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Cette explication paroît lever les embarras qui se présentent ici en Philosophie ou en Théologie; puisque la difficulté de l'origine des formes cesse entièrement; et puisqu'il est bien plus convenable à la justice Divine de donner à l'âme, déjà corrompue physiquement ou animalement par le péché d'Adam, une nouvelle perfection qui est la Raison, que de mettre une âme raisonnable par création ou autrement, dans un corps où elle doive être corrompue moralement.

92. Or l'âme étant une fois sous la domination du péché, et prête à en commettre actuellement, aussi-tôt que l'homme sera en état d'exercer la raison; c'est une nouvelle question, si cette disposition d'un homme qui n'a pas été régénéré par le baptême, suffit pour le damner, quand même il ne viendroit jamais au péché actuel, comme il peut arriver, et arrive souvent, soit qu'il meure avant l'âge de raison, soit qu'il devienne hébété avant que d'en faire usage. Ou soutient que S. Grégoire de Naziance le nie (Orat. de Baptismo): mais S. Augustin est pour l'affirmative, et prétend que le seul péché originel suffit pour faire mériter les flammes de l'Enfer; quoique ce sentiment soit bien dur, pour ne rien dire de plus. Quand je parle ici de la damnation et de l'Enfer, j'entends des douleurs, et non pas une simple privation de la félicité suprême; j'entends poenam sensus, non dam ni. Grégoire de Rimini, Général des Augustins, avec peu d'autres, a suivi S. Augustin contre l'opinion reçue des Ecoles de son tems, et pour cela il étoit appellé le bourreau des enfans, tortor infantum. Les Scolastiques, au lieu de les envoyer dans les flammes de l'Enfer, leur ont assigné un Limbe exprès, où ils ne souffrent point, et ne sont punis que par la privation de la vision béatifique. Les Révélations de Sainte Brigitte (comme on les appelle) fort estimées à Rome, sont aussi pour ce dogine. Salmeron et Molina, après Ambroise Catharin et autres, leur accordent une certaine béatitude naturelle; et le Cardinal Sfondrat, homme de savoir et de piété, qui l'approuve, est allé dernièrement jusqu'à préférer en quelque façon leur état, qui est l'état d'une heureuse innocence, à celui d'un pécheur sauvé; comme l'on voit dans son Nodus praedestinationis solutus: mais il paroît que c'est un peu trop. Il est vrai qu'une âme éclairée comme il faut ne voudroit point pécher, quand elle pourroit obtenir par ce moyen tous les plaisirs imaginables: mais le cas de choisir entre le péché et la véritable béatitude, est un cas chimérique, et il vaut mieux obtenir la béatitude (quoiqu'après la pénitence) que d'en être privé pour toujours.

93. Beaucoup de Prélats et de Théologiens de France qui sont bien aises de s'éloigner de Molina, et de s'attacher à S. Augustin, semblent pencher vers l'opinion de ce grand Docteur, qui condamnne aux flammes éternelles les enfans morts dans l'âge d'innocence avant que d'avoir reçu le baptême. C'est ce qui paroît par la Lettre citée cidessus, que cinq insignes Prélats de France écrivirent au Pape Innocent XIL, contre ce Livre posthume du Cardinal Sfondrat; mais dans laquelle ils n'osèrent condamner la doctrine de la peine purement privative des enfans morts sans baptême, la voyant approuvée par le vénérable Thomas d'Aquin, et par d'autres grands hommes. Je ne parle point de ceux qu'on appelle d'un côté Jansénistes, et de l'antre côté disciples de Saint Augustin, car ils se déclarent entièrement et fortement pour le sentiment de ce Père. Mais il faut avouer que ce sentiment n'a point de fondement suffisant ni dans la Raison, ai dans l'Écriture, et qu'il est d'une dureté des plus choquantes. Monsieur Nicole l'excuse assez mal dans son Livre de l'Unité de l'Eglise opposé à Mr. Jurieu, quoique Mr. Bayle prenne son parti, chap. 178. de la Réponse aux Questions du Provincial, Tom. 3. Mr. Nicole se sert de ce prétexte, qu'il y a encore d'autres dogmes dans la Religion Chré tienne qui paroissent durs. Mais outre que ce n'est pas une conséquence qu'il doit être permis de multiplier ces duretés sans preuve, il faut considérer que les autres dogmes que Monsieur Nicole allègue, qui sont le péché originel et l'éternité des peines, ne sont durs et injustes qu'en apparence; au lieu que la damnation des enfans morts sans péché actuel et sans régénération le seroit véritablement, et que ce seroit damner en effet des innocens. Et cela me fait croire que le parti qui soutient cette opinion, n'aura jamais entièrement le dessus dans l'Eglise Romaine même. Les Théologiens Evangéliques ont coutume de parler avec assez de modération sur co sujet, et d'abandonner ces âmes au jugement et à la clémence de leur Créateur. Et nous ne savons pas toutes les voies extraordinaires, dont Dicu se peut servir pour éclairer les âmes.

94. L'on peut dire que ceux qui damnent pour le seul péché originel, et qui damnent par conséquent les enfans morts sans baptême, ou hors de l'Alliance, tombent sans y penser dans un certain usage de la disposition de l'homme et de la prescience de Dieu, qu'ils désapprouvent en d'autres: ils ne veulent pas que Dieu refuse ses graces à ceux qu'il prévoit y devoir résister, ni que cette prévision et cette disposition soit cause de la damuation de ces personnes; et cependant ils prétendent que la disposition qui fait le péché originel, et dans la

quelle Dieu prévoit que l'enfant péchera aussi-tôt qu'il sera en âge de raison, suffise pour damner cet enfant par avance. Ceux qui soutiennent l'un et rejettent l'autre, ne gardent pas assez d'uniformité et de liaison dans leurs dogmes.

95. Il n'y a guères moins de difficulté sur ceux qui parviennent à l'âge de discrétion, et se plongent dans le péché, en suivant l'inclination de la nature corrompue, s'ils ne reçoivent point le secours de la grace nécessaire pour s'arrêter sur le penchant du précipice, ou pour se tirer de l'abime où ils sont tombés. Car il paroit dur de les damner éternellement, pour avoir fait ce qu'ils n'avoient point le pouvoir de s'empêcher de faire. Ceux qui damnent jusqu'aux enfans incapables de discrétion, se soucient encore moins des adultes, et l'on diroit qu'ils se sont endurcis à force de penser voir souffrir les gens. Mais il n'en est pas de même des autres, et je serois assez pour ceux qui accordent à tous les hommes une grace suffisante à les tirer du mal, pourvu qu'ils ayent assez de disposition pour profiter de ce secours, et pour ne le point rejeter volontairement. L'on objecte qu'il y a eu, et qu'il y a encore une infinité d'hommes parmi les peuples civilisés et parmi les barbares, qui n'ont jamais eu cette connoissance de Dieu et de Jésus-Christ, dont on a besoin pour être sauvé par les voies ordinaires. Mais sans les excuser par la prétention d'un péché purement philosophique, et sans s'arrêter à une simple peine de privation, choses qu'il n'y a pas lieu de discuter ici; on peut douter du fait: car que savons-nous, s'ils ne reçoivent point de secours ordinaires ou extraordinaires qui nous sont inconnus? Cette maxime, Quod facienti quod in se est, non denegatur gratia necessaria, me paroit d'une vérité éternelle. Thomas d'Aquin, l'Archevêque Bradwardin et d'autres, ont insinué qu'il se passoit là-dedans quelque chose, que nous ne savons pas. (Thom. quest. 14. de Veritate artic. 11. ad 1. et alibi. Bradwardin de causa Dei non procul ab initio.) Et plusieurs Théologiens fort autorisés dans l'Eglise Romaine même, ont enseigné qu'un acte sincère de l'amour de Dieu sur toutes choses suffit pour le salut, lorsque la grace de Jésus-Christ le fait exciter. Le Père François Xavier répondit aux Japonois, que si leurs ancêtres avoient bien usé de leurs lumières naturelles, Dieu leur auroit donné les graces nécessaires pour être sauvés; et l'Evêque de Genève François de Sales approuve fort cette réponse, (Liv. 4. de l'amour de Dieu, chap. 5.)

96. C'est ce que j'ai remontré autrefois à l'excellent Monsieur Pélisson, pour lui faire voir que I'Eglise Romaine allant plus loin que les Protestans,

ne damne point absolument ceux qui sont hors de sa Communion, et même hors du Christianisme, en ne le mesurant que par la foi explicite: et il ne l'a point réfuté à proprement parler dans la Réponse très-obligeante qu'il m'a faite, et qu'il a mise dans la quatrième partie de ses Réflexions, à laquelle il m'a fait l'honneur de joindre mon Ecrit. Je lui donnai alors à considérer ce qu'un célèbre Théologien Portugais, nommé Jaques Payva Andradius, envoyé au Concile de Trente, en a écrit contre Chemnice pendant ce même Concile. Et maintenant, sans alléguer beaucoup d'autres Auteurs, je me contenterai de nommer le Père Frédéric Spee Jésuite, un des plus excellens hommes de sa Société, qui a aussi été de ce sentiment commun de l'efficace de l'Amour de Dieu, comme il paroît par la Préface du beau Livre qu'il a fait en Allemand sur les vertus Chrétiennes. Il parle de cette observation comme d'un secret de piété fort important, et s'étend fort distinctement sur la force de l'amour Divin d'effacer le péché sans même l'intervention des Sacremens de l'Eglise Catholique, pourvu qu'on ne les méprise pas, ce qui ne seroit point compatible avec cet amour. Et un très-grand personnage, dont le caractère étoit un des plus relevés qu'on puisse avoir dans l'Eglise Romaine, m'en donna la première connoissance. Le Père Spec étoit d'uno Famille noble de Westphalic, (pour le dire en passant) et il est mort en odeur de sainteté, suivant le témoignage de celui qui a publié ce Livre à Cologne avec l'approbation des Supérieurs.

97. La mémoire de cet exellent homme doit encore être précieuse aux personnes de savoir et de bon-sens, parcequ'il est l'Auteur du Livre intitulé, Cautio criminalis circa processus contra Sagas, qui a fait beaucoup de bruit, et qui a été traduit en plusieurs Langues. J'ai appris du grand Electeur de Maïence, Jean Philippe de Schönborn, oncle de S. A. E. d'à présent, laquelle marche, glorieusement sur les traces de ce digne prédécesseur, que ce Père s'étant trouvé en Franconie, lorsqu'on y faisoit rage pour brûler des Sorciers prétendus, et en ayant accompagné plusieurs jusqu'au bûcher, qu'il avoit reconnu tous innocens par les confessions et par les recherches qu'il en avoit faites, en fut si touché, que malgré le danger qu'il y avoit alors de dire la vérité, il se résolut à composer cet Ouvrage (sans s'y nommer pourtant) qui a fait un grand fruit, et qui a converti sur ce chapitre cet Electeur, encore simple Chanoine alors, et depuis Evêque de Wurzbourg, et enfin aussi Archevêque de Maïence; lequel fit cesser ces brûleries aussi-tôt qu'il parvint à la Régence. En quoi il a été suivi par les Ducs de Brunswic, et en

fin par la plupart des autres Princes et Etats d'Allemagne.

98. Cette digression m'a paru de saison, parceque cet Auteur mérite d'être plus connu, et je reviens au sujet, où j'ajouterai qu'en supposant qu'aujourd'hui une connoissance de Jésus-Christ selon la chair est nécessaire au salut, comme en effet c'est le plus sûr de l'enseigner, l'on pourra dire que Dieu la donnera à tous ceux qui font ce qui dépend humainement d'eux, quand même il faudroit le faire par miracle. Aussi ne pouvons-nous savoir ce qui se passe dans les âmes à l'article de la mort: et si plusieurs Théologiens savans et graves soutiennent que les enfans reçoivent une espèce de foi dans le baptême, quoiqu'ils ne s'en souviennent point depuis, quand en les interroge là-dessus; pourquoi prétendroit-on que rien de semblable, ou même de plus exprès, ne se pût faire dans les mourans, que nous ne pouvons pas interroger après leur mort? De sorte qu'il y a une infinité de chemins ouverts à Dieu, qui lui donnent moyen de satisfaire à sa bonté et tout ce qu'on peut objecter, c'est que nous ne savons pas de quelle voie il se sert; ce qui n'est rien moins qu'une objection valable.

99. Venons à ceux qui ne manquent pas du pouvoir de se corriger, mais de bonne intention: ils sont inexcusables sans doute; mais il y reste toujours une grande difficulté par rapport à Dieu, puisqu'il dépendoit de lui de leur donner cette bonne volonté même. Il est le maître des volontés, les coeurs des Rois et ceux des autres hommes sont dans sa main. La Sainte Ecriture va jusqu'à dire qu'il endurcit quelquefois les méchans, pour mon trer sa puissance en les punissant. Cet endurcisse ment ne doit pas être entendu, comme si Dieu y imprimoit extraordinairement une espèce d'antigrace, c'est-à-dire une répugnance au bien, ou même une inclination au mal, comme la grace qu'il donne est une inclination au bien: mais c'est que Dieu ayant considéré la suite des choses qu'il a établies, a trouvé à propos pour des raisons supérieures, de perinettre que Pharaon, par exemple, fût dans des circonstances qui augmentassent sa inéchanceté; et que la Divine Sagesse a voulu tirer un bien de ce mal.

100. Ainsi le tout revient souvent aux circonstances, qui font une partie de l'enchaînement des choses. Il y a une infinité d'exemples des pe tites circonstances qui servent à convertir ou à pervertir. Rien n'est plus connu que le Tolle, Lege, (prends et lis) que S. Augustin entendit crier dans une maison voisine, lorsqu'il délibéroit sur le parti qu'il devoit prendre parmi les Chrétiens divisés en Sectes, et se disant,

Quod vitae sectabor iter?

ce qui le porta à ouvrir au hazard les Livres des Divines Ecritures qu'il avoit devant lui, et d'y lire ce qui tomba sous ses yeux; et ce furent des pas roles, qui achevèrent de le déterminer à quitter le Manichéisme. Le bon Monsieur Stenonis Danois, Evêque titulaire de Titianopolis, et Vicaire Apostolique (comme on parle) à Hannover, et aux en virons, lorsqu'il y avoit un Duc régent de sa Religion, nous disoit qu'il lui étoit arrivé quelque chose de semblable. Il étoit grand Anatomiste, et fort versé dans la connoissance de la Nature; mais il en abandonna malheureusement la recherche, et d'un grand Physicien il devint un Théologien médiocre. Il ne vouloit presque plus entendre parler des merveilles de la Nature, et il auroit fallu un commanmandement exprès du Pape in virtute sanctae obedientiae, pour tirer de lui les observations que Monsieur Thévenot lui demandoit. Il nous racontoit donc que ce qui avoit contribué beancoup à le déterminer à se mettre dans le parti de l'Eglise Romaine, avoit été la voix d'une Dame à Florence, qui lui avoit crié d'une fenêtre: N'allez pas du côté où vous voulez aller, Monsieur, allez de l'autre côté. Cette voix me frappa, (nous dit-il) parceque j'étois en méditation alors sur la Religion. Cette Dame savoit qu'il cherchoit un homme dans la maison où elle étoit, et le voyant prendre un chemin pour l'autre, lui vouloit enseigner la chambre de son ami.

101. Le Père Jean Davidius Jésuite a fait un Livre intitulé, Veridicus Christianus, qui est comme une espèce de Bibliomance, où l'on prend les passages à l'avanture, à l'exemple du Tolle, Lege, de S. Augustin, et c'est comme un jeu de dévotion. Mais les hazards où nous nous trouvons malgré nous, ne contribuent que trop à ce qui donne ou ôte le salut aux hommes. Figurons-nous deux enfans jumeaux Polonois, l'un pris par les Tartares, vendu aux Tures, porté à l'apostasie, plongé dans l'impiété, mourant dans le désespoir; l'autre sauvé par quelque hazard, tombé depuis en bounes mains pour être instruit comme il faut, pénétré des plus solides vérités de la Religion, exercé dans les vertus qu'elle nous recommande, mourant avec tous les sentimens d'un bon Chrétien: on plaindra le malheur du premier, qu'une petite circonstance peut-être a empêché de se sauver aussi-bien que son frère; et l'on s'étonnera que ce petit hazard aît du décider de son sort par rapport à l'éternité.

102. Quelqu'un dira peut-être, que Dieu a prévu par la science moyenne, que le premier auroit aussi été méchant et damné, s'il étoit demeuré en Pologne. Il y a peut-être des rencontres dans les

quelles quelque chose de tel a lien. Mais dira-t-on | glorifier, il faut que nous ignorions les raisons du done que c'est une règle générale, et que pas un de choix de Dieu: aussi sont-elles trop variées pour ceux qui ont été damnés parmi les Païens n'auroit tomber sous notre connoissance, et il se peut que été sauvé, s'il avoit été parmi les Chrétiens? Ne Dieu montre quelquefois la puissance de sa grace seroit-ce pas contredire à notre Seigneur, qui dit en surmontant la plus opiniâtre résistance, afin que que Tyr et Sidon auroient mieux profité de ses pré- personne n'ait sujet de se désespérer, comme perdications que Capernaum, s'ils avoient eu le bon- sonne n'en doit avoir de se flatter. Et il semble que Saint Paul a eu cette pensée, se proposant à heur de les entendre? cet égard en exemple: Dieu, dit-il, m'a fait miséricorde, pour donner un grand exemple de patience.

103. Mais quand on accorderoit même ici cet usage de la science moyenne, contre toutes les apparences; elle suppose toujours que Dieu considère ce que l'homme feroit en telles ou telles circonstances, on il demeure toujours vrai que Dieu auroit pu le mettre dans d'autres plus salutaires, et lui donner des secours internes ou externes, capables de vaincre le plus grand fonds de malice, qui pourroit se trouver dans une âme. On me dira que Dicu n'y est point obligé, mais cela ne suffit pas; il faut ajouter que de plus grandes raisons l'empêchent de faire sentir toute sa bonté à tous. Ainsi il faut qu'il y ait du choix, mais je ne pense point qu'on en doive chercher la raison absolument dans le bon ou dans le mauvais naturel des hommes: car si l'on suppose avec quelques-uns, que Dieu choississant le plan qui produit le plus de bien, mais qui enveloppe le péché et la damnation, a été porté par sa sagesse à choisir les meilleurs naturels pour en faire des objets de sa grace; il semble que la Grace de Dieu ne sera point assez gratuite, et que l'homme se distinguera lui-même par une espèce de mérite inné; ce qui paroît éloigné des principes de Saint Paul, et même de ceux de la Souveraine Raison,

104. Il est vrai qu'il y a des raisons du choix de Dieu, et il faut que la considération de l'objet, c'est-à-dire du naturel de l'homme, y entre; mais il ne paroit point que ce choix puisse être assujetti à une règle, que nous soyons capables de concevoir, et qui puisse flatter l'orgueil des hommes. Quelques Théologiens célèbres croient que Dieu offre plus de graces, ou d'une manière plus favorable, à ceux qu'il prévoit devoir moins résister, et qu'il abandonne les autres à leur opiniâtreté: il y a lieu de croire qu'il en est souvent ainsi, et cet expédient entre ceux qui font que l'homme se distingue luimême par ce qu'il y a de favorable dans son naturel, s'éloigne le plus du Pélagianisme. Cependant je n'oseroit pas non plus en faire une règle universelle. Et afin que nous n'ayons point sujet de nous

105. Peut-être que dans le fond tous les hommes sont également mauvais, et par conséquent hors d'état de se distinguer eux-mêmes par leurs bonnes ou moins mauvaises qualités naturelles; mais ils ne sont point mauvais d'une manière semblable: car il y a une différence individuelle originaire entre les âmes, comme l'harmonie préétablie le montre. Les uns sont plus ou moins portés vers un tel bien ou vers un tel mal, ou vers leur contraire; le tout selon leurs dispositions naturelles: mais le plan général de l'Univers que Dieu a choisi pour des raisons supérieures, faisant que les hommes se trouvent dans de différentes circonstances, ceux qui en rencontrent de plus favorables à leur naturel, deviendront plus aisément les moins méchans, les plus vertueux, les plus heureux; mais toujours par l'assistance des impressions de la grace interne que Dieu y joint. Il arrive même quelquefois encore dans le train de la vie humaine, qu'un naturel plus excellent réussit moins, faute de culture ou d'occasions. On peut dire que les hommes sont choisis et rangés non pas tant suivant leur excellence, que suivant la convenance qu'ils ont avec le plan de Dieu; comme il se peut qu'on emploie une pierre moins bonne dans un bâtiment ou dans un assortiment, parce qu'il se trouve que c'est celle qui remplit un certain vuide.

106. Mais enfin toutes ces tentatives de raisons, où l'on n'a point besoin de se fixer entièrement sur de certaines hypothèses, ne servent qu'à faire concevoir qu'il y a mille moyens de justifier la conduîte de Dieu; et que tous les inconvéniens que nous voyons, toutes les difficultés qu'on se peut faire, n'empêchent pas qu'on ne doive croire raisonnablement, quand on ne le sauroit pas d'ailleurs démonstrativement, comme nous l'avons déjà montré, et comme il paroîtra davantage dans la suite, qu'il n'y a rien de si élevé que la sagesse de Dien, rien de si juste que ses jugemens, rien de si pur que sa sainteté, et rien de plus immense que sa bonté.

SUR

LA BONTÉ DE DIEU, LA LIBERTÉ DE L'HOMME

ET L'ORIGINE DU MAL.

SECONDE PARTIE.

»saire, infiniment bon, saint, sage et puissant, possède de toute éternité une gloire et une béatitude, qui ne peuvent jamais ni croître ni diminuer. Cette proposition de Mr. Bayle n'est pas moins philosophique que théologique. De dire que Dien possède une gloire quand il est scul, c'est ce qui dépend de la signification du terme. L'on peut dire avec quelques-uns, que la gloire est la satisfaction qu'on trouve dans la connoissance de ses propres perfections; et dans ce sens Dieu la possède toujours: mais quand la gloire signifie que les autres en prennent connoissance, l'on peut dire que Dieu ne l'acquiert que quand il se fait connoître à des Créatures intelligentes: quoiqu'il soit vrai que Dieu n'obtient pas par-là un nouveau bien, et que ce sont plutôt les Créatures raisonnables qui s'en trouvent bien, lorsqu'elles envisagent comme il faut la gloire de Dieu.

107. Jusqu'ici nous nous sommes attachés à donner une exposition ample et distincte de toute cette matière: et quoique nous n'ayons pas encore parlé des objections de M. Bayle en particulier, nous avons tâché de les prévenir, et de donner les moyens d'y répondre. Mais comme nous nous sommes chargés du soin d'y satisfaire en détail, non seulement parce qu'il y aura peut-être encore des endroits qui mériteront d'être éclaircis, mais encore parce que ses instances sont ordinairement pleines d'esprit et d'érudition, et servent à donner un plus grand jour à cette controverse; il sera bon d'en rapporter les principales qui se trouvent dispersées dans ses Ouvrages, et d'y joindre nos solutions. Nous avons remarqué d'abord, »que Dieu concourt »>au mal moral, et au mal physique, et à l'un et à »l'autre d'une manière morale et d'une manière «physique; et que l'homme y concourt aussi mo»ralement et physiquement d'une manière libre et 110. II. »Il se détermina librement à la pro>>active, qui le rend blåmable et punissable. Nous »duction des Créatures, et il choisit entre une inavons montré aussi que chaque point a sa diffi- »finité d'Etres possibles, ceux qu'il lui plut, pour culté: mais la plus grande est de soutenir que >leur donner l'existence, et composer l'Univers, et Dieu concourt moralement au mal moral, c'est-à-»laissa tous les autres dans le néant. Cette prodire au péché, sans être auteurdu péché, et même position est aussi très-conforme à cette partie de la sans en être complice.

108. I le fait en le permettant justement, et en le dirigeant sagement au bien, comme nous l'avons montré d'une manière qui paroît assez intelligible. Mais comme c'est en cela que M. Bayle se fait fort principalement de battre en ruine ceux qui soutiennent qu'il n'y a rien dans la Foi qu'on ne puisse accorder avec la Raison, c'est aussi particulièrement ici qu'il faut montrer que nos dogmes sont munis d'un rempart, même de raisons capables de résister au feu de ses plus fortes batteries, pour nous servir de son allégorie. Il les a dressées contre nous dans le chapitre CXLIV de sa Réponse aux Questions d'un Provincial (Tom. III. pag. 812), où il renferme la Doctrine Théologique en sept Propositions, et y oppose dix-neuf Maximes Philosophiques, comme autant de gros canons capables de faire brèche dans notre rempart. Commençons par les Propositions Théologiques.

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Philosophie que s'appelle la Théologie naturelle, tout comme la précédente. Il faut appuyer un peu sur ce qu'on dit ici, qu'il choisit les Etres possibles qu'il lui plut. Car il faut considérer que lorsque je dis, cela me plaît, c'est autant que si je disois, je le trouve bon. Ainsi c'est la bonté idéale de l'objet, qui plaît, et qui le fait choisir parmi beaucoup d'autres qui ne plaisent pas, ou qui plaisent moins, c'est-à-dire qui renferment moins de cette bonté qui me touche. Or il n'y a que les vrais biens, qui soient capables de plaire à Dieu: et par conséquent ce qui plaît le plus à Dieu, et qui se fait choisir, est le meilleur.

111. III. La nature humaine ayant été du »nombre des Etres qu'il voulut produire, il créa un »homme et une femme, et leur accorda entre autres »faveurs le franc-arbitre; de sorte qu'ils curent le pouvoir de lui obéir; mais il les menaça de la » mort, s'ils désobéissoient à l'ordre qu'il leur donna 109. I. »Dieu,« dit-il, »l'Etre éternel et néces-»de s'abstenir d'un certain fruit.« Cette proposition

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