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ceux qui agiroient sans la véritable liberté, exempte de la nécessité absolue; et qu'en ce cas la seule justice corrective auroit licu, et point la justice vindicative. C'est le sentiment du célèbre Conringius, dans une dissertation qu'il a publiée de ce qui est juste. Et en effet, les raisons dont Pomponace s'est déjà servi dans son Livre du destin, pour prouver l'utilité des châtimens et des récompenses, quand même tout arriveroit dans nos actions par une fatale nécessité, ne regardent que l'amendement, et point la satisfaction, κόλασιν, ου τιμωρίαν. Aussi n'est-ce que par manière d'appareil qu'on détruit les animaux complices de certains crimes, comme on rase les maisons des rebelles, c'est-à-dire pour donner de la terreur. Ainsi c'est un acte de la justice corrective, où la justice vindicative n'a point de part.

75. Mais nous ne nous amuserons pas maintenant à discuter une question plus curieuse que nécessaire, puisque nous avons assez montré qu'il n'y a point de telle nécessité dans les actions volontaires. Cependant il a été bon de faire voir que la seule liberté imparfaite, c'est-à-dire qui est exempte sculement de la contrainte, suffiroit pour fonder cette espèce de châtimens et de récompenses, qui tendent à l'évitation du mal, et à l'amendement. L'on voit aussi par-là que quelques gens d'esprit, qui se persuadent que tout est nécessaire, ont tort de dire que personne ne doit être loué, ni blâmé, récompensé, ni puni. Apparemment ils ne le disent que pour exercer leur bel esprit; le prétexte est, que tout étant nécessaire, rien ne seroit en notre pouvoir. Mais ce prétexte est mal fondé; les actions nécessaires scroient encore en notre pouvoir, au moins entant que nous pourrions les faire ou les omettre, lorsque l'espérance ou la crainte de la louange, ou du blâme, du plaisir, ou de la douleur, y porteroient notre volonté: soit qu'elles l'y portassent nécessairement, soit qu'en l'y portant elles laissassent également la spontanéité; la contingence et la liberté en leur entier. De sorte que les louanges et les blâmes, les récompenses et les châtimens garderoient toujours une grande partie de leur usage, quand même il y auroit une véritable nécessité dans nos actions. Nous pouvons louer et blâmer encore les bonnes et les mauvaises qualités naturelles, où la volonté n'a point de part, dans un diamant, dans un homme: et celui qui a dit de Caton d'Utique qu'il agissoit vertueusement par la bonté de son naturel, et qu'il lui étoit impossible d'en user autrement, a cru le louer d'avantage.

76. Les difficultés auxquelles nous avons tâché de satisfaire jusqu'ici ont été presque toutes communes à la Théologie naturelle, et à la révélée.

Maintenant il sera nécessaire de venir à ce qui régarde un point révélé, qui est l'Élection ou la Réprobation des hommes, avec l'économie ou l'emploi de la Grace Divine par rapport à ces actes de la miséricorde ou de la justice de Dieu. Mais lorsque nous avons répondu aux objections précédentes, nous avons ouvert un chemin pour satisfaire à celles qui restent. Ce qui confirme la remarque que nous avons faite ci-dessus, (Discours prélimin §. 43.) qu'il y a plutôt un combat entre les vraies raisons de la Théologie naturelle et les fausses raisons des apparences humaines, qu'il n'y en a entre la Foi révélée et la Raison. Car il n'y a presque aucune difficulté contre la Révélation sur cette matière, qui soit nouvelle, et qui ne tire son origine de celles qu'on peut objecter aux vérités connues par la Raison.

77. Or comme les Théologiens presque de tous les partis sont partagés entre eux sur cette matière de la Prédestination et de la Grace, et font souvent des réponses différentes aux mêmes objections, suivant leurs principes divers; on ne sauroit se dispenssr de toucher aux différends qui sont en vogue entre eux. L'on peut dire en général, que les uns considèrent Dieu d'une manière plus métaphysique, et les autres d'une manière plus morale: et l'on a remarqué déjà autrefois, que les Contreremontrans prenoient le premier parti, et les Remontrans le second. Mais pour bien faire, il faut également soutenir d'un côté l'indépendance de Dieu, et la dépendance des créatures; et de l'autre côté la justice et la bonté de Dieu, qui le fait dépendre de soi-même, sa volonté, de son entendement, de sa sagesse.

78. Quelques Auteurs habiles et bien intentionnés voulant représenter la force des raisons des deux partis principaux, pour leur persuader une Tolérance mutuelle, jugent que toute la controverse se réduit à ce point capital, savoir quel a été le but principal de Dieu en faisant ses décrets par rapport à l'homme; s'il les a faits uniquement pour établir sa gloire, en manifestant ses attributs, et en formant, pour y parvenir, le grand projet de la création et de la providence; ou s'il a eu égard plutôt aux mouvemens volontaires des substances intelligentes, qu'il avoit dessein de créer, en considérant ce qu'elles voudroient et feroient dans les différentes circonstances et situations, où il les pourroit mettre; afin de prendre une résolution convenable là-dessus. Il me paroît que les deux Réponses qu'on donne ainsi à cette grande question, comme opposées entre elles, sont aisées à concilier; et que par conséquent les partis seroient d'accord entre eux dans le fond, sans qu'il y eût besoin de tolérance, si tout se réduisoit à ce point. A la vérité, Dieu formant le

dessein de créer le Monde, s'est proposé uniquement | Auxiliis, ou de l'assistance de la Grace) consiste de manifester et de communiquer ses perfections de la manière la plus efficace et la plus digne de sa grandeur, de sa sagesse et de sa bonté. Mais cela même l'a engagé à considérer toutes les actions des créatures encore dans l'état de possiblité, pour former le projet le plus convenable. Il est comme un grand Architecte, qui se propose pour but la satisfaction ou la gloire d'avoir bâti un beau Palais, et qui considère tout ce qui doit entrer dans ce bâtiment; la forme et les matérieux, la place, la situation, les moyens, les ouvriers, la dépense; avant qu'il prenne une entière résolution. Car un Sage en formant ses projets ne sauroit détacher la fin des moyens; il ne se propose point de fin, sans savoir s'il y a des moyens d'y parvenir.

plutôt dans les expressions, que dans les choses. Car il suffit de considérer que Dien, et tout autre Sage bienfaisant, est incliné à tout bien qui est faisable, et que cette inclination est proportionnée à l'excellence de ce bien; et cela, (prenant l'objet précisément, et en soi) par une volonté antécédente, comme on l'appelle, mais qui n'a pas toujours son entier effet; parceque ee Sage doit avoir encore beaucoup d'autres inclinations. Ainsi c'est le résultat de toutes les inclinations ensemble, qui fait sa volonté pleine et décrétoire, comme nous l'avons expliqué ci-dessus. On peut donc fort bien dire avec les Anciens, que Dieu veut sauver tous les hommes suivant sa volonté antécédente, et non pas suivant sa volonté conséquente, qui ne manque jamais d'avoir son effet. Et si ceux qui nient cette volonté universelle ne veulent point permettre que l'inclination antécédente soit appellée une volonté, ils ne s'embarassent que d'une question de nom.

81. Mais il y a une question plus réelle à l'égard de la Prédestination à la vie éternelle, et de toute autre destination de Dieu, savoir si cette destination est absolue ou respective. Il y a destination au

79. Je ne sais s'il y a peut-être encore des gens, qui s'imaginent que Dieu étant le maître absolu de toutes choses, on peut en inférer que tout ce qui est hors de lui, lui est indifférent; qu'il s'est regardé seulement soi-même, sans se soucier des autres; et qu'ainsi il a rendu les uns heureux et les autres malheureux, sans aucun sujet, sans choix, sans raison. Mais enseigner cela de Dieu, ce seroit lui ôter la sagesse et la bonté. Et il suffit que nous re-bien et au mal: et comme le mal est moral ou marquions qu'il se regarde soi-même, et qu'il ne néglige rien de ce qu'il se doit, pour que nous jugions qu'il regarde aussi ses créatures, et qu'il les emploie de la manière la plus conforme à l'ordre. Car plus un grand et bon Prince aura soin de sa gloire, plus il pensera à rendre ses Sujets heureux, quand même il seroit le plus absolu de tous les Monarques, et quand ses Sujets seroient des esclaves nés, des hommes propres, (comme parlent les Jurisconsultes,) des gens entièrement soumis au pouvoir arbitraire. Calvin même, et quelques autres des plus grands défenseurs du Décret absolu, ont fort bien déclaré que Dieu a eu de grandes et de justes raisons de son élection et de la dispensation de ses graces, quoique ces raisons nous soient inconnues en détail: et il faut juger charitablement que les plus rigides Prédestinateurs ont trop de raison et trop de piété pour s'éloigner de ce sentiment.

80. Il n'y aura donc point de controverse à agiter là-dessus (comme je l'espère) avec des gens tant soit peu raisonnables. Mais il y en aura toujours beaucoup encore entre ceux qu'on appelle Universalistes et Particularistes, par rapport à ce qu'ils enseignent de la Grace et de la volonté de Dieu. Cependant j'ai quelque penchant à croire qu'au moins la dispute si échauffée entre eux sur la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, et sur ce qui en dépend, (quand on sépare celle de

physique, les Théologiens de tous les partis conviennent qu'il n'y a point de destination au mal moral; c'est-à-dire que Personne n'est destiné à pécher. Quant au plus grand mal physique qui est la damnation, l'on peut distinguer entre Destination et Prédestination, car la Prédestination paroît renfermer en soi une destination absolue et antérieure à la considération des bonnes ou des mauvaises actions de ceux qu'elle regarde. Ainsi on peut dire que les Réprouvés sont destinés a être damnés, parcequ'ils sont connus impénitens. Mais on ne peut pas si bien dire que les Réprouvés sont prédestinés à la damnation, car il n'y a point de réprobration absolue, son fondement étant l'impénitence finale prévue.

82. Il est vrai qu'il y a des Auteurs qui prétendent que Dieu voulant manifester sa miséricorde et sa justice suivant des raisons dignes de lui, mais qui nous sont inconnues, a choisi les élus, et rejeté par conséquent les réprouvés, avant toute considération du péché, même d'Adam; qu'après cette résolution il a trouvé bon de permettre le péché, pour pouvoir exercer ces deux vertus, et qu'il a décerné des graces en Jésus-Christ aux uns pour les sauver, qu'il a refusées aux autres pour les pouvoir punir: et c'est pour cela qu'on appelle ces Auteurs Supralapsaires, parce que le décret de punir précède, selon eux, la connoissance de l'existence future du péché. Mais l'opinion la plus commune

aujourd'hui parmi ceux qui s'appellent Réformés, et qui est favorisée par le Synode de Dordrecht, est celle des Infralapsaires, assez conforme au sentiment de S. Augustin, qui porte que Dieu ayant résolu de permettre le péché d'Adam et la corruption du Genre humain, pour des raisons justes, mais cachées, sa miséricorde lui a fait choisir quelques-uns de la masse corrompue pour être sauvés gratuitement par le mérite de Jésus-Christ, et sa justice l'a fait résoudre à punir les autres par la damuation qu'ils méritoient. C'est pour cela que chez les Scolastiques les sauvés seuls étoient appelés Praedestinati, et les réprouvés étoient appelés Praesciti. Il faut avouer que quelques Infralapsaires et autres parlent quelquefois de la Prédestination à la damnation, à l'exemple de Fulgence et de S. Augustin même: mais cela leur signifie autant que destination; et il ne sert de rien de disputer des mots, quoiqu'on en ait pris sujet autrefois de maltraiter ce Godescalque qui fit du bruit vers le milieu de neuvième siècle, et qui prit le nom de Fulgence pour marquer qu'il imitoit cet Auteur.

83. Quant à la destination des élus à la vie éternelle, les Protestans, aussi-bien que ceux de F'Eglise Romaine, disputent fort entre eux si l'Election est absolue, ou si elle est fondée sur la prévision de la foi vive finale. Ceux qu'on appelle Evangéliques, c'est-à-dire ceux de la confession d'Ausbourg, sont pour le dernier parti: ils croient qu'on ne doit point aller aux causes occultes de l'Election, pendant qu'on en peut trouver une cause manifeste marquée dans la Sainte Écriture, qui est la foi en Jésus-Christ; et il leur paroît que la prévision de la cause est aussi la cause de la prévision de l'effet. Ceux qu'on appelle Réformés sont d'un autre sentiment: ils avouent que le salut vient de la foi en Jésus-Christ, mais ils remarquent, que souvent la cause antérieure à l'effet dans l'exécution, est postérieure dans l'intention; comme lorsque la cause est le moyen, et que l'effet est la fin. Ainsi la question est, si la foi ou si la salvation est antérieure dans l'intention de Dieu, c'est-à-dire si Dieu a plutôt en vue de sauver l'homme, que de le rendre fidèle.

84. L'on voit par là, que la Question entre les Supralapsaires et les Infralapsaires en partie, et puis entre ceux-ci et les Evangéliques, revient à bien concevoir l'ordre, qui est dans les Décrets de Dieu. Peut-être qu'on pourroit faire cesser cette dispute tout d'un coup, en disant, qu'à le bien prendre, tous les Décrets de Dieu dont il s'agit sont simultanés, non seulement par rapport au tems, en quoi tout le monde convient, mais encore in signo rationis, ou dans l'ordre de la nature. Et en effet, la Formule de Concorde, après quelques passages de S. Au

gustin, a compris dans le même Décret de l'Election le salut et les moyens qui y conduisent. Pour montrer cette simultanéité des destinations ou des Décrets dont il s'agit, il faut revenir à l'expédient, dont je me suis servi plus d'une fois, qui porte que Dieu, avant que de rien décerner, a considéré entre autres suites possibles des choses, celle qu'il a approuvée depuis, dans l'idée de laquelle il est représenté comment les premiers parens pèchent, et corrompent leur postérité, comment Jésus-Christ rachète le Genre humain, comment quelques-uns aidés par telles et telles graces parviennent à la foi finale et au salut, et comment d'autres avec ou sans telles ou autres graces n'y parviennent point, demeurent sous le péché, et sont damnés; que Dieu ne donne son approbation à cette suite, qu'après être entré dans tout son détail, et qu'ainsi il ne prononce rien de définitif sur ceux qui seront sauvés ou damnés, sans avoir tout pesé, et même comparé avec d'autres suites possibles. Ainsi ce qu'il prononce regarde toute la suite à la fois, dont il ne fait que décerner l'existence. Pour sauver d'autres hommes ou autrement il auroit fallu choisir une toute autre suite générale, car tout est lié dans chaque suite. Et dans cette manière de prendre la chose, qui est la plus digne du plus sage, dont toutes les actions sont liées le plus qu'il est possible, il n'y auroit qu'un seul Décret total, qui est celui de créer un tel Monde: et ce Décret total comprend également tous les Décrets particuliers, sans qu'il y ait de l'ordre entre eux; quoique d'ailleurs on puisse dire que chaque acte particulier de volonté antécédente, qui entre dans le résultat total, a son prix et ordre, à mesure du bien auquel cet acte incline. Mais ces actes de volonté antécédente ne sont point appelés des Décrets, puisqu'ils ne sont pas encore immanquables, le succès dépendant du résultat total. Et dans cette manière de prendre les choses, toutes les difficultés qu'on peut faire là-dessus reviennent à celles qu'on a déjà faites et levées, quand on a examiné l'origine du mal.

85. Il ne reste qu'une discussion importante, qui a ses difficultés particulières: c'est celle de la dispensation des moyens et des circonstances qui contribuent au salut et à la damnation; ce qui comprend entre autres la matière des secours de la Grace (de auxiliis gratiae) sur laquelle Rome (depuis la Congrégation de Auxiliis sous Clement VIII., où il fut disputé entre les Dominicains et les Jésuites) ne permet pas aisément qu'on publie des Livres. Tout le monde doit convenir que Dieu est parfaitement bon et juste, que sa bonté le fait contribuer le moins qu'il est possible à ce qui peut rendre les hommes coupables, et le plus qu'il

est possible à ce qui sert à les sauver, (possible, dis-je, sauf l'ordre général des choses); que sa justice l'empêche de damner des innocens, et de laisser de bonnes actions sans récompense; et qu'il garde même une juste proportion dans les punitions et dans les récompenses. Cependant cette idée, qu'on doit avoir de la bonté et de la justice de Dieu, ne paroît pas assez dans ce que nous connoissons de ses actions par rapport au salut et à la damnation des hommes: et c'est ce qui fait les difficultés qui regardent le péché et ses remèdes. 86. La première difficulté est, comment l'âme a pu être infectée du péché originel, qui est la racine des péchés actuels, sans qu'il y ait eu de l'injustice en Dieu à l'y exposer. Cette difficulté a fait naître trois opinions sur l'origine de l'âme même: celle de la prééxistence des âmes humaines dans un autre Monde, ou dans une autre vie, où elles avoient péché, et avoient été condamnées pour cela à cette prison du corps humain; opinion des Platoniciens qui est attribuée à Origène, et qui trouve encore aujourd'hui des sectateurs. Henri Morus Docteur Anglois a soutenu quelque chose de ce dogme dans un Livre exprès. Quelques-uns de ceux qui soutiennent cette prééxistence, sont allés jusqu'à la Métempsycose. Monsieur van Helmont le fils étoit de ce sentiment, et l'Auteur ingénieux de quelques Méditations métaphysiques publiées en 1678 sous le nom de Guillaume Wander, y paroît avoir du penchant. La seconde opinion est celle de la Traduction, comme si l'âme des enfans étoit engendrée (per traducem) de l'âme ou des âmes de ceux dont le corps est engendré. S. Augustin y étoit porté, pour mieux sauver le péché originel. Cette doctrine est enseignée aussi par la plus grande partie des Théologiens de la Confession d'Ausbourg. Cependant elle n'est pas établie entièrement parmi eux, puisque les Universités de Jena, de Helmstat, et autres y ont été contraires depuis long-tems. La troisième opinion et la plus reçue aujourd'hui est celle de la création: elle est enseignée dans la plus grande partie des Ecoles Chrétiennes, mais elle reçoit le plus de difficulté par rapport au péché originel.

87. Dans cette controverse des Théologiens sur l'origine de l'Ame humaine, est entrée la dispute Philosophique de l'origine des Formes, Aristote et l'Ecole après lui ont appellé Forme, ce qui est un principe de l'action, et se trouve dans celui qui agit. Ce principe interne est, ou substantiel, qui est appellé Ame, quand il est dans un corps organique; ou accidentel, qu'on a coutume d'appeller Qualité. Le même Philosophe a donné à l'âme le nom générique d'Entéléchie ou d'acte.

Ce mot, Entéléchie, tire apparemment son origine du mot Grec qui signifie parfait, et c'est pour cela que le célèbre Hermolaus Barbarus l'exprima en Latin mot à mot par perfectihabia, car l'acte est un accomplissement de la puissance: et il n'avoit point besoin de consulter le Diable, comme il a fait, à ce qu'on dit, pour n'apprendre que cela. Or le Philosophe Stagirite conçoit qu'il y a deux espèces d'Actes, l'Acte permanent et l'Acte successif. L'Acte permanent ou durable n'est autre chose que la Forme, substantielle ou accidentelle: la forme substantielle (comme l'Ame par exemple) est permanente tout-à-fait, au moins selon moi, et l'accidentelle ne l'est que pour un tems. Mais l'acte entièrement passager dont la nature est transitoire, consiste dans l'action même. J'ai montré ailleurs que la notion de l'Entéléchie n'est pas entièrement à mépriser, et qu'étant permanente, elle porte avec elle non seulement une simple faculté active, mais aussi ce qu'on peut appeler force, effort, conatus, dont l'action même doit suivre, si rien ne l'empêche. La Faculté n'est qu'un attribut, ou bien un mode quelquefois; mais la Force, quand elle n'est pas un ingrédient de la substance même, (c'est-à-dire la Force qui n'est poins primitive, mais dérivative,) est une qualité, qui est distincte et séparable de la Substance. J'ai montré aussi, comment on peut concevoir que l'Ame est une Force primitive, qui est modifiée et variée par les forces dérivatives ou qualités, et exercée dans les actions.

88. Or les Philosophes se sont fort tourmentés au sujet de l'origine des formes substantielles. Car de dire que le composé de Forme et de Matière est produit, et que la Forme n'est que comproduite, ce n'étoit rien dire. L'opinion comme a été, que les formes étoient tirées de la puissance de la matière, ce qu'on appelle Eduction: co n'étoit encore rien dire en effet, mais on l'éclaircissoit en quelque façon par la comparaison des figures; car celle d'une statue n'est produite, qu'en òtant le marbre superflu. Cette comparaison pourroit avoir lieu, si la forme consistoit dans une simple limitation, comune la figure. Quelques-uns ont cru qué les formes étoient envoyées du Ciel, et même créées après, lorsque les corps sont produits: Jules Scaliger a insinué qu'il se pouvoit que les formes fussent plutôt tirées de la puissance active de la cause efficiente (c'est-à-dire, ou de celle de Dieu en cas de création, ou de celle des autres formes en cas de génération), que de la puissance passive de la matière; et c'étoit revenir à la traduction, lorsqu'une génération se fait. Daniel Sennert Médecin et Physicien célèbre à Wittenberg a

cultivé ce sentiment, sur-tout par rapport aux corps | tiennent, et où il y a le moins d'exceptions qu'il animés, qui sont multipliés par les semences. Un certain Jules César della Galla, Italien demeurant aux Pays-Bas, et un Médecin de Groningue nommé Jean Freitag, ont écrit contre lui d'une manière fort violente; et Jean Sperling, Professeur à Wittenberg, a fait l'Apologie de son Maître, et a été enfin aux prises avec Jean Zeisold, Professeur à Jena, qui défendoit la création de lâme humaine.

est possible; voici ce qui m'a paru le plus raisonnable en tout sens sur cette importante question. Je tiens que les Ames, et généralement les substances simples, ne sauroient commencer que par la création, ni finir que par l'annihilation: et comme la formation des corps organiques animés ne paroît explicable dans l'ordre de la nature, que lorsqu'on suppose une préformation déjà organique, j'en ai inféré que ce que nous appellons génération d'un animal, n'est qu'une transformation et augmentation: ainsi puisque le même corps étoit déjà animé, et qu'il avoit la même âme; de même que je juge vice versa de la conservation de l'âme, lorsqu'elle est créée une fois, l'animal est conservé aussi, et que la mort apparente n'est qu'un envelopement ; n'y ayant point d'apparence que dans l'ordre de la nature il y ait des âmes entièrement séparées de tout corps, ni que ce qui ne commence point natu

89. Mais la traduction et l'éduction sont également inexplicables, lorsqu'il s'agit de trouver l'origine de l'âme. Il n'en est pas de même des formes accidentelles, puisque ce ne sont que des modifications de la substance, et leur origine se peut expliquer par l'éduction, c'est-à-dire par la variation des limitations, tout comme l'origine des figures. Mais c'est tout autre chose, quand il s'agit de l'origine d'une substance, dont le commencement et la destruction sont également difficiles à expliquer. SenDert et Sperling n'ont point osé admettre la sub-rellement, puisse cesser par les forces de la nature. stance et l'indestructibilité des âmes des bêtes ou d'autres formes primitives, quoiqu'ils les reconnussent pour indivisibles et immatérielles. Mais c'est qu'ils confondoient l'indestructibilité avec Pimmortalité, par laquelle on entend dans l'homme, non seulement que l'âme, mais encore que la personalité subsiste: c'est-à-dire, en disant que l'âme de l'homme est immortelle, on fait subsister ce qui faît que c'est la même personne, laquelle garde ses qualités morales, en conservant la Conscience ou le sentiment réflexif interne de ce qu'elle est: ce qui la rend capable de châtiment et de récompense. Mais cette conservation de la personalité n'a point lieu dans l'âme des bêtes: c'est pourquoi j'aime mieux dire qu'elles sont impérissables, que de les appeller immortelles. Cependant ce mal-entendu paroît avoir été cause d'une grande inconséquence dans la doctrine des Thomistes, et d'autres bons Philosophes, qui ont reconnu l'immatérialité ou l'indivisibilité de toutes les âmes, sans en vouloir avouer l'indestructibilité, au grand préjudice de l'immortalité de l'âme humaine. Jean Scot, c'est-à-dire l'Ecossois (ce qui signifioit autrefois l'Hibernois ou l'Erigène), Auteur célèbre du tems de Louis le Débonnaire et de ses fils, étoit pour la conservation de toutes les âmes: et je ne vois point pourquoi il y auroit moins d'inconvénient à faire durer les atomes d'Épicure ou de Gassendi, que de faire subsister toutes les substances véritablement simples et indivisibles, qui sont les seuls et vrais atomes de la nature. Et Pythagore avoit raison de dire en général chez Ovide:

Morte carent animae.

90. Or comme j'aime des maximes qui se sou

91. Après avoir établi un si bel ordre, et des règles si générales à l'égard des animaux, il ne paroît pas raisonnable que l'homme en soit exclus entièrement, et que tout se fasse en lui par miracle par rapport à son âme. Aussi ai-je fait remarquer plus d'une fois, qu'il est de la sagesse de Dieu que tout soit harmonique dans ses Ouvrages, et que la nature soit parallèle à la grace. Ainsi, je croirois, que les âmes, qui seront un jour âmes humaines, comme celles des autres espèces, ont été dans les semences, et dans les ancêtres jusqu'à Adam, et ont existé par conséquent depuis le commencement des choses, toujours dans une manière de corps organisé: en quoi il semble que Monsieur Swammerdam, le R. P. Mallebranche, Mr. Bayle, Mr. Pitcarne, Mr. Hartsoeker, et quantité d'autres personnes très-habiles, soient de mon sentiment. Et cette doctrine est assez confirmée par les observations miscroscopiques de Mr. Leeuwenhoek, et d'autres bons observateurs. Mais il me paroît encore convenable pour plusieurs raisons, qu'elles n'existoient alors qu'en âmes sensitives ou animales, douées de perception et de sentiment, et destituées de raison; et qu'elles sont demeurées dans cet état jusqu'au tems de la génération de l'homme à qui elles devoient appartenir, mais qu'alors elles ont reçu la Raison; soit qu'il y ait un moyen naturel d'élever une âme sensitive au dégré d'âme raisonnable (ce que j'ai de la peine à concevoir), soit que Dieu ait donné la Raison à cette âme par une opération particulière, ou (si vous voulez) par une espèce de transcréation. Ce qui est d'autant plus aisé à admettre, que la Révélation enseigne beaucoup d'autres opérations immédiates de Dieu sur nos âmes.

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