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chans, à quoi aucune Raison ni la lumière naturelle ne peuvent résister (Argumentis talibus traducta, quibus nulla ratio aut lumen naturae potest resistere.) Mais il fait voir un peu après, qu'il ne l'entend que de ceux qui ignorent l'autre vie, puisqu'il ajoute qu'un petit mot de l'Évangile dissipe cette difficulté, en nous apprenant qu'il y a une autre vie, où ce qui n'a pas été puni et récompensé dans celle-ci, le sera. L'objection n'est donc rien moins qu'invincible, et même sans le secours de l'Évangile on se pouvoit aviser de cette réponse. On allègue aussi (Rép. au Provincial T. 3. p. 652.) un passage de Martin Chemnice, critiqué par Vedelius et défendu par Jean Musaeus; où ce célèbre Théologien paroît dire nettement, qu'il y a des vérités dans la parole de Dieu, qui sont non seulement au-dessus de la Raison, mais aussi contre la Raison: mais ce passage ne doit être entendu que des principes de la Raison conforme à l'ordre de la Nature, comme Musaeus l'explique aussi.

Créatures raisonnables dans le même cas. Cependant pouvoit-il ignorer qu'il est possible qu'il y ait une objection invincible contre la vérité? puisqu'une telle objection ne paroît être qu'un enchaînement nécessaire d'autres vérités, dont le résultat seroit contraire à la vérité qu'on soutient, et par conséquent il y auroit contradiction entre les vérités, ce qui est de la dernière absurdité. D'ailleurs, quoique notre esprit soit fini, et ne puisse comprendre l'infini, il ne laisse pas d'y avoir des démonstrations sur l'infini, desquelles il comprend la force on la foiblesse; pourquoi donc ne comprendroit-il pas celle des objections? Et puisque la puissance et la sagesse de Dieu sont infinies et comprennent tout, il n'y a plus lieu de douter de leur étendue. De plus, Mr. Descartes demande une liberté dont on n'a point besoin, en voulant que les actions de la volonté des hommes soient entièrement indétermiuées, ce qui n'arrive jamais. Eufin Mr. Bayle vent lui-même que cette expérience ou ce sentiment intérieur de notre indépendance, sur lequel Mr. Descartes fonde la preuve de notre liberté, ne la prouve point, puisque de ce que nous ne nous appercevons pas des causes dont nous dépendons, il ne s'ensuit pas que nous soyons indépendans. Mais c'est de quoi nous parlerons en son lien.

70. Il semble que Mr. Descartes avoue aussi dans un endroit de ses Principes, qu'il est impos

68. Il est vrai pourtant que Mr. Bayle trouve quelques autorités qui lui sont plus favorables. Celle de Mr. Descartes en est une des principales. Ce grand homme dit positivement (1, Part. de ses Principes art. 41.) que nous n'avons point du tout de peine à nous déliver de la difficulté (que l'on peut avoir à accorder la liberté de notre volonté avec l'ordre de la providence éter-sible de répondre aux difficultés sur la division de nelle de Dieu) »si nous remarquons que notre pen»sée est finie, et que la science et la toute-puis»sance de Dieu, par laquelle il a non seulement >>connu de toute éternité tout ce qui est ou qui peut »être, mais aussi il l'a voulu, est infinie: ce qui fait que nous avons bien assez d'intelligence pour connoître clairement et distinctement que cette »science et cette puissance sont en Dieu; mais que »nous n'en avons pas assez pour comprendre telle»ment leur étendue, que nous puissions savoir com>>ment elles laissent les actions des hommes entiè>>rement libres et indéterminées. Toutefois la puis»sance et la science de Dieu ne nous doivent pas >>empêcher de croire que nous avons une volonté »libre, car nous aurions tort de douter de ce que »> nous appercevons intérieurement, et savons par »expérience être en nous, parce que nous ne com»prenons pas autre chose que nous savons incom»préhensible de sa nature.«<

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69. Ce passage de Mr. Descartes suivi par ses Sectateurs (qui s'avisent rarement de douter de ce qu'il avance) m'a toujours paru étrange. Ne se contentant point de dire, que pour lui il ne voit point le moyen de concilier les deux Dogmes, il inet tout le Genre humain, et même toutes les

la matière à l'infini, qu'il reconnoit pourtant pour véritable. Arriaga et d'autres Scholastiques font à peu près le même aveu; mais s'il prenoient la peine de donner aux objections la forme qu'elles doivent avoir, ils verroient qu'il y a des fautes dans la conséquence, et quelquefois de fausses suppositions qui embarassent. En voici un exemple: Un habile homme me fit un jour cette objection: Soit coupée la ligne droite BA en deux parties égales par le point C, et la partie CA par le point D, et la partie DA par le point E, et ainsi à l'infini; toutes les moitiés BC, CD, DE, etc. font ensemble le tout BA; done il faut qu'il y ait une dernière moitié, puisque la ligne droite BA finit cn A. Mais cette dernière moitié est absurde: car puisqu'elle est une ligne, on la pourra encore couper en deux. Donc la division à l'infini ne sauroit être admise. Mais je lui fis remarquer qu'on n'a pas droit d'inférer qu'il faille qu'il y ait un dernier point A, car ce dernier point convient à toutes les moitiés de sou côté. Et mon ami la reconnu lui-même, lorsqu'il a tâché de prouver cette illation par un argument en forme: au contraire, par cela même que la division va à l'infini, il n'y a aucune moitié dernière. Et quoique la ligne droite AB soit finie, il ne s'en

suit pas que la division qu'on en fait, ait son dernier terme. On s'embarasse de même dans les séries des Nombres qui vont à l'infini. On conçoit un dernier terme, un nombre infini, ou ifiniment petit; mais tout cela ne sont que des fictions. Tout Nombre est fini et assignable, toute ligne l'est de même, et les infinis ou infiniment petits n'y signifient que des grandeurs qu'on peut prendre aussi grandes ou aussi petites que l'on voudra, pour montrer qu'une erreur est moindre que celle qu'on a assignée, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune erreur: ou bien on entend par l'infiniment petit, l'état de l'évanouïssement ou du commencement d'une grandeur, conçus à l'imitation des grandeurs déjà formées.

71. Il sera bon cependant de considérer la raison que Mr. Bayle allègue pour montrer qu'on ne sauroit satisfaire aux objections que la Raison oppose aux Mystères. Elle se trouve dans son éclaircissement sur les Manichéens (p. 3143. de la seconde Edition de son Dictionnaire.) Il me suffit >>(dit-il) qu'on reconnoisse unanimement que les »Mystères de l'Évangile sont au-dessus de la Raison. Car il résulte de-là nécessairement qu'il est >> impossible de résoudre les difficultés des Philoso»phes, et par conséquent qu'une dispute où l'on ne »se servira que des lumières naturelles se termine»ra toujours au desavantage des Théologiens, et »qu'ils se verront forcés de lâcher le pied, et de se réfugier sous le canon de la lumière surnatu»relle.« Je m'étonne que Mr. Bayle parle si généralement, puisqu'il a reconnu lui-même que la lumière naturelle est pour l'unité du Principe, contre les Manichéens, et que la bonté de Dieu est prouvée juvinciblement par la Raison. Cependant voici comme il poursuit.

72. Il est évident que la Raison ne sauroit ja>>mais atteindre à ce qui est au-dessus d'elle. Or si >>elle pouvoit fournir des réponses aux objections qui combattent le Dogine de la Trinité et celui de »l'Union hypostatique, elle atteindroit à ces deux -Mystères, elle se les assujettiroit, et les plieroit »jusqu'aux dernières confrontations avec ses pre>>miers principes, ou avec les aphorismes qui nais>>sent des notious communes; et jusqu'à ce qu'enfin elle eût conclu qu'ils s'accordent avec la lumière naturelle. Elle feroit donc ce qui surpasse ses for»ces, elle monteroit au dessus de ses limites, ce >>qui est formellement contradictoire. Il faut donc -dire qu'elle ne sauroit fournir des réponses à ses »propres objections, et qu'ainsi elles demeurent victorieuses, pendant qu'on ne recourt pas à l'au»torité de Dieu, et à la nécessité de captiver son en>>tendement sous l'obéissance de la Foi. (Je ne

trouve pas qu'il y ait aucune force dans ce raisonnement. Nous pouvons atteindre ce qui est audessus de nous, non pas en le pénétrant, mais en le soutenant; comme nous pouvons atteindre le Ciel par la vue, et non pas par l'attouchement. Il n'est pas nécessaire non plus que pour répondre aux objections qui se font contre les Mystères, on s'assu jettisse ces Mystères, et qu'on les soumette à la confrontation avec les premiers principes qui naissent des notions communes: car si celui qui répond aux objections devoit aller si loin, il faudroit que celui qui propose l'objection le fit le premier; ear c'est à l'objection d'entamer la matière, et il suffit à celui qui répond de dire oui ou non; d'autant qu'au lieu de distinguer, il lui suffit à la rigueur de nier l'universalité de quelque proposition de l'objection, ou d'en critiquer la forme; et l'un aussibien que l'autre se peut faire sans pénétrer au-delà de l'objection. Quand quelqu'un me propose un argument qu'il prétend être invincible, je puis me taire en l'obligeant seulement de prouver en bonne forme toutes les énonciations qu'il avance, et qui me paroissent tant soit peu douteuses: et pour ne faire que douter, je n'ai point besoin de pénétrer dans l'intérieur de la chose: au contraire, plus je serai ignorant, plus je serai en droit de douter.) Mr. Bayle continue ainsi.

73. »Tâchons de rendre cela plus clair: si quel»ques doctrines sont au-dessus de la Raison, elles sont au delà de sa portée, elle n'y sauroit attein»dre; si elle n'y peut atteindre, elle ne peut pas »les comprendre." (Il pouvoit commencer ici par le comprendre, en disant que la Raison ne peut pas comprendre ce qui est au-dessus d'elle.) Si elle ne peut pas les comprendre, elle n'y sauroit trouver aucune idée; (Non valet consequentia: car pour comprendre quelque chose, il ne suffit pas qu'on en ait quelques idées; il faut les avoir toutes de tout ce qui y entre, et il faut que toutes ces idées soient claires, distinctes, adéquates. Il y a mille objets dans la Nature, dans lesquels nous entendons quelque chose, mais que nous ne comprenons pas pour cela. Nous avons quelques idées des rayons de la lumière, nous faisons des démonstrations là-dessus jusqu'à un certain point; mais il reste toujours quelque chose qui nous fait avouer, que nous ne comprenons pas encore toute la nature de la lumière.) ni aucun principe qui soit une source de solution; (Pourquoi ne trouveroit-on pas des principes évidens, mêlés avec des connoissances obscures et confuses?) et par conséquent les objections que la »Raison aura faites demeureront sans réponse;(Rien moins que cela; la difficulté est plutôt da

côté de l'opposant. C'est à lui de chercher un principe évident, qui soit une source de quelque objection; et il aura d'autant plus de peine à trouver un tel principe, que la matière sera obscure; et quand il l'aura trouvé, il aura encore plus de peine à montrer une opposition entre le principe et le Mystère: car s'il se trouvoit que le Mystère fût évidemment contraire à un principe évident, ce ne seroit pas un Mystère obscur, ce seroit une »>absurdité ma»nifeste) ou ce qui est la même chose, on y répon»dra par quelque distinction aussi obscure que la »>thèse même qui aura été attaquée.« On peut se passer des distinctions à la rigueur, en niant ou quelque prémisse, ou quelque conséquence: et lorsqu'on doute du sens de quelque terme employé par l'opposant, on peut lui en demander la définition. De sorte que le soutenant n'a point besoin de se mettre en fraix, lorsqu'il s'agit de répondre à un adversaire qui prétend nous opposer un argument invincible. Mais quand même le soutenant, par quelque complaisance, ou pour abréger, ou parce qu'il se sent assez fort, voudroit bien se charger lui-même de faire voir l'équivoque cachée dans l'objection, et de la lever en faisant quelque distinction; il n'est nullement besoin que cette distinction mène à quelque chose de plus clair que la première thèse, puisque le soutenant n'est point obligé d'éclaircir le Mystère même.)

74. »Or il est certain (c'est Mr. Bayle qui poursuit) qu'une objection que l'on fonde sur des »notions distinctes, demeure également victorieuse, soit que vous n'y répondiez rien, soit que vous y » fassiez une réponse où personne ne peut rien com>>prendre. La partie peut-elle être égale entre un homme qui vous objecte ce que vous et lui con»cevez très-nettement, et vous qui ne pouvez vous »défendre que par des réponses, où ni vous ni lui >>ne comprenez rien?« (Il ne suffit pas que l'objection soit fondée sur des notions bien distinctes, il faut aussi qu'on en fasse l'application contre la thèse. Et quand je réponds à quelqu'un en lui niant quelque prémisse, pour l'obliger à la prouver, ou quelque conséquence, pour l'obliger à la mettre en bonne forme; on ne peut point dire que je ne réponds rien, ou que je ne réponds rien d'intelligible. Car comme c'est la prémisse douteuse de l'adversaire que je nie, ma négation sera aussi intelligible que son affirmation. Enfin lorsque j'ai la complaisance de m'expliquer par quelque distinction, il suffit que les termes que j'emploie aient quelque sens, comme dans le Mystère même; ainsi on comprendra quelque chose dans ma réponse: mais il n'est point besoin que lon comprenne tout ce qu'elle

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enveloppe, autrement on comprendroit encore le Mystère.)

75. Mr. Bayle continue ainsi: Toute dispute philosophique suppose que les parties disputantes »conviennent de certaines définitions,⚫ (Cela seroit à souhaiter, mais ordinairement ce n'est que dans la dispute même qu'on y vient au besoin.) »et qu'elles admettent les règles des Syllogismes, et les >>marques à quoi l'on connoît les mauvais raisonne» mens. Après cela, tout consiste à examiner si une thèse est conforme médiatement ou immédiatement >>aux principes dont on est convenu,« (ce qui se fait par les Syllogismes de celui qui fait des objections) si les prémisses d'une preuve (avancée par l'opposant) sont véritables, si la consé »quence est bien tirée: si l'on s'est servi d'un »Syllogisme à quatre termes, si l'on n'a pas violé quelque aphorisine du chapitre de oppositis on de sophisticis elenchis etc. (il suffit, en peu de mots, de nier quelque prémisse ou quelque conséquence, ou enfin d'expliquer ou faire expliquer quelque terme équivoque) »on remporte la victoire, ou en mon>>trant que le sujet de la dispute n'a aucune liaison » avec les principes dont on étoit convenu, (c'està-dire en montrant que l'objection ne prouve rien, et alors le défendeur gagne la cause) ou en réduisant à l'absurde le défendeur: (lorsque toutes les prémisses et toutes les conséquences sont bien prouvées) or on l'y peut réduire, soit qu'on >> lui montre que les conséquences de sa thèse sont »le oui et le non, soit qu'on le contraigne à ne ré»pondre que des choses intelligibles. C'est ce dernier inconvenient qu'il peut toujours éviter, parce qu'il n'a point besoin d'avancer de nouvelles thèses.) »Le but de cette espèce de disputes est »d'éclaircir les obscurités et de parvenir à l'évi

dence; (c'est le but de l'opposant, car il veut rendre évident que le Mystère est faux; mais ce ne sauroit être ici le but du défendeur, car admettant le Mystère, il convient qu'on ne le sauroit rendre évident.) "delà vient que l'on juge »que pendant le cours du procès, la victoire se dé»>clare plus ou moins pour le soutenant ou pour »l'opposant, selon qu'il y a plus ou moins de clarté »dans les propositions de l'un, que dans les propo»sitions de l'autre.« (C'est parler comme si le soutenant et l'opposant devoient être également à découvert: mais le soutenant est comme un Commandant assiégé, couvert par ses ouvrages, et c'est à l'attaquant de les ruiner. Le soutenant n'a point besoin ici d'évidence, et il ne la cherche pas: mais c'est à l'opposant d'en trouver contre lui, et de se faire jour par ses batteries, afin que le soutenant ne soit plus à couvert.)

76. »>Enfin on juge que la victoire se déclare »contre celui dont les réponses sont telles qu'on n'y »comprend rien,« (c'est une marque bien équivoque de la victoire: il faudroit donc demander aux auditeurs, s'ils comprennent quelque chose dans ce qu'on a dit, et souvent leurs sentimens seroient partagés. L'ordre des disputes formelles est de procéder par des argumens en bonne forme, et d'y répondre en niant ou en distinguant.) et qui avone qu'elles sont incompréhensibles. (11 est permis à celui qui soutient la vérité d'an Mystère, d'avouer que ce Mystère est incompréhensible; et si cet aveu suffisoit pour le déclarer vaincu ; on n'auroit point besoin d'objection. Une vérité pourra être incompréhensible, mais elle ne le sera jamais assez pour dire qu'on n'y comprend rien du tout. Elle seroit en ce cas ce que les anciennes Ecoles appelloient Scindapsus ou Blityri (Clem. Alex. Strom. 8.) c'est-à-dire des paroles vuides de sens.) On le condamne dès-là par les règles -de l'adjudication de la victoire; et lors même qu'il ne peut pas être poursuivi dans le brouillard dont il s'est convert, et qui forme une espèce »d'abîme entre lui et ses antagonistes, on le croit battu à platte couture, et on le compare à une »Armée qui ayant perdu la bataille, ne se dérobe »qu'à la faveur de la nuit à poursuite du vainqueur. « (Pour payer allégorie par allégorie, je dirai que le soutenant n'est point vaincu, tant qu'il demeure couvert de ses retranchemens; et s'il hazarde quelque sortie au-delà du besoin, il lui est permis de se retirer dans son fort, sans qu'on l'en puisse blâmer.)

77. J'ai voulu prendre la peine de faire l'anatomie de ce long passage, où Mr. Bayle a mis ce qu'il pouvoit dire de plus fort et de mieux raisonné pour son sentiment: et j'espère d'avoir fait voir clairement, comment cet excellent homme a pris le change. Ce qui arrive fort aisément aux personnes les plus spirituelles et les plus pénétrantes, lorsqu'on donne carrière à son esprit, sans se donner toute la patience nécessaire pour creuser jusqu'aux fondemens de son système. Le détail ou nous sommes entrés ici servira de réponse à quelques autres raisonnemens sur ce sujet, qui se trouvent dispersés dans les Ouvrages de Mr. Bayle; comme lorsqu'il dit dans sa Réponse aux Questions d'un Provincial chap. 133. (tom. 3. pag. 685.) »Pour prouver qu'on a mis d'accord la Raison et la Religion, il >>faut montrer non seulement qu'on a des maximes Philosophiques, qui sont favorables à notre foi; mais aussi, que les maximes particulières, qui »nous sont objectées comme non conformes à notre »Catéchisme, y sont effectivement conformes d'une » manière que l'on conçoit distinctement. Je ne

vois point qu'on ait besoin de tout cela, si ce n'est qu'on prétende pousser le raisonnement jusqu'au comment du Mystère. Quand on se contente d'en soutenir la vérité, sans se mêler de la vouloir faire comprendre, on n'a point besoin de recours aux maximes Philosophiques, générales ou particulières, pour la preuve; et lorsqu'un autre nous oppose quelques maximes Philosophiques, ce n'est pas à nous de prouver d'une manière claire et distincte que ces maximes sont conformes avec notre Dogme, mais c'est à notre adversaire de prouver qu'elles y sont contraires.

78. Mr. Bayle poursuit ainsi au même endroit: »Pour cet effet nous avons besoin d'une réponse qui soit aussi évidente que l'objection.« J'ai déjà montré que cela arrive lorsqu'on nie des prémisses; mais qu'au reste il n'est point nécessaire que celui qui soutient la vérité du Mystère avance toujours des propositions évidentes, puisque la thèse principale qui regarde le Mystère même n'est point évidente. Il ajoute encore: »S'il faut répliquer et dupliqner, nous ne devons jamais demeurer en »reste, ni prétendre que nous soyons venus à bout de notre dessein, pendant que notre adversaire nous répliquera des choses aussi évidentes que le sauroient être nos raisons.<< Mais ce n'est pas au soutenant à alléguer des raisons; il lui suffit de répondre à celles de son adversaire.

79. L'Auteur couclut enfin: »Si l'on prétendoit »que faisant une objection évidente, il se doit paycr »d'une réponse que nous ne pouvons donner que >>comme une chose possible, et que nous ne com

prenons pas, on seroit injuste.« Il le répète dans les Dialogues posthumes contre. Mr. Jaquelot, p. 69. Je ne suis point de ce sentiment. Si l'objection étoit d'une parfaite évidence, elle seroit victorieuse, et la thèse seroit détruite. Mais quand l'objection n'est fondée que sur des apparences, ou sur des cas qui arrivent le plus souvent, et que celui qui la fait en veut tirer une conclusion universelle et certaine; celui qui soutient le Mystère, peut répondre par l'instance d'une simple possibilité, puis qu'une telle instance suffit pour montrer que ce qu'on vou, loit inférer des prémisses n'est point certain ni général; et il suffit à celui qui combat pour le Mystère, de maintenir qu'il est possible, sans qu'il ait besoin de maintenir qu'il est vraisemblable. Car, comme j'ai dit souvent, on convient que les Mystères sont contre les apparences. Celui qui soutient le Mystère, n'auroit pas même besoin d'alléguer une telle instance; et s'il le fait, on peut dire que c'est une oeuvre de surérogation, ou que c'est un moyen de mieux confondre l'adversaire.

80. Il y a des passages de Mr. Bayle dans la

Réponse posthume qu'il a faite à Mr. Jaquelot, qui
me paroissent encore dignes d'être examinés, Mr.
Bayle (dit-on, p. 36, 37.) Ȏtablit constamment
>> dans son Dictionnaire, toutes les fois que le sujet
>> le comporte, que notre Raison est plus capable de
»réfuter et de détruire, que de prouver et de bâtir;
»qu'il n'y a presque point de matière Philosophi
*que ou Théologique, sur quoi elle ne forme de
» très-grandes difficultés; de manière que si on vou-
>>loit la suivre avec un esprit de dispute, aussi loin
»qu'elle peut aller, on se trouveroit souvent réduit
»à de fâcheux embarras: enfin, qu'il y a des doc-
>>trines certainement véritables, qu'elle combat par
>>des objections insolubles. Je crois que ce qu'on
dit ici pour blâmer la Raison, est à son avantage.
Lorsqu'elle détruit quelque thèse, elle édifie la thèse
opposée. Et lorsqu'il semble qu'elle détruit en
même tems les deux thèses opposées, c'est alors
qu'elle nous promet quelque chose de profond,
pourvu que nous la suivions aussi loin qu'elle
peut aller, non pas avec un esprit de dispute,
mais avec un désir ardent de rechercher et de dé-
mêler la vérité, qui sera toujours récompensé par
quelque succès considérable.

81. Mr. Bayle poursuit: »qu'il faut alors se moquer de ces objections, en reconnoissant les >> bornes étroites de l'esprit humain. Et moi, je crois que bien loin de-là, il y faut reconnoître des marques de la force de l'esprit humain, qui le fait pénétrer dans l'intérieur des choses. Ce sont des ouvertures nouvelles, et pour ainsi dire des rayons de l'aube du jour, qui nous promet une lumière plus grande; je l'entends dans les matières Philosophiques ou de la Théologie naturelle: mais lorsque ces objections se font contre la Foi révélée, c'est assez qu'on les puisse repousser, pourvu qu'on le fasse avec un esprit de soumission et de zèle, dans le dessein de maintenir et d'exalter la gloire de Dieu. Et quand on y réussira à l'égard de sa justice, on sera également frappé de sa grandeur et charmé de sa bonté, qui paroîtront à travers les nuages d'une Raison apparente, abusée par ce qu'elle voit, à mesure que l'esprit s'élèvera par la véritable Raison à ce qui nous est invisible, et n'en est pas moins certain.

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» renoncer en ce cas, sout seulement celles qui nous »font juger sur les apparences, ou suivant le cours ordinaire des choses: ce que la Raison nous ordonne même dans les matières Philosophiques, lorsqu'il y a des preuves invincibles du contraire. C'est ainsi qu'étant assurés par des démonstrations de la bonté et de la justice de Dieu, nous méprisons les apparences de dureté et d'injustice, que nous voyons dans cette petite partie de son règne qui est exposée à nos yeux. Jusqu'ici nous sommes éclairés par la lumière de la Nature et par celle de la Grace, mais non pas encore par celle de la Gloire. Ici-bas nous voyons l'injustice apparente, et nous croyons et savons même la vérité de la justice cachée de Dieu; mais nous la verrons, cette justice, quand le Soleil de justice se fera voir tel qu'il est.

83. Il est sûr que Mr. Bayle ne peut être entendu que de ces maximes d'apparence, qui doivent céder aux vérités éternelles; car il reconnoît que la Raison n'est point véritablement contraire à la Foi. Et dans ses Dialogues posthumes il se plaint (p. 73. contre Mr. Jaquelot) de ce qu'on l'accuse de croire que nos Mystères sont véritablement contre la Raison, et (p. 9. contre Mr. le Clere) de ce qu'on prétend que celui qui reconnoît qu'une doctrine est exposée à des objections insolubles, reconnoît aussi par une conséquence nécessaire la fausseté de cette doctrine. Cependant on auroit raison de la prétendre, si l'insolubilité étoit plus qu'apparente.

84. Peut-être donc qu'après avoir disputé longtems contre Mr. Bayle, au sujet de l'usage de la Raison, nous trouverons au but du compte que ses sentimens n'étoient pas dans le fond aussi éloignés des nôtres, que ses expressions, qui ont donné sujet à nos réflexions, l'ont pu faire croire. Il est vrai que le plus souvent il paroît nier absolument qu'on puisse jamais répondre aux objections de la Raison contre la Foi, qu'il prétend que pour le ponvoir faire, il faudroit comprendre comment le Mystère arrive ou existe. Cependant il y a des endroits, où il se radoucit, et se contente de dire que les solutions de ces objections lui sont inconnues. En voici un passage bien précis, tiré de ce même éclair82. »>Ainsi (pour continuer avec Mr. Bayle) cissement sur les Manichéens, qui se trouve à la fin » on obligera la Raison de mettre bas les armes, et de la seconde édition de son Dictionnaire. Pour » à se captiver sous l'obéissance de la Foi; ce qu'elle uue plus ample satisfaction des Lecteurs les plus »peut, et qu'elle doit faire, en vertu de quelques-scrupuleux, je veux bien déclarer ici (dit-il, unes de ses maximes les plus incontestables: et sainsi en renonçant à quelques-unes de ses autres »maximes, elle ne laisse pas d'agir selon ce qu'elle »est, c'est-à-dire en Raison. Mais il faut savoir que «les maximes de la Raison, auxquelles il faut

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p. 3148) que par-tout où l'on verra dans mon »Dictionnaire que tels ou tels argumens sont inso»lubles, je ne souhaite pas qu'on se persuade qu'ils le sont effectivement. Je ne veux dire autre chose, sinon qu'ils me paroissent insolubles. Cela ne tire

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