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134. XIX. Les Médecins, qui parmi beaucoup de remèdes capables de guérir un malade, et dont il y en a plusieurs qu'ils seroient fort assurés qu'il prendroit avec plaisir, choisiroient précisément celui qu'ils sauroient qu'il refuseroit de prendre, auroient beau l'exhorter et le prier de ne le refuser pas; on auroit, néanmoins un juste sujet de croire qu'ils n'auroient aucune envie de le guérir: car s'ils souhaitoient de le faire, ils lui choisiroient l'une de ces bonnes médecines, qu'ils sauroient qu'il voudroit bien avaler. Que si d'ailleurs ils savoient que le refus du remède qu'ils lui offriroient, augmenteroit sa maladie jusqu'à la rendre mortelle, on ne pourroit s'empêcher de

»Legislateurs à maintenir la Société, en seroient la ruine entière. (Appliquez ici ces paroles de Pline le Jeune epist. 22. lib. 8. Mandemus memoriae quod vir mitissimus, et ob hoc quoque -maximus, Thrasea crebro dicere solebat, qui vitia "odit, homines odit.) Il ajoute qu'on disoit des Loix de Dracon, Legislateur des Athéniens, qu'elles n'avoient pas été écrites avec de l'encre, mais avec du sang, parce qu'elles punissoient tous les péchés du dernier supplice; et que la damnation est un supplice infiniment plus grand que la mort. Mais il faut considérer que la damnation est une suite du péché, et je répondis autrefois à un ami, qui m'objecta la disproportion qu'il y a entre une peine éternelle et un crime borné, qu'il n'y a point d'in-dire qu'avec toutes leurs exhortations, ils ne lais

justice, quand la continuation de la peine n'est qu'une suite de la continuation du péché: j'en parlerai encore plus bas. Pour ce qui est du nombre des damnés, quand il seroit incomparablement plus grand parmi les hommes, que le nombre des sauvés, cela n'empêcheroit point que dans l'Univers les Créatures heureuses ne l'emportassent infiniment pour leur nombre sur celles qui sont malheureuses. Quand à l'exemple d'un Prince qui ne punit que les Chefs des rebelles, ou d'un Général qui fait décimer un Régiment, ces exemples ne tirent point à conséquence ici. L'intérêt propre oblige le Prince et le Générel de pardonner aux coupables, quand même ils demeureroient méchans; Dieu ne pardonne qu'à ceux qui deviennent meilleurs: il peut les discerner, et cette sévérité est plus conforme à la justice parfaite. Mais si quelqu'un demande pourquoi Dicu ne donne pas à tous la grace de la conversion, il tombe dans une autre question, qui n'a point de rapport à la Maxime présente. Nous y avons déjà répondu en quelque façon, non pas pour trouver les raisons de Dieu, mais pour montrer qu'il n'en sauroit manquer, et qu'il n'y en a point de contraires qui puissent être valables. Au reste, nous savons qu'on détruit quelquefois des Villes entières, et qu'on fait passer les habitans au fil de l'épée, pour donner de la terreur aux autres. Cela peut servir à abréger une grande guerre, ou rébellion, et c'est épargner le sang en le répandant: il n'y a point là de décimation. Nous ne pouvons point assurer, à la vérité, que les méchans de notre Globe sont punis si sévèrement pour intimider les habitans des autres Globes, et pour les rendre meilleurs; mais assez d'autres raisons de l'harmonie universelle qui nous sont inconnues, parceque nous ne connoissons pas assez l'étendue de la Cité de Dieu, ni la forme de la République générale des Esprits, non plus que toute l'architecture des Corps, peuvent faire le même effet.

seroient pas de souhaiter la mort du malade.«

Dieu veut sauver tous les hommes; cela veut dire qu'ils les sauveroit, si les hommes ne l'empêchoient pas eux-mêmes, et ne refusoient pas de recevoir ses graces; et il n'est point obligé ni porté par la Raison à surmontrer toujours leur mauvaise volonté. Il le fait pourtant quelquefois, lorsque des raisons supérieures le permettent, et lorsque sa volonté conséquente et décrétoire, qui résulte de toutes ses raisons, le détermine à l'élection d'un certain nombre d'hommes. Il donne des secours à tous pour se convertir et pour persévérer, et ces secours sont suffisans dans ceux qui ont bonne volonté, mais ils ne sont pas toujours suffisans pour la donner. Les hommes obtiennent cette bonne volonté, soit par des secours particuliers, soit par des circonstances qui font réussir les secours généraux. Il ne peut s'empêcher d'offrir encore des remèdes qu'il sait qu'on refusera, et qu'on en sera plus coupable: mais voudra-t-on que Dieu soit injuste, afin que l'homme soit moins criminel? Outre que les graces qui ne servent pas à l'un, peuvent servir à l'autre, et servent même toujours à l'intégrité du plan de Dieu, le mieux conçu qu'il se puisse. Dieu ne donnera-t-il point la pluie, parcequ'il y a des lieux bas qui en seront incommodés? Le Soleil ne luira-t-il pas autant qu'il faut pour le général, parcequ'il y a des endroits qui en seront trop desséchés? Enfin toutes les comparaisons, dont parlent ces Maximes que Mr. Bayle vient de donner, d'un Médecin, d'un Bienfaiteur, d'un Ministre d'Etat, d'un Prince, clochent fort; parcequ'on connoît leurs devoirs, et ce qui peut et doit être l'objet de leurs soins: ils n'ont presque qu'une affaire, et ils y manquent souvent par négligence ou par malice. L'objet de Dieu a quelque chose d'infini, ses soins embarassent l'Univers; ce que nous en connoissons n'est presque rien, et nous voudrions mesurer sa sagesse et sa bonté par notre

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connoissance: quelle témérité, ou plutôt quelle ab- | surdité! Les objections supposent faux; il est ridicule de juger du droit, quand on ne connoît point le fait. Dire avec S. Paul: O altitudo divitiarum et Sapientiac, ce n'est point renoncer à la Raison, c'est employer plutôt les raisons que nous connoissons; car elles nous apprennent cette immensité de Dieu, dont l'Apôtre parle: mais c'est avouer notre ignorance sur les faits; c'est reconnoître cependant, avant que de voir, que Dieu fait tout, le mieux qu'il est possible, suivant la sagesse infinie qui règle ses actions. Il est vrai que nous en avons déjà des preuves et des essais devant nos yeux, lorsque nous voyons quelque tout accompli en soi, et isolé, pour ainsi dire, parmi les Ouvrages de Dieu. Un tel tout, formé, pour ainsi dire, de la main de Dieu, est une plante, un animal, un homme. Nous ne saurions assez admirer la beauté et l'artifice de sa structure. Mais lorsque nous voyons quelque os cassé, quelque morceau de chair des animaux, quelque brin d'une plante, il n'y paroit que du désordre, à moins qu'un excellent Anatomiste ne le regarde; et celui-là même n'y reconnoîtroit rien, s'il n'avoit vu auparavant des morceaux semblables attachés à leur tout. Il en est de même du gouvernement de Dieu: ce que nous en pouvous voir jusqu'ici, n'est pas un assez gros morceau, pour y reconnoître la beauté et l'ordre du tout. Ainsi la nature même des choses porte que cet ordre de la Cité Divine, que nous ne voyons pas encore ici-bas, soit un objet de notre foi, de notre espérance, de notre confiance en Dieu. S'il y en a qui en jugent autrement, tant pis pour eux, ce sont des mécontens dans l'Etat du plus grand et du meilleur de tous les Monarques, et ils ont tort de ne point profiter des échantillons qu'il leur a donnés de sa sagesse et de sa bonté infinie pour se faire connoître non sculement admirable mais encore aimable au-delà de toutes choses.

135. J'espère qu'on trouvera que rien de ce qui est compris dans ces dix-neuf Maximes de M. Bayle, que nous venons de considérer, n'est demeuré sans une réponse nécessaire. Il y a de l'apparence qu'ayant souvent médité auparavant sur cette matière, il y aura mis ce qu'il croyoit le plus fort touchant la cause morale du mal moral. Il se trouve pourtant encore là-dessus par-ci par-là plusieurs endroits dans ses Ouvrages, qu'il sera bon de ne point passer sous silence. Il exagère bien souvent la difficulté qu'il croit qu'il y a, de mettre Dieu à couvert de l'imputation du péché. Il remarque (Rép. au Prov. ch. 161. p. 1024.) que Molina, s'il a accordé le libre-arbitre avec la prescience, n'a point accordé la bonté et la sainteté de Dieu avec le péché.

Il louc la sincérité de ceux qui avouent rondement (comme il veut que Piscator l'a fait) que tout retombe enfin sur la volonté de Dieu, et qui prétendent que Dieu ne laisseroit pas d'être juste, quand même il seroit l'auteur du péché, quand même il condamneroit des innocens. Et de l'autre côté, on en d'autres endroits, il semble qu'il applaudit davantage aux sentimens de ceux qui sauvent sa bouté aux dépens de sa grandeur, comme fait Plutarque dans son Livre contre les Stoïciens. »Il étoit plus raisonnable (dit-il) de dire (avec les Epicuriens) que des parties innombrables (ou des Atomes voltigeans au hazard par un espace infini) prévalant par leur force à la foiblesse de Jupiter, fissent malgré lui et contre sa nature et volonté beaucoup »de choses mauvaises et absurdes, que de demen»rer d'accord qu'il n'y a ni confusion, ni méchanceté dont il ne soit l'auteur. Ce qui se peut dire pour l'un et pour l'autre de ces partis des Stoïciens ou des Epicuriens, paroit avoit porté Mr. Bayle à lenexev des Pyrrhoniens, à la suspension de son jugement, par rapport à la Raison, tant que la Foi est mise à part, à laquelle il professe de se sonmettre sincèrement.

136. Cependant poursuivant ses raisonnemens, il est allé jusqu'à vouloir quasi faire ressusciter et renforcer ceux des Sectateurs de Manès, hérétique Persan du troisième Siècle du Christianisme, ou d'un certain Paul, Chef des Manichéens en Arménie dans le VII. Siècle, qui leur fit donner le nom de Pauliciens. Tous ces Hérétiques renouvellèrent ce qu'un ancien Philosophe de la haute Asie, connu sous le nom de Zoroastre, avoit enseigné, à ce qu'on dit, de deux Principes intelligens de toutes choses, l'un bon, l'autre mauvais; dogme qui étoit peutêtre venu des Indiens, où il y a encore quantité de gens attachés à cette erreur, fort propre à surprendre l'ignorance et la superstition humaine, puisque quantité de peuples barbares, même dans l'Amérique, ont donné là-dedans, sans avoir eu besoin de Philosophie. Les Slaves (chez Helmold) avoient leur Zenebog, c'est-à-dire, Dieu noir. Les Grees et les Romains, tout sages qu'ils paroissent, avoient un Vejovis ou Anti-Jupiter, nommé autrement Platon et quantité d'autres Divinités mal-faisantes. La Déesse Némésis se plaisoit à abaisser ceux qui étoient trop heureux: et Hérodote insinue en quelques endroits, qu'il croyoit que toute la Divinité est envieuse, ce qui ne s'accorde pourtant point avec la doctrine des deux Principes.

137. Plutarque dans sou Traité d'Isis et d'Osiris ne connoit point d'Auteur plus ancien qui les ait enseignés que Zoroastre le Magicien, comme il l'appelle. Trogus ou Justin en fait un Roi des Bac

triens, que Ninus ou Sémiramis vainquirent; il lui attribue la connoissance de l'Astronomie et l'invention de la Magie: mais cette Magie étoit apparemment la Religion des adorateurs du Feu: et il paroit qu'il considéroit la lumière ou la chaleur comme le bon Principe; mais il y ajoutoit le mauvais, c'est-à-dire l'opacité, les ténèbres, le froid. Pline rapporte le témoignage d'un certain Hermippe, interprète des Livres de Zoroastre, qui le faisoit disciple en l'art magique d'un nommé Azonace, pourvu que ce nom ne soit corrompu de celui d'Oromase, dont nous parlerons tantôt, et que Platon dans l'Alcibiade fait père de Zoroastre. Les Orientaux modernes appellent Zerdust celui que les Grecs appelloient Zoroastre; on le fait répondre à Mercure, parceque le Mercredi en a son nom chez quelques peuples. Il est difficile de débrouiller son Histoire et le tems auquel il a vécu. Suidas le fait antérieur de cinq cens ans à la prise de Troie: des Anciens chez Pline et chez Plutarque en disent dix fois autant. Mais Xanthus le Lydien (dans la Préface de Diogène Laërce) ne le fait antérieur que de six cens ans à l'expédition de Xerxès. Platon déclare dans le même endroit, comme Mr. Bayle le remarque, que la Magie de Zoroastre n'étoit autre chose que l'étude de la Religion. Mr. Hyde dans son Livre de la Religion des anciens Perses tâche de la justifier, et de la laver non-seulement du crime de l'impiété, mais encore de celui de l'idolatrie. Le culte du Feu étoit reçu chez les Perses, et chez les Chaldéens: on croit qu'Abraham le quitta en sortant d'Ur en Chaldée. Mithra étoit le Soleil, et il étoit aussi le Dieu des Perses, et au rapport d'Ovide on lui sacrifioit des chevaux,

Placat equo Persis radiis Hyperiona cinctum,

Ne detur celeri victima tarda Deo. Mais Mr. Hyde croit qu'ils ne se servoient du Soleil et du Feu dans leur culte, que comme de symboles de la Divinité. Peut-être faut-il distinguer, comme ailleurs, entre les Sages et le Peuple. Il y dans les admirables ruines de Persépolis ou de Tschelminaar (qui veut dire quarante colonnes) des représentations de leurs cérémoniens en sculpture. Un Ambassadeur d'Hollande les avoit fait dessiner avec bien de la dépense par un Peintre, qui y avoit employé un teins considérable: mais je ne sais par quel accident ces desseins tombèrent entre les mains de Mr. Chardin, connu par ses Voyages, suivant ce qu'il en a rapporté lui-même: ce seroit dommage, s'ils se perdoient. Ces ruines sont un des plus anciens et des plus beaux monumens de la Terre, et j'admire à cet égard le peu de curiosité d'un Siècle aussi curieux que le nôtre.

138. Les anciens Grecs, et les Orientaux mo

dernes, s'accordent à dire que Zoroastre appelloit le bon Dieu Oromazes, ou plutôt Oromasdes, et le mauvais Dieu Arimanius. Lorsque j'ai considéré que de grands Princes de la haute Asie ont eu le nom d'Hormisdas, et qu'Irmin ou Hermin a été le nom d'un Dieu ou ancien Héros des Celtoscythes, c'est-à-dire des Germains; il m'est venu en pensée que cet Arimanius ou Irmin pourroit avoir été un grand Conquérant très-ancien venant de l'Occident, comme Chings Chan et Tamerlan venans de l'Orient, l'ont été depuis. Ariman seroit donc venu de l'Occident boréal, c'est-à-dire de la Germanie et de la Sarmatie, par les Alains et les Massagètes, faire irruption dans les Etats d'un Hormisdas, grand Roi dans la haute Asie; comme d'autres Scythes l'ont fait depuis du tems de Cyaxare Roi des Mèdes, au rapport d'Hérodote. Le Monarque gouvernant des peuples civilisés, et travaillant à les défendre contre les barbares, auroit passé dans la postérité, parmi les mêmes peuples, pour le bon Dieu; mais le Chef de ces ravageurs sera devenu le symbole du mauvais Principe: il n'y a rien de si naturel. Il paroît par cette mythologie même que ces deux Princes ont combattu longtems, mais que pas un des deux n'a été vainqueur. Ainsi ils se sont maintenus tous deux, comme les deux Principes ont partagé l'Empire du Monde, selon l'hypothèse attribuée à Zoroastre.

139. Il reste à prouver qu'un ancien Dieu ou Héros des Germains a été appellé Herman, Ariman ou Irmin. Tacite rapporte que les trois peuples qui composoient la Germaine, les Ingévons, les Istévous et les Herminons ou Hermions, ont été appellés ainsi des trois fils de Mannus. Que cela soit vrai ou non, il a toujours voulu indiquer qu'il y a eu un Héros nommé Hermin, dont on lui avoit dit que les Herminons étoient nommés. Herminons, Hermenner, Hermunduri sont la même chose, et veulent dire Soldats. Encore dans la basse Histoire, Arimanni étoient viri militares, et il y a feudum Arimandiae dans le Droit Lombard.

140. J'ai montré ailleurs qu'apparemment le nom d'une partie de la Germanie a été donné au tout, et que de ces Herminones ou Hermunduri tous les peuples Teutoniques ont été appellés Hermanni ou Germani; car la différence de ces deux mots n'est que dans la force de l'aspiration; comme diffère le commencement dans le Germani des Latins et dans le Hermanos des Espagnols, ou comme dans le Gammarus des Latins et dans le Hummer (c'est-à-dire écrévice de mer) des bas Allemans. Et il est fort ordinaire qu'une partie d'une Nation donne le nom au tout, comme tous les Germains out été appellés Allemans

par les François; et cependant ce nom n'appartient, selon l'ancien stile, qu'aux Suabes et aux Suisses. Et quoique Tacite n'ait pas bien connu l'origine du nom des Germains; il a dit quelque chose de favorable à mon opinion, lorsqu'il marque que c'étoit un nom qui donnoit de la terreur, pris ou donné, ob metum. C'est qu'il signifie un guerrier: Heer, Hari, est Armée, d'où vient Hariban ou clameur de Haro, c'est-à-dire un ordre général de se trouver à l'Armée, qu'on a corrompu en Arriere-ban. Ainsi Hariman ou Ariman, German, Guerreman, est un Soldat. Car comme Hari, Heer est Armée, ainsi Wehr signifie armes, wehren combattre, faire la guerre; le mot Guerre, Guerra, venant sans doute de la même source. J'ai déjà parlé du feudum Arimandiae: et non-seulement Herminons ou Germains ne vouloient dire autre chose, mais encore cet ancien Herman, prétendu fils de Mannus, a eu ce nom apparemment somme si on l'avoit voulu nommer guerrier par excellence.

141. Or ce n'est pas le passage de Tacite seulement qui nous indique ce Dieu ou Héros; nous ne pouvons douter qu'il n'y en ait eu un de ce nom parmi ces peuples, puisque Charlemagne a trouvé et détruit proche du Weser la colomine appellée Irmin - Sul, dressée à l'honneur de ce Dieu. Et cela joint au passage de Tacite nous fait juger que ce n'a pas été au célèbre Arminius ennemi des Romains, mais à un Héros plus grand et plus ancien, que ce culte se rapportoit. Arminius portoit le même nom, comme font encore aujourdhui ceux qui portent celui de Herman. Arminius n'a pas été assez grand, ni assez heureux, ni assez connu par toute la Germanie, pour obtenir l'honneur d'un culte public, même des peuples éloignés, comme des Saxons, qui sont venus longtems après lui dans le pays des Chérusques. Et notre Arminius, pris pour le mauvais Dieu par les Asiatiques, est un surcroît de confirmation pour mon opinion. Car dans ces matières les conjectures se confirment les unes les autres sans aucun cercle de Logique, quand . leurs fondemens tendent à un même but.

142. Il n'est pas incroyable que le Hermes (c'est-à-dire Mercure) des Grecs soit le même Hermin ou Ariman. Il peut avoir été inventeur ou promoteur des Arts, et d'une vie un peu plus civilisée parmi ceux de sa Nation, et dans les pays où il étoit le maître; pendant qu'il passoit pour l'auteur du désordre chez ses ennemis. Que sait-on s'il n'est pas venu jusques dans l'Egypte, comme les Scythes qui poursuivirent Sésostris et vinrent près de là? Theut, Menès et Hermes ont été connus et honorés dans l'Egypte. Ils pourroient être

Thuiscon, son fils Mannus et Herman, fils de Mannus, suivant la Généalogie de Tacite. Menès passe pour le plus ancien Roi des Egyptiens, Theut étoit un nom de Mercure chez eux. Au moins Theut ou Thuiscon, dont Tacite fait descendre les Germains, et dont les Teutons, Tuitsche (c'est-à-dire Germains) ont encore aujourd'hui le nom, est le même avec ce Teutates que Lucain fait adorer par les Gaulois, et que Cesar a pris pro Dite Patre, pour Pluton, à cause de la ressemblance de son nom Latin avec celui de Teut ou Thiet, Titan, Theodon, qui a signifié anciennement hommes, peuple, et encore un homme excellent (comme le mot Baron) enfin un Prince. Et il y a des autorités pour toutes ces significations: mais il ne faut point s'y arrêter ici. Mr. Otto Sperling, connu par plusieurs savans Ecrits, mais qui en a encore beaucoup d'autres prêts à paroître, a raisonné dans une Dissertation exprès sur le Teutates, Dieu des Celtes; et quelques remarques que je lui ai communiquées là-dessus, ont été mises dans les Nouvelles Littéraires de la Mer Baltique, aussi-bien que sa réponse. Il prend un peu autrement que moi ce passage de Lucain:

Teutates, pollensque feris altaribus Hesus, Et Taramis Scythicae non mitior ara Dianae. Hesus apparemment étoit le Dieu de la Guerre, qui étoit appellé Ares des Grecs et Erich des anciens Germains, dont il reste encore Erich-tag, Mardi. Les lettres R. et S. qui sont d'un même organe, se changent aisément, par exemple, Moor et Moos, Geren et Gesen, Er war et Er was, Fer, Hierro, Eiron, Eisen. Item Papisius, Valesius, Fusius, au lieu de Papirius, Valerius, Furius, chez les anciens Romains. Pour ce qui est de Taramis ou peut-être Taranis on sait que Taran étoit le Tonnerre, ou le Dieu du Tonnerre, chez les anciens Celtes appellé Tor des Germains Septentrionaux, d'où les Anglois ont gardé Thursday, Jeudi, diem Jovis. Et le passage de Lucain veut dire que l'Autel de Taran, Dieu des Celtes, n'étoit pas moins cruel que celui de la Diane Taurique; Taranis aram non mitiorem ara Dianae Scythicae fuissse.

143. Il n'est pas impossible aussi qu'il y ait en un tems, auquel des Princes Occidentanx on Celtes se soient rendus maîtres de la Grèce, de l'Egypte, et d'une bonne partie de l'Asie, et que leur culte soit resté dans ces pays-là. Quand on considèrera avec quelle rapidité les Huos, les Sarrasins et les Tartares se sont emparés d'une grande partie de notre Continent, on s'en étonnera moins; ct ce grand nombre de mots de la Langue Allemande et de la Langue Celtique, qui conviennent

si bien entre eux, le confirme. Callimaque, dans | »il faut qu'elles soutiennent l'attaque. Il avoue un hymne à l'honneur d'Apollon, paroit insinuer que les Dualistes (comme il les appelle avec Mr. que les Celtes qui attaquèrent le Temple Delphique Hyde) c'est-à-dire les défenseurs de deux Principes, sous leur Brennus ou Chef, étoient de la postérité auroient bientôt été mis en fuite par des raisons des anciens Titans et Géans, qui firent la guerre à à priori, prises de la nature de Dieu; mais il Jupiter et aux autres Dieux, c'est-à-dire aux Prin- s'imagine qu'ils triomphent à leur tour, quand on ces de l'Asie et de la Grèce. Il se peut que Jupiter vient aux raisons à posteriori, prises de l'exisoit descendu lui-même des Titans ou Théodons, stence du mal. c'est-à-dire des Princes Celto-Scythes antérieurs, et ce que feu Mr. l'Abbé de la Charmoye a recueilli dans ses Origines Celtiques, s'y accorde; quoiqu'il y ait d'ailleurs des opinions dans cet Ouvrage de ce savant Auteur, qui ne me paroissent point vraisemblables, particulièrement lorsqu'il exclut les Germains du nombre des Celtes, ne s'étant pas assez souvenu des autorités des Anciens, et n'ayant pas assez su le rapport de l'ancienne Langue Gauloise avec la Langue Germanique. Or les Géans prétendus qui vouloient escalader le Ciel, étoient de nouveaux Celtes, qui alloient sur la piste de leurs ancêtres; et Jupiter, bien que leur parent, pour ainsi dire, étoit obligé de leur résister: comme les Wisigots établis dans les Gaules s'opposoient avec les Romains à d'autres peuples de la Germanie et de la Scythie, qui venoient après eux sous la conduite d'Attila maître alors des Nations Scythiques, Sarmatiques et Germaniques, depuis les frontières de la Perse jusqu'au Rhin. Mais le plaisir qu'on sent, lorsqu'on croit trouver dans les Mythologies des Dieux quelque trace de l'ancienne Histoire des tems fabuleux, m'a emporté peut-être trop loin, et je ne sais si j'aurai mieux rencontré que Goropius Becanus, que Schrieckius, que Mr. Rudbeck, et que Mr. l'Abbé de la Charmoye.

144. Retournons à Zoroastre, qui nous a mené à Oromasdes et à Arimanius, auteurs du bien et du mal; et supposons qu'il les ait considérés comme deux Principes éternels, opposés l'un à l'autre, quoiqu'il y ait lieu d'en douter. L'on croit que Marcion, Disciple de Cerdon, a été de ce sentiment avant Manès. Mr. Bayle reconnoît que ces hommes ont raisonné d'une manière pitoyable; mais il croit qu'ils n'ont pas assez connu leurs avantages, ni su faire jouer leur principale machine, qui étoit la difficulté sur l'origine du mal. Il s'imagine qu'un habile homme de leur parti auroit bien embarrassé les orthodoxes, et il semble que lui-même, faute d'un autre, a voulu se charger d'un soin si pen nécessaire, au jugement de bien des gens. Toutes les hypothèses (dit-il Dictonn. Art. Mar-cion pap. 2039.) que les Chrétiens ont établies, -parent mal les coups qu'on leur porte: elles »triomphent toutes, quand elles agissent offensive»ment; mais elles perdent tout leur avantage, quand

145. Il en donne un ample détail dans son Dictionnaire Article Manichéens p. 2025. où il faut entrer un peu, pour mieux éclaircir toute cette matière. Les idées les plus sûres et les plus clai»res de l'ordre nous apprennent (dit-il,) qu'un Etre qui existe par lui-même, qui est nécessaire, qui »>est éternel, doit être unique, infini, tout-puissant, et doué de toutes sortes de perfections. << Ce raisonnement auroit mérité d'être un peu mieux développé. Il faut maintenant voir (poursuit-il) si les »phénomènes de la Nature se peuvent commodé»ment expliquer par l'hypothèse d'un seul Prin»ripe.<« Nous l'avons expliqué suffisamment, en montrant qu'il y a des cas où quelque désordre dans la partie est nécessaire pour produire le plus grand ordre dans le tout. Mais il paroît que Mr. Bayle y en demande un peu trop, il voudroit qu'on lui montrât en détail comment le mal est lié avec le meilleur projet possible de l'Univers; ce qui seroit une explication parfaite du phénomène: mais nous n'entreprenons pas de la donner, et n'y sommes pas obligés non plus, car on n'est point obligé à ce qui nous est impossible dans l'état où nous sommes: il nous suffit de faire remarquer que rien n'empêche qu'un certain mal particulier ne soit lié avec ce qui est le meilleur en général. Cette explication imparfaite, et qui laisse quelque chose à découvrir dans l'autre vie, est suffisante pour la solution des objections, mais non pas pour une compréhension de la chose.

146. >>Les cieux et tout le reste de l'Univers, »(ajoute Mr. Bayle) prêchant la gloire, la puissance, »l'unité de Dieu,« il en falloit tirer cette conséquence, que c'est (comme j'ai déjà remarqué cidessus,) parcequ'on voit dans ces objets quelque chose d'entier et d'isolé, pour ainsi dire; et toutes les fois que nous voyons un tel Ouvrage de Dieu, nous le trouvons si accompli, qu'il en faut admirer l'artifice, et la beanté: mais lorsqu'on ne voit pas un Ouvrage entier, lorsqu'on n'envisage que des lambeaux et des fragmens, ce n'est pas merveille si le bon ordre n'y paroît pas. Le Système de nos Planètes compose un tel Ouvrage isolé, et parfait, lorsqu'on le prend à part; chaque plante, chaque animal, chaque homme en fournit un, jusqu'à un certain point de perfection; on y reconnoit le mer

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