est pas possible de les lire; à celui d'une mère qui néglige l'honneur de sa fille, pour parvenir à ses fins intéressées; à celle de la Reine Cathérine de Médicis, qu'on dit avoir été complice des galanteries de ses Demoiselles, pour apprendre les intrigues des Grands; et même à celle de Tibère, qui fit en sorte, par le ministère extraordinaire du bourreau, que la loi qui défendoit de soumettre une pucelle au supplice ordinaire, n'eût alors point de lieu dans la fille de Séjan. Cette dernière comparaison a été mise en avant par Pierre Bertius, Arminien alors, mais qui a été enfin de la Communion Romaine. Et on a fait un parallèle choquant entre Dieu et Tibère, qui est rapporté tout au long par M. André Caroli, dans son Memorabilia Ecclesiastica du siècle passé, comme M. Bayle le remarque. Bertius l'a employé contre les Gomaristes. Je crois que ces sortes d'argumens n'ont licu que contre ceux qui prétendent que la justice est une chose arbitraire par rapport à Dieu; ou qu'il a un pouvoir despotique, qui peut aller jusqu'à pouvoir damner des innocens; ou enfin, que le bien n'est pas le motif de ses actions.

167. L'on fit en ce même tems une satire ingénieuse contre les Gomaristes, intitulée Fur prac destinatus, De gepredestineerde Dief, où l'on introduit un voleur condamné à être pendu, qui attribue à Dieu tout ce qu'il a fait de mauvais, qui se croit prédestiné au salut nonobstant ses méchantes actions, qui s'imagine que cette créance lui suffit, et qui bat par des argumens ad hominem un Ministre Contreremontrant appelé pour le préparer à la mort: mais ce volcur est enfin converti par un ancien Pasteur déposé à cause de l'Arminianisme, que le geolier ayant pitié du criminel, et de la foiblesse du Ministre, lui avoit amené en ca

chette. On a répondu à ce libelle, mais les répon- | ses aux satires ne plaisent jamais autant que les satires mêmes. M. Bayle (Rép. au Provinc. ch. 154. T. III. p. 938.) dit que ce Livre fut imprimé en Angleterre du tems de Cromwel, et il paroît n'avoir pas été informé que ce n'a été qu'une traduction de l'original Flamand bien plus ancien. I ajoute que le Docteur George Kendal en donna la réfutation à Oxford l'an 1657, sous le titre de Fur pro Tribunali, et que le dialogue y est inséré. Ce dialogue présuppose contre la vérité, que les Contreremontrans font Dieu cause du mal, et enseignent une espèce de Prédestination à la Mahométane, où il est indifférent de faire bien ou mal, et où il suffit pour être prédestiné, de s'imaginer qu'on l'est. Ils n'ont garde d'aller si loin; cependant il est vrai qu'il y a parmi eux quelques Supralapsaires, et autres, qui ont de la peine à se bien expliquer sur la justice de Dieu, et sur les principes de la piété et de la morale de l'homme, parce qu'ils conçoivent un despotisme en Dieu, et demandent que l'homme se persuade sans raison la certitude absolue de son élection, ce qui est sujet à des suites dangereuses. Mais tous ceux qui reconnoissent que Dieu produit le meilleur plan, qu'il a choisi entre toutes les idées possibles de l'Univers; qu'il y trouve l'homme porté par l'imperfection originale des Créatures à abuser de son libre-arbitre et à se plonger dans la misère; que Dieu empêche le péché et la misère, autant que la perfection de l'Univers, qui est un écoulement de la sienne, le peut permettre; ceux-là, dis-je, font voir plus distinctement que l'intention de Dieu est la plus droite et la plus sainte du monde, que la Créature scule est coupable, que sa limitation ou imperfection originale est la source de sa malice, que sa mauvaise volonté est la seule cause de sa misère, qu'on ne sauroit être destiné au salut sans l'être aussi à la sainteté des enfans de Dieu, et que toute l'espérance qu'on peut avoir d'être élu, ne peut être fondée que sur la bonne volonté qu'on se sent par la grace de Dieu.

168. L'on oppose encore des considérations métaphysiques à notre explication de la cause morale du mal moral; mais elles nous embarrasscront moins, puisque nous avons écarté les objections tirées des raisons morales, qui frappoient davantage. Ces considérations métaphysiques regardent la nature du possible et du nécessaire: elles vont contre le fondement que nous avons posé, que Dieu a choisi le meilleur de tous les Univers possibles. Il y a eu des Philosophes qui ont soutenu qu'il n'y a rien de possible, que ce qui arrive effectivement. Ce sont les mêmes qui

ont cru, ou ont pu croire, que tout est nécessaire absolument. Quelques uns ont été de ce sentiment, parce qu'ils admettoient une nécessité brute et avengle, dans la cause de l'existence des choses: et ce sont ceux que nous avons le plus de sujet de combattre. Mais il y en a d'autres qui ne se trompent que parce qu'ils abusent des termes. Ils confondent la nécessité morale avec la nécessité métaphysique: ils s'imaginent que Dieu no pouvant point manquer de faire le mieux, cela lui ôte la liberté, et donne aux choses cette nécessité, que les Philosophes et les Théologiens tâchent d'éviter. Il n'y a qu'une dispute de mots avec ces Auteurs-là, pourvu qu'ils accordent effectivement que Dieu choisit et fait le meilleur. Mais il y en a d'autres qui vont plus loin, il croient que Dieu auroit pu mieux faire; et c'est un sentiment qui doit être rejeté: car quoiqu'il n'ôte pas tout-à-fait la sagesse et la bonté à Dieu, comme font les Auteurs de la nécessité aveugle, il y met des bornes; ce qui est donner atteinte à sa suprême perfection.

169. La question de la possibilité des choses qui n'arrivent point, a déjà été examiné par les Anciens. Il paroît qu'Epicure, pour conserver la liberté et pour éviter une nécessité absolue, a soutenu après Aristote, que les futurs contingens n'étoient point capables d'une vérité déterminée. Car s'il étoit vrai hier que j'écrirois aujourd'hui, il ne pouvoit donc point manquer d'arriver, il étoit déjà nécessaire; et par la même raison, il l'étoit de toute éternité. Ainsi tout ce qui arrive est néces saire, et il est impossible qu'il en puisse aller autrement. Mais cela n'étant point, il s'ensuivroit, selon lui, que les futurs contingens n'ont point de vérité déterminée. Pour soutenir ce sentiment, Epicure se laissa aller à nier le premier et le plus grand priucipe des vérités de raison, il nioit que toute énonciation fût ou vraie ou fausse. Car voici comment on le poussoit à bout: Vous niez qu'il fût vrai hier que j'écrirois aujourd'hui, il étoit donc faux. La bon-homme ne pouvant admettre cette conclusion, fut obligé de dire qu'il n'étoit ni vrai ni faux. Après cela, il n'a point besoin d'être réfuté, et Chrysippe se pouvoit dispenser de la peine qu'il prenoit de confirmer le grand principe des Contradictoires, suivant le rapport de Cicéron, dans son Livre de Fato: >>Contendit omnes nervos Chrysip»pus ut persuadeat omne 'Agiwo aut verum esse, >>aut falsum. Ut enim Epicurus veretur ne, si hoë

concesserit, concedendum sit, fato fieri quaecun>>que fiant; si enim alterum ex aeternitate verum >>sit, esse id etiam certum; si certum, etiam neœ>

sarium; ita et necessitatem et fatum confirmari »putat; sic Chrysippus metuit, ne non, si non ob

>tinuerit omne quod enuncietur aut verum esse aut >falsum, omnia fato fieri possint ex causis aeternis »rerum futurarum.« M. Bayle remarque (Diction. articl. Epicure lett. T. p. 1141.) »que ni l'un ni l'autre »de ces deux grands Philosophes (Epicure et Chry>>sippe) n'a compris que la vérité de cette maxime, stoute proposition est vraie ou fausse, >est indépendante de ce qu'on appelle fatum: elle »ne pouvoit done point servir de preuve à l'exi>>stence du fatum, comme Chrysippe le préten>>doit, et comme Epicure le craignoit. Chrysippe »n'eût pu accorder sans se faire tort, qu'il y a des >>propositions qui ne sont ni vraies, ni fausses; mais wil ne gagnoit rien à établir le contraire: car soit »qu'il y ait des causes libres, soit qu'il n'y en ait >>point, il est également vrai que cette proposition »le Grand Mogol ira demain à la chasse, West vraie ou fausse. On a eu raison de considérer »comme ridicule ce discours de Tirésias, »>>>tout ce »»que je dirai arrivera, ou non, car le grand Apol»»lon me confère la faculté de prophétiser.«« »Si >par impossible il n'y avoit point de Dieu, il se>>roit pourtant certain, que tout ce que le plus grand »fou du monde prédiroit, arriveroit ou n'arriveroit >>pas. C'est à quoi ni Chrysippe, ni Epicure ne >>prenoient pas garde.« Cicéron, lib. 1. de Nat. Deorum, a très-bien jugé des échappatoires des Epicuriens (comme M. Bayle le remarque vers la fin de la même page) qu'il seroit beaucoup moins honteux d'avouer que l'on ne peut pas répondre à son adversaire, que de recourir à de semblables réponses. Cependant nous verrons que M. Bayle lui-même a confondu le certain avec le nécessaire, quand il a prétendu que le choix du meilleur rendoit les choses nécessaires.

venire. Nunc vide, ntra te xpiơi magis delectet, Xovoinnia ne, an hace; quam noster Diodorus »(un Stoïcien qui avoit logé long-tems chez Cicéron) »non concoquebat. >>>>Ceci est tiré d'une lettre que >>>>Cicéron écrivit à Varron. Il expose plus ample»>»ment tout l'état de la question dans le petit Livre »de Fato. J'en vais citer quelques morceaux.«« Vigila, Chrysippe, ne tuam causam, in qua tibi cum >>Diodoro valente Dialectico magna luctatio est, »deseras........ omne quod falsum dicitur in futuro, id fieri non potest. At hoc, Chrysippe, minime vis, >>maximeque tibi de hoc ipso cum Diodoro certa>>men est. Ille enim id solum fieri posse dicit, quod aut sit verum, aut futurum sit verum; et quic»quid futurum sit, id dicit fieri necesse esse; et »>quicquid non sit futurum, id negat fieri posse. Tu »etiam quae non sint futura, posse fieri dicis, ut »frangi hanc gemmam, etiamsi id nunquam futu>>rum sit: neque necesse fuisse Cypselum regnare »Corinthi, quamquam id millesimo ante anno Apol»linis Oraculo editum esset... Placet Diodoro, id >>solum fieri posse, quod aut verum sit, aut verum

futurum sit: qui locus attingit hanc quaestionem, »nihil fieri, quod non necesse fuerit: et quicquid fieri possit, id aut esse jam, aut futurum esse: nec »magis commutari ex veris in falsa ea posse quae >>futura sunt, quam ea quae facta sunt: sed in fac»tis immutabilitatem apparere; in futuris quibusdam, quia non apparent, ne inesse quidem videri: »ut in eo qui mortifero morbo urgeatur, verum »sit, hic morietur hoc morbo: at hoc idem si vere »dicatur in eo, in quo tanta vis morbi non appa»reat, nihilomnius futurum sit. Ita fit ut commuta»tio ex vero in falsum, ne in futuro quidem ulla >>fieri possit. Cicéron fait assez comprendre que »Chrysippe se trouvoit souvent embarrassé dans >>cette dispute, et il ne s'en faut pas étonner: car le parti qu'il avoit pris n'étoit point lié avec son »dogme de la Destinée, et s'il eût osé raisonner

170. Venons maintenant à la possibilité des choses qui n'arrivent point, et donnons les propres paroles de M. Bayle, quoiqu'un peu prolixes. Voici comment il en parle dans son Dictionnaire (article Chrysippe let. S. p. 929.) »La très fameuse dis->>conséquemment, il eût adopté de bon coeur toute >>pute des chosee possibles et des choses impossibles >>devoit sa naissance à la doctrine des Stoïciens tou>>chant le Destin. Il s'agissoit de savoir, si parmi >>Ies choses qui n'ont jamais été et qui ne seront »jamais, il y en a de possibles; ou si tout ce qui »n'est point, tout ce qui n'a jamais été, tout ce »qui ne sera jamais, étoit impossible. Un fameux >>Dialection de la secte de Mégare nommé Diodore >>prit la négative sur la première de ces deux ques. >>tions, et l'affirmative sur la seconde; mais Chry>>sippe le combattit fortement. Voici deux passages »de Cicéron (epist. 4. lib. 9. ad familiar.), ɛi δυνατών me srito κατὰ Διόδωρον κρίνειν. >>Quapropter si venturus es, scito necesse esse te

»>l'hypothèse de Diodore. On a pu voir ci-dessus »que la liberté qu'il donnoit à l'âme, et sa com»paraison du cylindre, n'empêchoient pas qu'au fond tous les actes de la volonté humaine nc fussent des suites inévitables du Destin; d'où il résulte que tout ce qui n'arrive pas est impos»sible, et qu'il n'y a rien de possible que se qui se fait actuellement. Plutarque (de Stoïcor. re»pugn. pag. 1053. 1054.) le bat en ruine, tant »sur cela, que sur sa dispute avec Diodore, et lui >>soutient que son opinion de la possibilité est tout»à-fait opposée à la doctrine du fatum. Remar»quez que les plus illustres Stoïciens avoient écrit »sur cette matière sans suivre la même route. Ar

171. Le fameux Pierre Abélard a été d'un sen

»rien (in Epict. lib. 2. c. 29. p. m. 166.) en a Mais il y a cette différence, qu'il n'est point pos»nominé quatre, qui sont Chrysippe, Cléanthe, Ar-sible d'agir sur l'état passé, c'est une contradiction; >>chidème et Antipater. Il témoigne un grand mé-mais il est possible de faire quelque effet sur l'ave>>pris pour cette dispute, et il ne falloit pas que nir: cependant la nécessité hypothétique de l'an et >>M. Ménage le citât comme un Ecrivain qui avoit de l'autre est la même; l'un ne peut pas être changé, »parlé (citatur honorifice apud Arrianum Menag. l'autre ne le sera pas: et cela posé, il ne pourra yin Laërt. I. 7. 341.) honorablement de l'ouvrage pas être changé non plus. *de Chrysippe περὶ δυνατῶν, car assurement ces paroles, γέγραφε δὲ καὶ Χρύσιππος θαυμα» etc. de his rebus mira scripsit Chrysippus etc. >>ne sont point en ce lieu-là un éloge. Cela paroît >>par ce qui précède et par ce qui suit. Denys d'Ha>>licarnasse (de collocat. verbor. c. 17. p. m. 11.) >>fait mention de deux Traités de Chrysippe, où >>sous un titre qui promettoit d'autres choses, on »avoit battu bien du pays sur les terres des Logi>>ciens. L'Ouvrage étoit intutilé nepi Ts Ouvrά»EWS TWV TO λóyou peoŵr, de partium ora>>tionis collocatione, et ne traitoit que des propo>>sitions vraies et fausses, possibles et impossibles, >>contingentes, et ambiguës etc. matière que nos >>Scolastiques ont bien rebattue et bien quintessen>>tiée. Notez que Chrysippe reconnut que les choses >>passées étoient nécessairement véritables, ce que >>Cléanthe n'avoit point voulu admettre. (Arrian. »ubi supra p. m. 165.) 'Ou năv de nagɛλŋkuστὸς ἀληθὲς ἀναγκαῖον ἐςὶ, καθάπερ οἱ Υπερὶ Κλεάνθην φέρεσθαι δοκοῦσι. Non »omne practeritum ex necessitate verum est, ut illi >>qui Cleanthem sequuntur sentiunt. Nous avons »va (pag. 562. col. 2.) si-dessus qu'on a prétendu »qu'Abélard enseignoit une doctrine qui ressemble yà celle de Diodore. Je crois que les Stoïciens s'en»gagèrent à donner plus d'étendue aux choses pos>>sibles, qu'aux choses-futures, afin d'adoucir les >>conséquences odieuses et affreuses que l'on tiroit »de leur dogme de la fatalité.<<

Il paroit assez que Cicéron écrivant à Varron cc qu'on vient de copier (lib. 9. Ep. 4. ad familiar.) ne comprenoit pas assez la conséquence de l'opinion de Diodore, puisqu'il la trouvoit préférable. Il représente assez bien les opinions des Auteurs dans son Livre de fato, mais c'est dommage qu'il n'a pas toujours ajouté les raisons dont ils se servoient. Plutarque dans son Traité des contradictions des Stoïciens et M. Bayle s'étonnent que Chrysippe n'étoit pas du sentiment de Diodore, puisqu'il favorise la fatalité. Mais Chrysippe, et même son maître Cléanthe, étoient là-dessus plus raisonnables qu'on ne pense. On le verra ci-dessous. C'est une question, si le passé est plus nécessaire que le futur. Cléanthe a été de ce sentiment. On objecte qu'il est nécessaire ex hypothesi que le futur arrive, comme il est nécessaire ex hypothesi que le passé soit arrivé.

timent approchant de celui de Diodore, lorsqu'il a dit que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait. C'étoit la troisième des quatorze propositions tirées de ses Ouvrages, qu'on censura dans le Concile de Sens. On l'avoit tirée de son troisième Livre de l'Introduction à la Théologie, où il traite particulièrement de la puissance de Dieu. La raison qu'il en donnoit, étoit que Dieu ne peut faire que ce qu'il vent: or il ne peut pas vouloir faire autre chose que ce qu'il fait, parcequ'il est nécessaire qu'il veuille tout ce qui est convenable: d'où il s'ensuit que tout ce qu'il ne fait pas n'est pas convenable, qu'il ne peut pas le vouloir faire, et par conséquent qu'il ne peut pas le faire. Abelard avoue lui-même que cette opinion lui est particulière, que presque personne n'est de ce sentiment, qu'elle semble contraire à la doctrine des Saints et à la Raison, et déroger à la grandeur de Dieu. Il paroît que cet Auteur avoit un peu trop de penchant à peuser autrement que les autres: car dans le fond, ce n'étoit qu'une logomachie, il changeoit l'usage des termes. La puissance et la volonté sont des facultés différentes, et dont les objets sont différens aussi; c'est les confondre, que dire que Dieu ne peut faire que ce qu'il veut. Tout au contraire, entre plusieurs possibles, il ne veut que ce qu'il trouve le meilleur. Car on considère tous les possibles comme les objets dé la puissance, mais on considère les choses actnelles et existantes comme les objets de sa volonté décrétoire. Abélard l'a reconnu lui-même. Il se fait cette objection: Un réprouvé peut être sauvé; mais il ne le sauroit être, que Dieu ne le sauve. Dieu peut donc le sauver, et par conséquent faire quelque chose qu'il ne fait pas. Il y répond, que l'on peut bien dire que cet homme peut-être sauvé par rapport à la possibilité de la nature humaine, qui est capable du salut: mais que l'on ne peut pas dire que Dieu peut le sauver par rapport à Dien même, parce qu'il est impossible que Dieu fasse ee qu'il ne doit pas faire. Mais puisqu'il avoue qu'on peut fort bien dire en un sens, absolument parlant et mettant à part la supposition de la réprobation, qu'un tel qui est réprouvé, peut être sauvé; et qu'ainsi souvent ce que Dieu ne fait pas, peut être fait; il pouvoit donc parler comme les autres qui ne l'entendent pas autrement, quand ils disent que

Dieu pent sauver cet homme, et qu'il peut faire ce qu'il ne fait pas.

172. Il semble que la prétendue nécessité de Wiclef, condamnée par le Concile de Constance, no vient que de ce même mal-entendu. Je crois que les habiles gens font tort à la vérité et à euxmêmes, lorsqu'ils affectent d'employer sans sujet des expressions nouvelles et choquantes. De nos jours, le fameux M. Hobbes a soutenu cette même opinion, que ce qui n'arrive point est impossible. Il la prouve, parce qu'il n'arrive jamais que toutes les conditions requises à une chose qui n'existera point (omnia rei non futurae requisita) se trouvent ensemble: or la chose ne sauroit exister sans cela. Mais qui ne voit que cela ne prouve qu'une impossibilité hypothétique? Il est vrai qu'une chose ne sanroit exister, quand une condition requise y manque. Mais comme nous prétendons pouvoir dire que la chose peut exister, quoiqu'elle n'existe pas; nous prétendons de même pouvoir dire que les conditions requises peuvent exister, quoiqu'elles n'existent point. Ainsi l'argument de M. Hobbes laisse la chose où elle est. Cette opinion qu'on a eue de T. Hobbes, qu'il enseignoit une nécessité absolue de toutes choses, la fort décrié, et lui auroit fait du tort, quand même c'eût été son unique

erreur.

173. Spinosa est allé plus loin: il paroît avoir enseigué expressément une nécessité aveugle, ayant refusé l'entendement et la volonté à l'Auteur des choses, et s'imaginant que le bien et la perfection n'ont rapport qu'à nous, et non pas à lui. Il est vrai que le sentiment de Spinosa sur ce sujet a quelque chose d'obscur. Car il donne la pensée à Dieu, après lui avoir ôté l'entendement, cogitationem, non intellectum concedit Deo. Il y a même des endroits, où il se radoucit sur le point de la nécessité. Cependant, autant qu'on le peut comprendre, il ne reconnoît point de bonté en Dieu, à proprement parler, et il enseigne que toutes les choses existent par la nécessité de la nature Divine, sans que Dieu fasse aucun choix. Nous ne nous amuserons pas ici à réfuter un sentiment si mauvais et même si inexplicable. Et le nôtre est établi sur la nature des possibles; c'est-à-dire des choses qui n'impliquent point de contradiction. Je ne crois point qu'an Spinosiste dise que tous les Romans qu'on peut imaginer, existent réellement à présent, ou ont existé, ou existeront encore dans quelque endroit de l'Univers: cependant on ne sauroit nier que des Romans, comme ceux de Mademoiselle de Scudéry, ou comme l'Octavia, ne soient possibles. Opposons lai donc ces paroles de M. Bayle, qui sont assez à mon gré, p. 390. »C'est 1. go § 177 Jacobi Lefe d. Spind. 157.

aujourd'hui (dit-il) un grand embarras pour les >>Spinosistes, que de voir que selon leur hypothèse vil a été aussi impossible de toute éternité que »Spinosa, par exemple, ne mourût pas à la Haie, qu'il est impossible que deux et deux soient six. Ils sentent bien que c'est une conséquence néces»saire de leur doctrine, et une conséquence qui re»bute, qui effarouche, qui soulève les esprits par »>l'absurdité qu'elle renferme, diamétralement op»posée au sens commun. Ils ne sont pas bien-aises que l'on sache qu'ils renversent une maxime aussi »>universelle et aussi évidente que celle-ci: Tout ce »qui implique contradiction est impossible, et tout ce qui n'implique point contradiction est possible.

174. On peut dire de M. Bayle: Ubi bene, nemo melius, quoiqu'on ne puisse pas dire de lui, ce qu'on disoit d'Origène, ubi male, nemo pejus. J'ajouterai seulement que ce qu'on vient de marquer comme une maxime, est même la définition du possible et de l'impossible. Cependant M. Bayle y joint ici un mot sur la fin, qui gâte un peu ce qu'il a dit avec tant de raison. »Or »quelle contradiction y auroit-il en ce que Spinosa »>seroit mort à Leide? la nature auroit-elle été >>moins parfaite, moins sage, moins puissante?<< Il confond ici ce qui est impossible, parce qu'il implique contradiction, avec ce qui ne sauroit arriver, parcequ'il n'est pas propre à être choisi. Il est vrai qu'il n'y auroit point eu de contradiction dans la supposition que Spinosa fût mort à Leide, et non pas à la Haie; il n'y avoit rien de si possible: la chose étoit donc indifférente par rapport à la puissance de Dieu. Mais il ne faut pas s'imaginer qu'aucun événement, quelque petit qu'il soit, puisse être conçu comme indifférent par rapport à sa sagesse et à sa bonté. Jésus-Christ a dit divinement bien, que tout est compté jusqu'aux cheveux de notre tête. Ainsi la sagesse de Dieu ne permettoit pas que cet événement dont M. Bayle parle, arrivât autrement qu'il n'est arrivé; non pas comme si par lui-même il eut mérité davantage d'être choisi, mais à cause de sa liaison avec cette suite entière de l'Univers qui a mérité d'être préférée. Dire que ce qui est arrivé n'intéressoit point la sagesse de Dieu, et en inférer qu'il n'est donc pas nécessaire; c'est supposer faux et en inférer mal une conclusion véritable. C'est confondre ce qui est nécessaire par une nécessité morale, c'est-à-dire par le principe de la Sagesse et de la Bonté, avec ce qui l'est par une nécessité métaphysique et brute, qui a lieu lorsque le contraire implique contradiction. Aussi Spinosa cherchoit-il une nécessité métaphysique dans les événemens, il ne croyoit pas que Dieu fût déterminé par sa bonté et par sa perfection, (que cet

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