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veilleux artifice de l'Auteur: mais le Genre-humain, entant qu'il nous est connu, n'est qu'un fragment, qu'une petite portion de la Cité de Dieu, ou de la République des Esprits. Elle a trop d'étendue pour nous, et nous en connoissons trop peu, pour en pouvoir remarquer l'ordre merveilleux. >>L'Homme >>seul, (dit Mr. Bayle) ce chef-d'oeuvre de son Créa>>teur entre les choses visibles, l'homme seul, dis-je, >>fournit de très grandes objections contre l'unité »de Dieu.<< Claudien a fait la même remarque, en déchargeant son coeur par ces vers connus:

Saepe mihi dubian traxit sententia mentem etc. Mais l'Harmonie qui se trouve dans tout le reste, est un grand préjugé qu'elle se trouveroit encore dans le gouvernement des hommes, et généralement dans celui des esprits, si le total nous en étoit connu. Il faudroit juger des Ouvrages de Dieu aussi sagement que Socrate jugea de ceux d'Héraclite en disant: Ce que j'en ai entendu me plaît, je crois que le reste ne me plairoit pas moins, si je l'entendois. 147. Voici encore une raison particulière du désordre apparent dans ce qui regarde l'homme. C'est que Dieu lui fait présent d'une image de la Divinité, en lui donnant l'intelligence. Il le laisse faire en quelque façon dans son petit département, ut Spartam quam nactus est ornet. Il n'y entre que d'une manière occulte, car il fournit être, force, vie, raison, sans se faire voir. C'est-là où le franc-arbitre joue son jeu: et Dieu se joue (pour ainsi dire) de ces petits Dieux qu'il a trouvé bon de produire, comme nous nous jouons des enfans qui se font des occupations que nous favori sons ou empêchons sous main comme il nous plaît. L'Homme y est donc comme un petit Dieu dans son propre Monde, ou Microcosme, qu'il gouverne à sa mode: il y fait merveilles quelquefois, et son art imite souvent la nature.

Jupiter in parvo cum cerneret aethera vitro,
Risit, et ad Superos talia dicta dedit:
Huccine mortalis progressa potentia, Divi?
Jam meus in fragili luditur orbe labor.
Jura poli rerumque fidem legesque Deorum
Cuneta Syracusius transtulit arte Senex.
Quid falso insontem tonitru Salmonea miror?

Aemula Naturae est parva reperta manus. Mais il fait aussi de grandes fautes, parce qu'il s'abandonne aux passions, et parce que Dieu l'abandonne à son sens: il l'en punit aussi, tantôt comme un Père ou Précepteur, exerçant ou châtiant les enfans; tantôt comme un juste Juge, punissant ceux qui l'abandonnent: et le mal arrive le plus souvent quand ces intelligences ou leurs petits Mondes se choquent entre eux. L'homme s'en trouve mal, à mesure qu'il a tort; mais Dieu, par un art

merveilleux, tourne tous les défauts de ces petits Mondes au plus grand ornement de son grand Monde. C'est comme dans ces inventions de perspective, où certains beaux desseins ne paroissent que confusion, jusqu'à ce qu'on les rapporte à leur vrai point de vue, ou qu'on les regarde par le moyen d'un certain verre ou miroir. C'est en les plaçant et s'en servant comme il faut, qu'on les fait devenir l'ornement d'un cabinet. Ainsi les déformités apparentes de nos petits Mondes se réunissent en beautés dans le grand, et n'ont rien qui s'oppose à l'unité d'un Principe universel infiniment parfait: au contraire, ils augmentent l'admiration de sa sagesse, qui fait servir le mal au plus grand bien.

148. M. Bayle poursuit: que l'homme est »méchant et malheureux; qu'il y a par tout des »prisons et des hôpitaux; que l'Histoire n'est »qu'un recueil des crimes et des infortunes du »Genre-humain. Je crois qu'il y a en cela de l'exagération: il y a incomparablement plus de bien que de mal dans la vie des hommes, comme il y a incomparablement plus de maisons que de prisons. A l'égard de la vertu et du vice, il y régne une certaine médiocrité. Machiavel a déjà remarqué qu'il y a peu d'hommes fort mécrans et fort bons, et que cela fait manquer bien de grandes entreprises. Je trouve que c'est un défaut des Historiens, qu'ils s'attachent plus au mal qu'au bien. Le but principal de l'Histoire, aussi-bien que de la Poésie, doit être d'enseigner la prudence et la vertu par des exemples, et puis de montrer le vice d'une manière qui en donne de l'aversion, et qui porte ou serve à l'éviter.

149. M. Bayle avoue qu'on trouve par-tout »et du bien moral et du bien physique, quelques exemples de vertu, quelques exemples de bonheur; »et que c'est ce qui fait la difficulté. Car s'il n'y » avoit que des méchans et des malheureux (dit-il) »il ne faudroit pas recourir à l'hypothèse des deux »Principes.« J'admire que cet exellent homme ait pu témoigner tant de penchant pour cette opinion des deux Principes; et je suis surpris qu'il n'ait point considéré que ce Roman de la vie humaine, qui fait l'histoire universelle du Genre-humain, s'est trouvé tout inventé dans l'Entendement divin avec une infinité d'autres, et que la volonté de Dieu en a décerné seulement l'existence, parce que cette suite d'événemens devoit convenir le mieux avec le reste des choses pour en faire résulter le meillear. Et ces défauts apparens du Monde entier, ces taches d'un Soleil, dont le nôtre n'est qu'un rayon, relèvent sa beauté, bien loin de la diminuer, et y contribuent en procurant un plus grand bien. By a véritablement deux Principes, mais ils sont tous

deux en Dieu, savoir son Entendement et sa Volonté. L'Entendement fournit le principe du mal, sans en être terni, sans être mauvais; il représente les natures, comme elles sont dans les vérités éternelles; il contient en lui la raison pour laquelle le mal est permis; mais la volonté ne va qu'au bien. Ajoutons un troisième principe, c'est la Puissance; elle précède même l'Entendement et la Volonté; mais elle agit comme l'un le montre, et comme l'autre le demande.

150. Quelques-uns (comme Campanella) ont appellé ces trois perfections de Dieu, les trois primordialités. Plusieurs même ont cru qu'il y avoit là-dedans un secret rapport à la Sainte Trinité: que la Puissance se rapporte au Père, c'està-dire à la Divinité; la Sagesse au Verbe Eternel, qui est appellé Moyoc par le plus sublime des Evangélistes; et la Volonté ou l'Amour, au Saint Esprit. Presque toutes les expressions ou comparaisons prises de la nature de la Substance intelligente y tendent.

151. Il me semble que si M. Bayle avoit considéré ce que nous venons de dire des principes des choses, il auroit répondu à ses propres questions, ou au moins qu'il n'auroit pas continué à demander, comme il le fait, par cette interrogation: Si l'homme est l'Ouvrage d'un seul Principe souverainement saint, souverainement puissant, peut-il être exposé »aux maladies, au froid, au chaud, à la faim, à la »soif, à la douleur, au chagrin? peut-il avoir tant »de mauvaises inclinations? peut-il commettre tant »de crimes? La souveraine Sainteté peut-elle pro»duire une Créature malheureuse? la souveraine -Puissance, jointe à une Bonté infinie, ne comblera-t-elle pas de biens son Ouvrage, et n'éloignera-telle point tout ce qui le pourroit offenser ou cha>griner?« Prudence a représenté la même difficulté dans son Hamartigénie:

passât à l'existence tel qu'il est. M. Bayle se seroit peut-être apperçu de cette origine du mal que j'établis, s'il avoit joint ici la sagesse de Dieu à sa puissance, à sa bonté et à sa sainteté. J'ajouterai en passant, que sa sainteté n'est autre chose que le suprême degré de la bonté, comme le crime qui lui est opposé, est ce qu'il y a de plus mauvais dans le mal.

152. M. Bayle fait combattre Mélisse Philosophe Grec, défenseur de l'unité du Principe, (et peut-être même de l'unité de la substance) avec Zoroastre, comme avec le premier Auteur de la Dualité. Zoroastre avoue que l'hypothèse de Mélisse est plus conforme à l'ordre et aux raisons à priori, mais il nie qu'elle soit conforme à l'expérience et aux raisons à posteriori. »Je vous sur»passe (dit-il) dans l'explication des phénomènes, qui est le principal caractère d'un bon système.« Mais à mon sens, ce n'est pas une fort belle explication d'un phénomène, quand on lui assigne un principe exprès: au mal, un principium maleficum; au froid, un primum frigidum: il n'y a rien de si aisé, ni rien de si plat. C'est à peu-près comme si quelqu'un disoit que les Péripatéticiens surpassent les nouveaux Mathématiciens dans l'explication des phénomènes des Astres, en leur donnant des Intelligences tout exprès qui les conduisent; puisqu'après cela il est bien aisé de concevoir pourquoi les Planètes font leur chemin avec tant de justesse; au lieu qu'il faut beaucoup de Géométrie et de méditation pour entendre comment de la pesanteur des Planètes qui les porte vers le Soleil, jointe à quelque tourbillon qui les emporte, ou à leur propre impétuosité, peut venir le mouvement elliptique de Kepler, qui satisfait si bien aux apparenses. Un homme incapable de goûter les spéculations profondes applaudira d'abord aux Péripatéticiens, et traitera nos Mathématiciens

Si non vult Deus esse malum, cur non vetat? de rêveurs. Quelque vieux Galéniste en fera autant

inquit.

Non refert auctor fuerit, faetorve malorum.
Anne opera in vitium sceleris pulcherrima verti,
Cum possit prohibere, sinat? quod si velit omnes
Innocuos agere Omnipotens, ne sancta voluntas
Degeneret; facto nee sc manus inquinet ullo?
Condidit ergo malum Dominus, quod spectat ab
alto,

Et patitur, fierique probat, tanquam ipse crearit.
Ipse creavit enim, quod si discludere possit,
Non abolet, longoque sinit grassarier usu.
Mais nous avons déjà répondu à cela suffisamment,
L'homme est lui-même la source de ses maux: tel
qu'il est, il étoit dans les idées. Dieu, mû par des
raisons indispensables de la sagesse, a décerné qu'il

par rapport aux Facultés de l'Ecole, il en admettra une chylifique, une chymifique et une sanguifique, et il en assignera exprès à chaque opération; il croira d'avoir fait merveilles, et se moquera de ce qu'il appellera les chimères des modernes, qui prétendent expliquer mécaniquement ce qui se passe dans le corps d'un animal.

153. L'explication de la cause du mal par un principe, per principium maleficum, est de la même nature. Le mal n'en a point besoin, nou plus que le froid et les ténèbres: il n'y a point de primum frigidum, ni de principe des ténèbres. Le mal même ne vient que de la privation; le positif n'y entre que par concomitance, comme l'actif par concomitance dans le froid. Nous voyons que

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l'eau en se gélant est capable de rompre un canon de mousquet, où elle est enfermée; et cependant le froid est une certaine privation de la force, il ne vient que de la diminution d'an mouvement qui écarte les particules des fluides. Lorsque ce mou vement écartant s'affoiblit dans l'eau par le froid, les parcelles de l'air comprimé cachées dans l'eau se ramassent; et devenant plus grandes, elles deviennent plus capables d'agir au dehors par leur ressort. Car la résistance que les surfaces des parties de l'air trouvent dans l'eau, et qui s'oppose à l'effort que ces parties font pour se dilater, est bien moindre, et par conséquent l'effet de l'air plus grand dans de grandes bulles d'air que dans de petites, quand même ces petites jointes ensemble feroient autant de masse que les grandes; parce que les résistances, c'est-à-dire les surfaces, croissent comme les quarrés; et les efforts, c'est-à dire les contenus, ou les solidités des sphères d'air comprimé, croissent comme les cubes des diamètres. Ainsi c'est par accident que la privation enveloppe de l'action et de la force. J'ai déjà montré ci-dessus, comment la privation suffit pour causer l'erreur et la malice; et comment Dieu est porté à les souffrir, sans qu'il y ait de malignité en lui. Le mal vient de la privation; le positif et l'action en naissent par accident, comme la force nait du froid.

154. Ce que M. Bayle fait dire aux Pauliciens p. 2323. n'est point concluant, savoir que le francarbitre doit venir de deux Principes, afin qu'il puisse se tourner vers le bien et vers le mal: car étant simple en lui-même, il devroit plutôt venir d'un principe neutre, si ce raisonnement avoit lieu. Mais le franc-arbitre va au bien, et s'il rencontre le mal, c'est par accident, c'est que ce mal est caché sous le bien, et comme masqué. Ces paroles qu'Ovide donne à Medée,

est la cause du mal moral; mais il est la canse du mal physique, c'est-à-dire de la punition du mal moral, punition qui bien loin d'être incompatible avec le principe souverainement bon, émane nécessairement de l'un de ses attribats, je veux dire de sa justice, qui ne lui est pas moins essentielle que sa bonté. Cette réponse, la plus raison»nable que Mélissus puisse faire, est au fond belle et solide, mais elle peut-être combattue par quelque chose de plus spécieux et de plus éblouissant. »C'est que Zoroastre objecte »»que le principe in

finiment bon devoit créer l'homme, non senle »ment sans le mal actuel, mais encore sans Fireclination au mal; que Dieu, ayant prévu le péché avec toutes les suites, le devoit empêcher; »»qu'il devoit déterminer l'homme au bien moral, et ne lui laisser aucune force de se porter an crime:«« jusqu'ici c'est M. Bayle. Cela est bien aisé à dire, mais il n'est point faisable en suivant les principes de l'ordre: il n'auroit pas pu être exécuté sans des miracles perpétuels. L'ignorance, l'erreur et la malice se suivent naturellement dans les animaux faits comme nous sommes: falloit-il done que cette espèce manquât à l'Uuivers? je ne doute point qu'elle n'y soit trop importante malgré toutes ses foiblesses, pour que Dieu ait pu consentir à l'abolir.

156. M. Bayle, dans l'article intitulé Pauliciens, qu'il a mis dans son Dictionnaire, poursnit ce qu'il a débité dans l'article des Manichéens. Selon lai (p. 2330. Rem. H.) les Orthodoxes semblent admettre deux premiers Principes, en faisant le Diable auteur du péché. M. Becker ci-devant Ministre d'Amsterdam, Auteur du Livre qui a pour titre Le Monde enchanté, a fait valoir cette pensée, pour faire comprendre qu'on ne devoit point donner une puissance et une autorité au Diable, qui le mettoit en parallèle avec Dieu; en quoi il a raison: mais il en pousse trop loin les conséquences. Et l'Auteur du Livre intitulé ἀποκατάςασις πάντων croit que si le Diable n'étoit jamais vaincu et dépouillé, s'il gardoit toujours sa proie, si le titre d'invincible lui appartenoit, cela feroit tort à la gloire de Dieu. Mais c'est un misérable avantage de garder ceux qu'on a séduits, pour être toujours pani avec eux. Et quant à la cause du mal, il est vrai que le Diable est l'auteur du péché: mais l'origine du péché vient de plus loin, la source est dans l'inperfection originale des créatures: cela les rend capables de pécher; et il y a des circonstances dans la suite des choses, qui font que cette puissance est mise en acte.

Video meliora proboque, Deteriora sequor, signifient que le bien honnête est surmonté par le bien agréable, qui fait plus d'impression sur les âmes, quand elles se trouvent agitées par les passions. 155. Au reste, M. Bayle lui-même fournit une bonne réponse à Mélissus, mais il la combat un peu après. Voici ses paroles p. 2025.: »Si Mé lissus consulte les notions de l'ordre, il répondra »que l'homme n'étoit point méchant, lorsque Dieu »le fit; il dira que l'homme reçut de Dieu un état » heureux, mais que n'ayant pas suivi les lumières »de la conscience, qui selon l'intention de son Au>>teur le devoient conduire par le chemin de la » vertu, il est devenu méchant, et qu'il a mérité 157. Les Diables étoient des Anges, comine les que Dieu souverainement bon lui fit sentir les ef-autres, avant leur chute, et l'on croit que leur chef »fets de sa colère. Ce n'est donc point Dieu qui en étoit un des principaux: mais l'Ecriture ne s'ex

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plique pas assez là-dessus. Le passage de l'Apoca- | lypse, qui parle du combat avec le Dragon, comme d'une vision, y laisse bien des doutes, et ne développe pas assez une chose dont les autres Auteurs sacrés ne parlent presque pas. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans cette discussion, et il faut toujours avouer ici que l'opinion commune convient le mieux au texte sacré. M. Bayle examine quelques réponses de S. Basile, de Lactance, et d'autres sur l'origine du mal, mais comme elles roulent sur le mal physique, je diffère d'en parler, et je continuirai d'examiner les difficultés sur la cause morale du mal, qui se trouvent dans plusieurs endroits des Ouvrages de notre habile Auteur.

»due future par son décret, préférablement à toutes les autres. Fort bien, c'est parler mon langage; pourvu qu'on l'entende des combinaisons qui composent tout l'Univers. »Vous ne ferez donc jamais comprendre (ajoute-t-il) que Dieu n'ait pas voulu qu'Eve et Adam péchassent, puisqu'il a rejeté toutes les combinaisons où ils n'eussent pas »péché. Mais la chose est fort aisée à comprendre en général, par tout ce que nous ve nons de dire. Cette combinaison qui fait tout l'Univers, est la meilleure; Dieu donc ne put se dispenser de la choisir, sans faire un manquemement; et plutôt que d'en faire un, ce qui lui est absolument inconvenable, il permet le manquement ou le péché de l'homme, qui est enveloppé dans cette combinaison.

160. M. Jacquelot avec d'autres habiles hommes ne s'éloigne pas de mon sentiment, comme lorsqu'il dit p. 186. de son Traité de la Conformité de la Foi avec la Raison: »Ceux qui s'embarrassent de »ces difficultés, semblent avoir la vue trop bornée, »et vouloir réduire tous les desseins de Dieu à leurs propres intérêts. Quand Dieu a formé l'Univers, il n'avoit d'autre vue que lui-même et sa propre

158. Il combat la permission de ce mal, il voudroit qu'on avouât que Dieu le veut. Il cite ces paroles de Calvin (sur la Genèse, chap. 3.) Les oreilles d'aucuns sont offensées, quand on dit que »Dieu l'a voulu. Mais je vous prie, qu'est-ce autre chose de la permission de celui qui a droit de dé»fendre, ou plutôt qui a la chose en main, qu'un vouloir? M. Bayle explique ces paroles de Calvin, et celles qui précèdent, comune s'il avouit que Dieu a voulu la chute d'Adam, non pas entant qu'elle étoit un ecrime, mais sous quelque autre no-gloire; de sorte que si nous avions la connoissance tion qui ne nous est pas connue. Il cite des Casuistes un peu relâchés, qui disent qu'un fils peut souhaiter la mort de son père, entant qu'elle est un bien pour ses héritiers. Rép. aux Quest. ch. 147. p. 850. Je trouve que Calvin dit seulement que Dieu a voulu que l'homme tombât, pour certaine cause qui nous est inconnue. Dans le fond, quand il s'agit d'une volonté décisive, c'est-à-dire d'un décret, ces distinctions sont inutiles: l'on veut l'action avec toutes ses qualités, s'il est vrai qu'on la vneille. Mais quand c'est un crime, Dieu ne peut que le vouloir permettre: le crime n'est ni fin, ni moyen, il est seulement une condition sine qua non; ainsi il n'est pas l'objet d'une volonté directe, comme je l'ai déjà montré ci-dessus. Dieu ne le peut empêcher, sans agir contre ce qu'il se doit, sans faire quelque chose qui seroit pis que le crime de l'homme, sans violer la règle du meilleur; ce qui seroit détruire la Divinité, comme j'ai déjà remarqué. Dieu est donc obligé par une nécessité morale, qui se trouve en lui-même, de permettre le mal moral des créatures. C'est-là précisemeut le cas où la volonté d'un Sage n'est que permissive. Je l'ai déjà dit: il est obligé de permettre le crime d'autrui, quand il ne le sauroit empêcher sans manquer lui-même à ce qu'il se doit.

159. Mais entre toutes les combinaisons infinies (dit M. Bayle p. 853.) »il a plu à Dieu d'en >>choisir une ou Adam devoit pécher, et il l'a ren

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»de toutes les créatures, de leurs diverses combi»naisons et de leurs différens rapports, nous comprendrions sans peine que l'Univers répond par«faitement à la sagesse infinie du Tout puissant. « Il dit ailleurs (p. 232.) »Supposé, par impossible, que Dieu n'ait pu empêcher le mauvais usage du franc-arbitre sans l'anéantir, on conviendra que »sa sagesse et sa gloire l'ayant déterminé à former des créatures libres, cette puissante raison devoit »l'emporter sur les fâcheuses suites que pourroit avoir cette liberté.« J'ai tâché de le développer encore davantage par la raison du meilleur, et par la nécessité morale qu'il y en a Dieu de faire ce choix, malgré le péché de quelques Créatures qui y est attaché. je crois avoir coupé jusqu'à la racine de la difficulté: cependant je suis bien aise, pour donner plus de jour à la matière, d'appliquer mon principe des solutions aux difficultés particulières de M. Bayle.

161. En voici une, proposée en ces termes (ch. 148. p. 856.) »Scroit-il de la bouté d'un Prince 1. de donner à cent messagers autant d'argent »qu'il en faut pour un voyage de deux cents lieues? »2. de promettre une récompense à tous ceux qui ache>veroient le voyage sans avoir rien emprunté, et de me>>nacer de la prison tous ceux à qui leur argent n'au»roit pas suffi? 3. de faire choix de cent personnes, »dont il sauroit certainement qu'il n'y en auroit >>que deux qui mériteroient la récompeose, les 98

»nous détermineroit à telle ou telle chose, et il fa ainsi voulu; mais il n'a pas voulu pour cela l'y >>contraindre. Et comme on peut distinguer en ee >>Roi deux différens degrés de volonté, l'un par le»quel il a voulu que ces Gentilshommes se battis»sent, puisqu'il a fait qu'ils se rencontrassent; et l'autre, par lequel il ne l'a pas voulu, puisqu'il »a défendu les duels; ainsi les Théologiens distin»guent en Dieu une volonté absolue et indépen»dante, par laquelle il veut que toutes choses se

>>relative, et qui se rapporte au mérite ou démérite des hommes, par laquelle il veut qu'on obéisse à >>ses Loix.<< (Descartes Lettre 10. du 1. vol. pag. 51. 52. Conférez avec cela ce que M. Arnauld tom. 2. pag. 288. et suiv. de ses Réflexions sur le système de Mallebranche, rapporte de Thomas d'Aquin sur la volonté antécédente et conséquente de Dieu.)

>>autres devant trouver en chemin ou un joueur, ou >>quelque autre chose, qui leur feroit faire des frais, >>et qu'il auroit eu soin lui-même de disposer en >>certains endroits de la route? 4. d'emprisonner >>actuellement 98 de ces messagers, dès qu'ils se>>roient de retour? N'est-il pas de la dernière évi»dence qu'il n'auroit aucune bonté pour eux, et »qu'au contraire il leur destineroit, non pas la ré>>compense proposée, mais la prison? Ils la méri>>teroient: soit; mais celui qui aura voulu qu'ils >>la méritassent, et qui les auroit mis dans le che->>fassent ainsi qu'elles se font; et une autre qui est >>min infaillible de la mériter, seroit-il digne d'être >appellé bon, sous pretexte qu'il auroit récompensé >>les deux autres?« Ce ne seroit pas sans doute cette raison, qui lui feroit mériter le titre de bon; mais d'autres circonstances y peuvent concourir, qui seroient capables de le rendre digne de louange, de ce qu'il s'est servi de cet artifice pour connoître ces gens-là, et pour en faire un triage, comme Gédéon se servit de quelques moyens extraordinaires pour choisir les plus vaillans et les moins délicats d'entre les Soldats. Et quand le Prince connoîtroit déjà le naturel de tous ces messagers, ne peut-il point les mettre à cette épreuve pour les faire connoître encore aux autres? Et quoique ces raisons ne soient pas applicables à Dieu, elles ne laissent pas de faire comprendre qu'une action comme cele de ce Prince peut paroître absurde, quand on la détache des circonstances qui en peuvent marquer la cause. A plus forte raison doit-on juger que Dieu a bien fait, et que nous le verrions, si nous connoissions tout ce qu'il a fait.

163. Voici ce que M. Bayle y répond, (Rép. au Provine. ch. 154. p. 943.) »Ce grand Philo>>sophe s'abuse beaucoup, ce me semble. Il n'y au»roit dans ce Monarque aucun degré de volonté, »>ni petit, ui grand, que ces deux Gentilshommes >>obéissent à la Loi, et ne se batissent pas. Il vou»droit pleinement et uniquement qu'ils se battissent. »Cela ne les disculperoit pas, ils ne suivoient que »leur passion, ils ignoroient qu'ils se conformoient à la volonté de leur Souverain; mais celui-ci se»roit véritablement la cause morale de leur combat, »et il ne le souhaiteroit pas plus pleinement, quand »même il leur en inspireroit l'envie, on qu'il leur >>en donneroit l'ordre. Représentez-vous deux Prin

»poisonne. L'un emploie la contrainte, l'autre se >>contente de causer clandestinement an chagrin qu'il sait suffisant à porter son fils à s'empoison»ner. Douterez-vous que la volonté du dernier soit >>moins complète que la volonté de l'autre ? M. Des»cartes suppose donc un fait faux, et ne résout

162. M. Descartes, dans une Lettre à Madame la Princesse Elisabeth (vol. 1. Lett. 10.) s'est services, dont chacun souhaite que son fills aîné s'emd'une autre comparaison pour accorder la liberté humaine avec la toute-puissance de Dieu. >>Il sup>>pose un Monarque qui a défendu les duels, et qui »sachant certainement que deux Gentilshommes se >>battront, s'ils se rencontrent, prend des mesures >>infaillibles pour les faire rencontrer. Ils se ren>>contrent en effet, ils se battent: leur désobéis->point la difficulté.<< »sance à la loi est un effet de leur franc-arbitre, >>ils sont punissables. Ce qu'un Roi peut faire en »cela (ajoute-t-il) touchant quelques actions libres »de ses Sujets, Dieu qui a une prescience et une »puissance infinie, le fait infailliblement touchant >>toutes celles des hommes. Et avant qu'il nous ait yenvoyés en ce monde, il a su exactement quelles »seroient toutes les inclinations de notre volonté, »c'est lui-même qui les a mises en nous, c'est lui yaussi qui a disposé toutes les autres choses qui >>sont hors de nous, pour faire que tels et tels ob»jets se présentassent à nos sens à tel et tel tems, »à l'occasion desquels il a su que notre libre-arbitre

164. Il faut avouer que M. Descartes parle un peu cruement de la volonté de Dieu à l'égard du mal, en disant non seulement que Dieu a su que notre libre-arbitre nous détermineroit à telle ou telle chose, mais aussi qu'il l'a ainsi voulu, quoiqu'il n'ait pas voulu pour cela l'y contraindre.

ne parle pas moins durement dans la huitième Lettre du même volume, en disant qu'il n'entre pas la moindre pensée dans l'esprit d'un homme, que Dieu ne veuille et n'ait voulu de toute éternitý qu'elle y entrât. Calvin n'a jamais rien dit de plus dur, et tout cela ne sauroit être excusé qu'en sousentendant une volouté permissive. La solution de

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