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rois prouver ce que je sais des mauvaises suites bord très-facilement, et sans se faire aucune inqu'elle aura, Apollon m'ayant peut-être donné le commodité. Si la limitation de ses forces ne lui don de la Prophétie comme à Cassandre, à condi- permet pas de faire du bien saus faire sentir de tion qu'on ne me croira pas? Je serois donc obligé la douleur ou quelque autre incommodité, il passe de faire restitution, ne pouvant m'en défendre sans »par là (Voyez le Diction. hist. et critiq. pag. me perdre: ainsi je ne puis me dispenser de con- »2261. de la seconde édition), mais ce n'est qu'à tribuer au mal. Autre comparaison: Jupiter pro-regret, et il n'emploie jamais cette manière de se met à Sémélé, le Soleil à Phaeton, Cupidon à Psy-rendre utile, lorsqu'il peut l'être sans mêler auché, d'accorder la grace qu'on demandera. Ils jurent par le Styx,

Di cujus jurare timent et fallere Numen. On voudroit arrêter, mais trop tard, la demande entendue à demi,

Voluit Deus ora loquentis

Opprimere; exierat jam vox properata sub auras. L'on voudroit reculer après la demande faite, en faisant des remontrances inutiles; mais on vous presse, on vous dit:

Faites-vous des sermens pour n'y point satisfaire? La loi du Styx est inviolable, il la faut subir: si l'on a manqué en faisant le serment, on manque roit davantage en ne le gardant pas: il faut satisfaire à la promesse, quelque pernicieuse qu'elle soit à celui qui l'exige. Elle seroit pernicieuse à vous, si vous ne l'exécutiez pas. Il semble que le moral de ces fables insinue qu'une suprême nécessité peut obliger à condescendre au mal. Dieu, à la vérité ne connoît point d'autre Juge qui le puisse contraindre à donner ce qui peut tourner en mal, il n'est point comme Jupiter qui craint le Styx. Mais sa propre sagesse est le plus grand Juge qu'il puisse trouver, ses jugemens sont sans appel, ce sont les arrêts des Destinées. Les vérités éternelle, objet de sa sagesse, sont plus inviolables que le Styx. Ces Loix, ce Juge, ne contraignent point: ils sont plus forts, car ils persuadent. La sagesse ne fait que montrer à Dieu le meilleur exercice de sa bonté qui soit possible: après cela, le mal qui passe est une suite indispensable du meilleur. J'ajouterai quelque chose de plus fort: Permettre le mal, comme Dieu le permet, c'est la plus grande bonté.

Si mala sustulerat, non erat ille bonus. Il faudroit avoir l'esprit de travers, pour dire après cela qu'il est plus malin de laisser à quelqu'un toute la peine et toute la faute de sa perte. Quand Dieu la laisse à quelqu'un, elle lui appartient avant son existence, elle étoit dès-lors dans son idée encore purement possible, avant le décret de Dieu qui le fait exister; la peut-on laisser ou donner à un autre? C'est tout dire.

122. VII. »Un véritab'c bienfaiteur donne prom*tement, et n'attend pas à donner que ceux qu'il >>aime ayent souffert de longues misères par la pri»vation de ce qu'il pouvoit leur communiquer d'a

cune sorte de mal à ses faveurs. Si le profit qu'on pourroit tirer des maux qu'il feroit souffrir pou>> voit naître aussi aisément d'un bien tout pur que de ces maux-là, il prendroit la voie droite du bien >>tout pur, et non pas la voie oblique qui conduiroit »du mal au bien. S'il comble de richesses et d'hon>>neurs, ce n'est pas afin que ceux qui en ont jouï » venant à les perdre, soient affligés d'autant plus »sensiblement qu'ils étoient accoutumés au plaisir, »et que par-là ils deviennent plus malheureux que »les personnes qui ont été toujours privées de ces avantages. Un être malin combleroit de biens à ce prix-là les gens pour qui il auroit le plus de »haine. (rapportez à ceci ce passage d'Aristote >>Rhetor. 1. 2. c. 23. p. m. 446. olov ei doin av »τις τινὶ, ἵνα ἀφελόμενος λειπήσῃ ὅθεν και Tour' iontal,

Πολλοῖς ὁ δαίμων οὐ κατ ̓ εὐνοίαν φέρων Μέγαλα δίδωσιν ευτυχήματ', ἀλλ ̓ ἵνα Τὰς συμφορὰς λάβωσιν ἐπιφανεσέρας. id est: Veluti si quis alicui aliquid det, ut (postea) hoc (ipsi) erepto (ipsum) afficiat dolore. Unde etiam illud est dictum:

>> Bona magna multis non amicus dat Deus, >>Insigniore ut rursus his privet malo.)Toutes ces objections roulent presque sur le même Sophisme; elles changent et estropient le fait, elles ne rapportent les choses qu'à demi. Dieu a soin des hommes, il aime le Genre-humain, il lui veut du bien, rien de si vrai. Cependant il laisse tomber les homines, il les laisse souvent périr, il leur donne des biens, qui tournent à leur perte; et lorsqu'il rend quelqu'un heureux, c'est après bien des souffrances: où est son affection, où est sa bonté, ou bien où est sa puissance? Vaines objections, qui suppriment le principal, qui dissimulent que c'est de Dieu qu'on parle. Il semble que ce soit une mère, un tuteur, un gouverneur, dont le soin presque unique regarde l'éducation, la conservation, le bonheur de la personne dont il s'agit; et qui négligent leur devoir. Dieu a soin de l'Univers, il ne néglige rien, il choisit le meilleur absolument. Si quelqu'un est méchant et malheureux avec cela, il lui appartenoit de l'être. Dicu (dit-on) pouvoit dɑnner le bonheur à tous, il le pouvoit douner promptement et facilement, et sans se faire au

come incommodité, car il peut tout. Mais le doit-tre-là puisse témoigner pour la vertu, est de faire, il? Puisqu'il ne le fait point, c'est une marque qu'il le devoit faire tout autrement. D'en inférer, ou que c'est à regret et par un défaut de forces, qu'il manque de rendre les hommes heureux, et de donner le bien d'abord et sans mélange de mal; ou bien qu'il manque de bonne volonté pour le donner purement et tout de bon; c'est comparer notre vrai Dieu avec le Dieu d'Hérodote, plein d'envie, ou avec le Démon du Poëte, dont Aristote rapporte les lambes que nous venons de traduire en Latin, qui donne des biens, afin qu'il afflige d'avantage en les ôtant. C'est se jouer de Dieu par des Anthropomorphismes perpétuels; c'est le représenter comme un homme qui se doit tout entier à l'affaire dont il s'agit, qui ne doit l'exercice principal de sa bonté qu'aux seuls objets qui nous sont connus, et qui manque de capacité ou de bonne volonté. Dieu n'en manque pas, il pourroit faire le bien que nous souhaiterions; il le veut même, en le prenant détaché; mais il ne doit point le faire préférablement à d'autres biens plus grands qui s'y opposent. Au reste, on n'a aucun sujet de se plaindre de ce qu'on ne parvient' ordinairement au salut que par bien des fouffrances, et en portant la croix de Jésus-Christ; ces maux servent à rendre les élus imitateurs de leur Maître, et à augmenter leur bonheur.

s'il le 'peut, qu'elle soit toujours pratiquée sans »aucun mélange de vice. S'il lui est aisé de pro"curer à ses Sujets cet avantage, et que néanmoins il permette au vice de lever la tête, sauf à le pu»nir enfin après l'avoir toléré long-tems; son affec»tion pour la vertu n'est point la plus grande que l'on puisse concevoir; elle n'est donc pas infinie.<< Je ne suis pas encore à la moitié des dix-neuf Maximes, et je me lasse déjà de réfuter et de répondre toujours la même chose. Mr. Bayle multiplie sans nécessité ses maximes prétendues, opposées à nos dogmes. Quand on détache les choses liées ensemble, les parties de leur tout, le Genrehumain de l'Univers, les attributs de Dieu les uns des autres, la puissance de la sagesse; il est permis de dire que Dieu peut faire que la vertu soit dans le monde sans aucun mélange du vice, et même qu'il le peut faire aisément. Mais puisqu'il a permis le vice, il faut que l'ordre de l'Univers trouvé préférable à tout autre plan, l'ait demandé. Il faut juger qu'il n'est pas permis de faire autrement, puisqu'il n'est pas possible de faire mieux. C'est une nécessité hypothétique, une nécessité morale, laquelle bien loin d'être contraire à la liberté, est l'effet de son choix. Quae rationi contraria sunt, ea nec fieri à Sapiente posse credendum est. L'on objecte ici, que l'affection de Dieu pour la vertu n'est donc pas la plus grande qu'on puisse concevoir, qu'elle n'est pas infinie. On y a déjà répondu sur la seconde maxime, en disant que l'affection de Dieu pour quelque chose créée que ce soit est proportionée au prix de la chose. La vertu est la plus noble qualité des choses créées, mais ce n'est pas la seule bonne qualité des Créatures, il y en a une infinité d'autres qui attirent l'inclination de Dieu: de toutes ces inclinations résulte le plus de bien qu'il se peut; et il se trouve que s'il n'y avoit que vertu, s'il n'y avoit que Créatures raisonnables, il y auroit moins de bien. Midas se trouva moins riche, quand il n'eut que de l'or. Outre que la sagesse doit varier. Multiplier uniquement la même chose, quelque noble qu'elle puisse être, ce seroit une superfluité, ce seroit une pauvreté: avoir mille Virgiles bien reliés dans sa Bibliothèque, chanter toujours les airs de l'Opéra de Cadmus et d'Hermione, casser toutes les porcelaines pour n'avoir que des tasses d'or, n'avoir que des boutons de diamans, ne manger que des perdrix, ne boire que du vin de Hongrie ou de Shiras; appelleroit-on cela Raison? La nature a cu besoin d'animaux, de plantes, de corps inanimés; il y a dans ces Créatures non raisonnables des merveilles 124. IX. Le plus grand amour que ce mai- qui servent à exercer la Raison. Que feroit une

123. VIII. »La plus grande et la plus solide »gloire que celui qui est le maître des autres puisse »acquérir, est de maintenir parmi eux la vertu, »l'ordre, la paix, le contentement d'esprit. La »gloire qu'il tireroit de leur malheur, ne sauroit »être qu'une fausse gloire.

Si nous connoissions la Cité de Dieu telle qu'elle est, nous verrions que c'est le plus parfait état qui puisse être inventé; que la vertu et le bonheur y règnent, autant qu'il se peut, suivant les loix du meilleur; que le péché et le malheur, (que des raisons de l'ordre suprême ne permettoient point d'exclure entièrement de la nature des choses), n'y sont presque rien en comparaison du bien, et servent même à de plus grands biens. Or puisque ees maux devoient exister, il falloit bien qu'il y eût quelques-uns qui y fussent sujets; et nous sommes ces quelques-uns. Si c'étoient d'autres, n'y auroit-il pas la même apparence du mal? ou plutôt, ces autres ne seroient-ils pas ce qu'on appelle, Nous? Lorsque Dieu tire quelque gloire du mal pour l'avoir fait servir à un plus grand bien, il l'en devoit tirer. Ce n'est donc pas une fausse gloire, comme seroit celle d'un Prince qui bouleverseroit son Etat pour avoir l'honneur de le redresser.

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Créature intelligente, s'il n'y avoit point de choses | ses, s'il en vouloit exclure le vice qui s'y trouve. Cet état d'un parfait gouvernement, où l'on veut et fait le bien autant qu'il est possible, où le mal même sert au plus grand bien, est-il comparable avec l'état d'un Prince, dont les affaires sont délabrées, et qui se sauve comme il peut? ou avec celui d'un Prince qui favorise l'oppression pour la punir, et qui se plaît à voir les petits à la besace et les grands sur l'échaffaut?

non intelligentes? à quoi penseroit-elle, s'il n'y avoit ni mouvement, ni matière, ni sens? Si elle n'avoit que pensées distinctes, ce seroit un Dieu, sa sagesse seroit sans bornes; c'est une des suites de mes méditations. Aussi-tôt qu'il y a un mélange de pensées confuses, voilà les sens, voilà la matière. Car ces pensées confuses viennent du rapport de toutes les choses entre elles suivant la durée et l'étendue. C'est ce qui fait que dans ma Philosophie il n'y a point de Créature raisonnable sans quelque corps organique, et qu'il n'y a point d'esprit créé qui soit entièrement détaché de la matière. Mais ces corps organiques ne diffèrent pas moins en perfection, que les esprits à qui ils appartiennent. Done puisqu'il faut à la sagesse de Dieu un Monde de corps, un Monde de substances capables de perception et incapables de raison; enfin puisqu'il falloit choisir de toutes les choses, ce qui faisoit le meilleur effet ensemble, et que le vice y est entré par cette porte; Dieu n'auroit pas été parfaitement bon, parfaitement sage, s'il l'avoit exclus.

125. X. La plus grande haine que l'on puisse >>témoigner pour le vice, n'est pas de le laisser »régner fort long-tems, et puis de le châtier; mais » de l'écraser avant sa naissance, c'est-à-dire, d'em»>pêcher qu'il ne se montre nulle part. Un Roi, >>par exemple, qui mettroit un si bon ordre dans »ses finances, qu'il ne s'y commit jamais aucune malversation, feroit paroître plus de haine pour »l'injustice des partisans, que si après avoir souffert » qu'ils s'engraissassent du sang du peuple, il les faisoit pendre.«<

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C'est toujours la même chanson, c'est un anthropomorphisme tout pur. Un Roi ordinairement ne doit rien avoir plus à coeur, que d'exempter ses Sujets de l'oppression. Un de ses plus grands intérêts, c'est de mettre bon ordre à ses finances. Cependant il y a des tems, où il est obligé de tolérer le vice et les désordres. On a une grande guerre sur les bras, on se trouve épuisé, on n'a pas des Généraux à choisir, il faut ménager ceux que l'on a, et qui ont une grande autorité parmi les soldats; un Braccio, un Sforza, un Walstein. On manque d'argent aux plus pressans besoins, il faut recourir à de gros financiers, qui ont un crédit établi, et il faut conniver en même tems à leurs malversations. Il est vrai que cette malheureuse nécessité vient le plus souvent des fautes précédentes. Il n'en est pas de même de Dieu, il n'a besoin de personnes, il ne fait aucune faute, il fait toujours le meilleur. On ne peut pas même souhaiter que les choses aillent mieux, lorsqu'on les entend: et ce seroit un vice dans l'Auteur des cho

426. XI. »Un maître attaché anx intérêts de la vertu, et au bien de ses Sujets, donne tous ses »soins à faire en sorte qu'ils ne désobéissent jamais »a ses loix; et s'il faut qu'il les châtie pour leur »désobéissance, il fait en sorte que la peine les guérisse de l'inclination au mal, et rétablisse dans leur âme une ferme et constante disposition an bien, tant s'en faut qu'il veuille que la peine de la »>faute les incline de plus en plus vers le mal. «<

Pour rendre les hommes meilleurs, Dieu fait tout ce qui se doit, et même tout ce qui se peut de son côté, sauf ce qui se doit. Le but le plus ordinaire de la punition est l'amendement; mais ce n'est pas le but unique, ni celui qu'il se propose toujours. J'en ai dit un mot ci-dessus. Le péché originel, qui rend les hommes inclinés au mal, n'est pas une simple peine du premier péché; il en est une suite naturelle. On en a dit aussi un mot, en faisant une remarque sur la quatrième Proposition Théologique. C'est comme l'ivresse, qui est une peine de l'excès de boire, et en est en même tems une suite naturelle qui porte facilement à de nouveaux péchés.

127. XII. »Permettre le mal que l'on pourroit »empêcher, c'est ne se soucier point qu'il se commette ou qu'il ne se commette pas, ou souhaiter même qu'il se commette.»

Point du tout. Combien de fois les hommes permettent-ils des maux qu'ils pourroient empêcher, s'ils tournoient tous leurs efforts de ce côté-là! Mais d'autres goins plus importans les en empêchent. On prendra rarement la résolution de redresser les désordres de la monnoie, pendant qu'on a une grande guerre sur les bras. Et ce que fit la-dessus un Parlement d'Angleterre un peu avant la paix de Ryswyck, sera plus loué qu'imité. En peut-on conclure, que l'Etat ne se soucie pas de ce désordre, ou même qu'il le souhaite? Dieu a une raison bien plus forte, et bien plus digne de lui, de tolérer les maux. Non seulement il en tire de plus grands biens, mais encore il les trouve liés avec les plus grands de tous les biens possibles: de sorte que ce seroit un défaut de ne les point permettre.

128. XIII. C'est un très-grand défaut dans » ceux qui gouvernent, de ne soucier point qu'il y

"ait ou qu'il n'y ait point de désordre dans leurs »Etats. Le défaut est encore plus grand, s'ils y veulent et s'ils y souhaitent du désordre. Si par des voies cachées et indirectes, mais infaillibles, ils >>excitoient une sédition dans leurs Etats pour les -mettre à deux doigts de leur ruine, afin de se pro»curer la gloire de faire voir qu'ils ont le courage »et la prudence nécessaires pour sauver un grand Royaume prêt à périr, ils seroient très condam»nables. Mais s'ils excitoient cette sédition parce »qu'il n'y auroit d'autre moyen que celui-là de pré>venir la ruine totale de leurs Sujets, et d'affermir >>sur de nouveaux fondemens, et pour plusieurs »siècles, la félicité des peuples, il faudroit plaindre »la malheureuse nécessité, (voyez ci-dessus pag. 84. »86. 140. ce qui a été dit de la force de la né»cessité) où ils auroient été réduits, et les louer -de l'usage qu'ils en auroient fait.«<

Cette maxime, avec plusieurs autres qu'on étale ici, n'est point applicable au gouvernement de Dieu. Outre que ce n'est qu'une très-petite partie de son Royaume, dont on nous objecte les désordres, il est faux qu'il ne se soucie point des maux, qu'il les souhaite, qu'il les fasse naître, pour avoir la gloire de les appaiser. Dieu veut l'ordre et le bien; mais il arrive quelquefois que ce qui est désordre dans la partie, est ordre dans le tout. Nous avons déjà allégué cet axiome de Droit: Incivile est nisi tota lege inspecta judicare. La permission des maux vient d'une espèce de nécessisé morale: Dieu y est obligé par sa sagesse et par sa bonté; cette nécessité est heureuse, au lieu que celle du Prince, dont parle la maxime, est malheureuse. Son Etat est un des plus corrompus; et le gouvernement de Dieu est le meilleur Etat qui soit possible.

129. XIV. »La permission d'un certain mal »n'est excusable, que lorsque l'on n'y sauroit re»médier sans introduire un plus grand mal; mais »>elle ne sauroit être excusable dans ceux qui ont en »main un remède très efficace contre ce mal, et >contre tous les autres maux qui pourroient naître » de la suppression de celui-ci.

La Maxime est vraie, mais elle ne peut pas être alléguée contre le gouvernement de Dieu. La suprème Raison l'oblige de permettre le mal. Si Dieu choisissoit ce qui ne seroit pas le meilleur absolument et en tout, ce seroit un plus grand mal que tous les maux particuliers qu'il pourroit empêcher par ce moyen. Ce mauvais choix renverseroit sa sagesse ou sa bonté.

130. XV. L'Etre infiniment puissant, et Créateur de la matière et des esprits, fait tout ce qu'il » veut de cette matière et de ces esprits. Il n'y a

point de situation et de figure qu'il ne puisse conr»muniquer aux esprits. S'il permettoit donc un mal physique, ou un mal moral, ce ne seroit pas à cause que sans cela quelque autre mal physique, où moral, encore plus grand, seroit tout à-fait inévitable. Nulle des raisons du mélange du bien et du mal, fondées sur la limitation des forces des bien»faiteurs, ne lui sauroit convenir.«<

Il est vrai que Dieu fait de la matière et des esprits tout ce qu'il veut; mais il est comme un bon Sculpteur, qui ne veut faire de son bloc de marbre que ce qu'il juge le meilleur, et qui en jage bien. Dieu fait de la matière la plus belle de toutes les machines possibles; il fait des Esprits le plus beau de tous les gouvernemens concevables; et par dessus tout cela, il établit pour leur union la plus parfaite de toutes les harmonies, suivant le système que j'ai proposé. Or puisque le mal physique et le mal moral se trouvent dans ce parfait ouvrage, on en doit juger (contre ce que Mr. Bayle assure ici) que sans cela un mal encore plus grand auroit été tout-à-fait inévitable. Ce inal si grand seroit que Dieu auroit mal choisi, s'il avoit choisi autrement qu'il n'a fait. Il est vrai que Dieu est infiniment puissant; mais sa puissance est indéterminée, la bonté et la sagesse jointes la déterminent à produire le meilleur. Mr. Bayle fait ailleurs une objection qui lui est particulière, qu'il tire des sentimens des Cartésiens modernes, qui disent que Dieu pouvoit donner aux âmes les pensées qu'il vouloit, sans les faire dépendre d'aucun rapport aux corps: par ce moyen on épargneroit aux âmes un grand nombre de maux, qui ne viennent que du dérangement des corps. On en parlera d'avantage plus bas, maintenant il suffit de considérer que Dieu ne sauroit établir un système mal lié et plein de dissonnances. La nature des âmes est en partie de représenter les corps.

131. XVI. »On est autant la cause d'un événement, lorsqu'on le procure par des voies morales, que lorsqu'on le procure par des voies physiques. »Un Ministre d'Etat, qui sans sortir de son cabi>>net et se servant seulement des passions des direc»teurs d'une cabale, renverseroit tous leurs com»plots, ne seroit pas moins l'auteur de la ruine de »cette cabale, que s'il la détruisoit par des coups »de main.«

Je n'ai rien à dire contre cette Maxime. On impute toujours le mal aux causes morales, et on ne l'impute pas toujours aux causes physiques. J'y remarque seulement que si je ne pouvois empêcher le péché d'autrui, qu'en commettant moi-même un péché, j'aurois raison de le permettre, et je n'en serois point complice, ni cause morale. En Dieu,

tout défaut tiendroit lieu de péché; il seroit même plus que le péché, car il détruiroit la Divinité. Et ce seroit un grand défaut à lui, de ne point choisir le meilleur. Je l'ai déjà dit plusieurs fois. It empêcheroit donc le péché par quelque chose de plus mauvais que tous les péchés.

partie, et de faire mourir tout le reste, sans excepter les enfans à la mammelle.

Il semble qu'on suppose, qu'il y a cent mille fois plus de damnés, que de sauvés, et que les enfans morts sans baptême sont du nombre des premiers. L'un et l'autre est contredit: et surtout la damnation de ces enfans. J'en ai parlé ci-dessus. Monsieur Bayle presse la même objection ailleurs (Réponse au Provincial, ch. 178. p. 1223. T. 3.). Nous voyons manifestement (dit-il) qu'un Souve »rain qui veut exercer et la justice et la clémence,

132. XVII. C'est toute la même chose, d'em»ployer une cause nécessaire, et d'employer une »cause libre, en choisissant les momens où on la >connoît déterminée. Si je suppose que la poudre »à canon a le pouvoir de s'allumer ou de ne s'allu»mer pas quand le feu la touche, et que je sachelorsqu'une Ville s'est soulevée, doit se contenter >>certainement qu'elle sera d'humeur à s'allumer à >>huit heures du matin, je serai autant la cause de »ses effets en y appliquant le feu à cette heure là, »que je le serois dans la supposition véritable, qu'elle est une cause nécessaire. Car à mon égard elle ne seroit plus une cause libre; je la prendrois dans le moment, où je la saurois nécessitée >par son propre choix. Il est impossible qu'un »Etre soit libre ou indifférent à l'égard de ce à quoi »il est déjà déterminé, et quant au tems où il y est »déterminé. Tout ce qui existe, existe nécessaire>ment pendant qu'il existe- (To siva to ov Orav ᾖ, καὶ τὸ μὴ ὂν μὴ εἶναι ὅταν μὴ ᾖ, ἀνάγκη. Necesse est id quod est, quando est, esse; et id quod non est, quando non est, non esse. Arist. de interpret. cap. 9. »Les Nominaux ont adopté cette » maxime d'Aristote. Scot et plusieurs autres Sco→lastiques semblent la rejeter, mais au fonds leurs >>distinctions reviennent à la même chose. Voyez - les Jésuites de Conimbre sur cet endroit d'Aristote, p. 380. seq.).

Cette maxime peut passer aussi, je voudrois seulement changer quelque chose dans les phrases. Je ne prendrois point libre et indifférent pour une même chose, et ne ferois point opposition entre libre et déterminé. On n'est jamais parfaitement indifférent d'une indifférence d'équilibre; on est toujours plus incliné, et par conséquent plus déterminé, d'un côté que d'un autre: mais on n'est jamais nécessité aux choix qu'on fait. J'entends ici une nécessité absolue et métaphysique; car il faut avouer que Dieu, que le Sage, est porté au meilleur par une nécessité morale. Il faut avouer aussi, qu'on est nécessité au choix par une nécessité hypothétique, lorsqu'on fait le choix actuellement: et même auparavant on y est nécessité par la vérité même de la futurition, puisqu'on le fera. Ces nécessités hypothétiques ne nuisent point. J'en ai assez parlé ci-dessus.

133. XVIII. »>Quand tout un grand peuple s'est -rendu coupable de rebellion, ce n'est point assez »de clémence que de pardonner à la cent-millième

»de la punition d'un petit nombre de mutins, et
pardonner à tous les autres: car si le nombre de
ceux qui sont châtiés est comme mille à un, en
comparaison de ceux à qui il fait grace, il ne peut
»passer pour débonnaire, et il passe pour cruel. Il
passeroit à coup sûr pour un tyran abominable,
s'il choisissoit des châtimens de longue durée, et
s'il n'épargnoit le sang que parce qu'il seroit per-
»suadé qu'on aimeroit mieux la mort qu'une vie
misérable; et si enfin l'envie de se venger avoit
plus de part à ses rigueurs, que l'envie de faire
servir au bien public la peine qu'il feroit porter à
»presque tous les rebelles. Les malfaiteurs que Tea
exécute sont censés expier leurs crimes si pleins-
ment par la perte de la vie, que le public n'en
demande pas d'avantage, qu'il s'indigne quand les
bourreaux sont mal-adroits. On les lapideroit, si
l'on savoit qu'expressément ils donneut plusieurs
coups de hache: et les Juges qui assistent à l'exé-
"cution ne seroient pas hors de péril, si l'on croyoit
qu'ils se plaisent à ce mauvais jeu des bourreaux,
»et qu'ils les ont exhortés sous main à s'en servir.
(Notez qu'on ne doit pas entendre ceci dans l'uni-
»versalité à la rigueur. Il y a des cas où le peuple
»approuve qu'on fasse mourir à petit feu certains
criminels, comme quand François I. fit ainsi mou-
»rir quelques personnes accusées d'hérésie après les
fameux placards de l'an 1534. On n'eut aucune
pitié pour Ravaillae, qui fut tourmenté en pla-
sieurs manières horribles. Voyez le Mercure
François to. 1. fol. m. 455. et suiv. Voyez aussi
Pierre Matthieu dans son Histoire de la mort
d'Henri IV. et n'oubliez pas ce qu'il dit pag. m. 99.
touchant ce que les Juges discutèrent à l'égard da
supplice de ce parricide.) Enfin il est d'une no-
»toriété qui n'a presque point d'égale, que les Sou-
verains qui se règleroient sur Saint Paul, je veux
»dire condamneroient au dernier supplice tous ceux
»qu'il condamne à la mort éternelle, passeroient
pour ennemis du Genre-humain, et pour desire-
»teurs des Sociétés. Il est incontestable que leurs
»Loix, bien loin d'être propres selon le but des

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